« Les chrétiens (…) Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère (…) En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde (…) L’âme habite dans le corps, comme les chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde. »
(Lettre à Diognète, anonyme, IIè siècle)
Si l’action de Dieu était purement extérieure à l’homme, nous risquerions de réduire la vie spirituelle à l’exécution d’un certain nombre de commandements, à une forme de moralisme peut-être, ou de simple sagesse. La réalité est tout autre, parce que Dieu vient habiter au cœur de l’homme, de manière à le conduire à partir du plus intime de lui-même…
Les vertus sont des attitudes fermes, des dispositions établies de manière stable, pour guider la conduite humaine dans la pratique du bien et dans la relation à Dieu.
A la suite du livre d’Isaïe (11,2-3), la tradition chrétienne a retenu plus particulièrement sept dons de l’Esprit : crainte, intelligence, science, conseil, force, piété et sagesse.
Le christianisme distingue les vertus théologales, qui se réfèrent directement à Dieu, en vue d’agir et de vivre en communion avec Lui (ce sont la foi, l’espérance et la charité), et les vertus humaines, que l’homme acquiert, avec la grâce de Dieu, par son effort pour mener une vie bonne. Parmi ces vertus humaines, une place privilégiée est accordée aux vertus cardinales (de cardo : la charnière, le pivot) : la tempérance, la justice, la force et la prudence.
« De la lecture suivie, il faut tirer d’affectueux élan, former une prière qui interrompe la lecture. Pareilles interruptions gênent moins l’âme qu’elles ne la ramènent aussitôt plus lucide à la compréhension du texte. » (Guillaume de Saint-Thierry, abbé cistercien du XIIè siècle)
(…) les deux sacrements qui accompagnent la route spirituelle et l’ensemble de l’itinéraire vers Dieu : l’eucharistie, qui est par excellence le pain de la route, et la réconciliation, baume et soulagement dans la fatigue et les difficultés de notre marche.
(…) la mort et la résurrection du Christ, le premier jour de la semaine juive, devenu le dimanche ou jour du Seigneur.
L’acte du Christ est unique. Nous ne le répétons pas, mais quand nous obéissons à son commandement, dans le cadre qu’il a institué pour cela et qui est confié au ministère de son Église, lui, Jésus, nous associe à son acte unique (…) Nous ne sommes ni plus ni moins éloignés du Christ qu’à une autre époque et en d’autres lieux.
Dans l’Ecriture, l’errance est synonyme de la perdition : Adam et Eve chassés du paradis ; Caïn qui, après avoir tué son frère, se retrouve errant sur la terre ; le peuple d’Israël marchant sans but durant quarante ans au désert ; la brebis perdue de l’Evangile, etc. Mais Dieu offre à l’homme le salut en lui ouvrant une route, dans la mer comme dans le désert, invitant l’home à « marcher humblement avec son Dieu » (Mi 6,8). La vie spirituelle est donc à comprendre de manière dynamique et non seulement statique, même si nous devons marcher sur la terre des vivants, et donc sur un fondement solide, et non pas dans les airs, comme le tentateur voulait le proposer à Jésus (Mt 4,6 ; Lc 4,9-12).
De manière traditionnelle, l’itinéraire spirituel est constitué de trois grandes étapes, dont le nom est pour une part un héritage du vocabulaire du néoplatonisme, mais que l’on pourrait aisément rapporter à plusieurs grandes trajectoires spirituelles de la Bible : l’illumination, la purification et l’union.
L’illumination désigne ici tous les moments de découverte de Dieu, de sa présence, de son amour, tous les départs dans notre existence, les mises en route, les appels.
(…) la vie spirituelle est la manière dont l’Eglise et chaque croyant entrent dans le mystère du salut pour en vivre.
(…) le rôle de Marie est de nous aider à accepter la médiation de l’humanité de Jésus dans notre accès à Dieu.
A travers la diversité de leur réponse à l’appel de Dieu, les saints poussent celui qui s’engage dans la vie spirituelle à prendre la route, à partir à son tour. Ils lui assurent qu’il n’y a pas de plus belle aventure que de marcher à la suite du Christ.
Tel est le contenu même de la foi du Nouveau Testament, sa substance : le Dieu Trinité qui se fait connaître pour nous sauver et nous faire participer à sa vie intime.
La mission de l’Esprit, dans l’existence du croyant, est de conduire à répondre à cet appel.
Il s’agit d’apprendre à faire de notre vie une réponse à un appel, de construire notre existence autour de l’accueil et l’écoute de la Parole de Dieu. Tel est, en quelque sorte, l’objectif de toute la vie spirituelle. Un des grands exemples qui nous est donné à ce sujet est le récit de la vocation de saint Antoine, le père de moines, par saint Athanase. Nous y découvrons comment la lecture de l’Evangile, à l’eucharistie dominicale, a pu résonner dans le cœur d’Antoine de telle sorte qu’il a véritablement entendu cette parole comme lui étant adressée personnellement, dans un temps et un lieu donnés, « comme si la lecture avait faite pour lui. » (…) Dieu s’adresse à l’homme, de façon personnelle, lui manifestant ainsi toute sa confiance, et tout son amour. Dans le Christ, l’appel de Dieu n’est pas seulement créateur, mais aussi sauveur. Dieu rejoint l’humanité jusqu’au fond de sa misère, de son péché, et même de sa mort. Mais ce n’est pas tout : Dieu veut faire de l’homme le participant de sa vie. Il fait de nous ses fils.
Il est beau de voir qu’à tout âge l’appel de Dieu prend forme.
Le fondement et le commencement de toute vie spirituelle est la reconnaissance par l’homme de son identité de créature spirituelle (…) l’entrée dans une véritable relation à Dieu ne peut se faire qu’à partir du moment où (…) l’homme reconnaît, même obscurément, qu’il n’est pas la source de bien recherché, mais qu’il le reçoit d’un autre (…) Cette origine, que nous nommons Dieu (…) est, à chaque instant, source de notre être même. Le Dieu vivant s’est révélé comme celui qui EST.
La véritable paix et l’authentique repos ne sont pas dans un refus du désir, ni dans la tentative illusoire de combler par nous-mêmes notre quête de bonheur, mais ils sont dans l’attente confiance du don de Dieu, notre créateur, qui aime sa créature et veut la combler de lui-même. Comme le dit saint Augustin dans le Prologue des Confessions : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi. »
L’attitude spirituelle de repli sur soi et de refus du créateur n’est pas nouvelle. Saint Jean la décrit comme « l’amour du monde » s’opposant à l’ « amour du Père » (1Jn 2,15) et saint Paul comme « la vie selon la chair » s’opposant à « la vie selon l’esprit » (par exemple Rm 8,5). L’origine même de ce refus du créateur est le péché et le mal, par lesquels la créature humaine, sous la tentation, use de sa liberté finie et créée pour se détourner du créateur. Le récit de la chute (Gn 3) en donne l’illustration biblique la plus connue. A la racine de ce refus se trouvent le soupçon et la rivalité entre le créateur et la créature. Dieu nous a t-il créés par amour ? Cette dépendance de l’homme à l’égard de Dieu est-elle bienveillante et libératrice, ou nous maintient-elle dans un esclavage ? L’homme, dans sa recherche du bonheur, expérimente le manque. L’attitude sainte et sans péché serait de se tourner en pleine confiance et dans l’humilité vers le créateur qui seul peut le combler, attitude que l’Eglise reconnaît en Marie, l’Immaculée. Cependant, l’homme blessé par le péché doute et a peur de Dieu, de la relation filiale que Dieu veut établir avec sa créature humaine. La pureté du cœur consisterait à accueillir, dans la confiance, le don de Dieu qui seul pourra véritablement combler le désir. Mais la conséquence du péché est de se détourner de cet accueil, pour tomber dans la convoitise et la recherche d’un bonheur à portée de main (…) Le défi de la vie spirituelle est alors le suivant : comprendre et accepter que notre désir ne peut être comblé que dans le renoncement à posséder par nous-mêmes, en vie d’accueillir le don toujours plus grand, qui vient de Dieu, et qui seul peut nous donner pleinement le bonheur (…)
Signalons seulement les conséquences très graves que le refus de la foi en Dieu créateur a produites dans le monde, depuis deux siècles, et dont nous touchons aujourd’hui peut-être les effets les plus néfastes. Le refus de se reconnaître créature a eu des effets d’autant plus considérables que cette attitude spirituelle n’est pas demeurée le fait de quelques individus isolés, mais qu’elle a pris progressivement la forme d’une culture massive et globale, résolument opposée au christianisme.
Le premier effet du refus de se reconnaître créature est bien évidemment de rompre le lien qui unit les hommes entre eux. Si les êtres humains n’ont plus la même origine qui les transcende et les dépasse, ils ne sont plus capables de donner une véritable assise à l’affirmation de leur égale dignité. Le pape Jean-Paul II répétait inlassablement que les droits de l’homme s’étaient forgés à partir des racines de la foi chrétienne, et qu’ils n’avaient de sens que s’ils n’étaient pas compris comme un refus de Dieu au nom même de la dignité humaine. Sans cette transcendance, les droits de l’homme perdent peu à peu leu consistance.
Sans lien au créateur, l’homme tend aussi à nier toute relation au temps. Vivant dans l’immédiateté, il se comporte comme irresponsable vis-à-vis des générations futures, à qui il transmettra une terre désolée, polluée et stérile, s’il ne prend pas radicalement un autre chemin. Pour qu’un mouvement de fond conduise à une transformation des mentalités, il faudra probablement que l’homme soit acculé à la catastrophe. Mais l’Eglise, à cause de sa foi au Dieu créateur, à la responsabilité d’aider l’humanité à changer radicalement son comportement à l’égard de la création, pour reconnaître que l’homme n’est pas le maître tyrannique mais le gérant, qui devra rendre compte à Dieu et aux générations à venir de sa gestion. Car le Dieu créateur, source de toute vie, est aussi le Dieu qui jugera le monde à son terme. Reconnaître que nous sommes créés conduit aussi à reconnaître que nous serons jugés, dans l’amour, certes, mais aussi dans la vérité. L’urgence de la situation présente peut ainsi devenir une grâce : celle d’une nouvelle conversion. La question de la création et de son avenir fait partie des signes des temps. Nous avons à le reconnaître.
La toute-puissance (pantocrator en grec) (…) le sens premier du terme grec signifie : « celui qui tient tout ».
Les guérisons du Christ, dans l’Evangile, ne sont cependant jamais des actes magiques. Elles sont toujours liées à la conversion et à l’acte de foi de celui qui en bénéficie. Pour que l’action salvifique de Dieu perdure, l’homme - et c’est sa part - est appelé à choisir volontairement de lutter contre les réflexes négatifs que les blessures passées ont causés en lui.
Le médium développe un senti et un ressenti très importants ; la recherche, devenue habituelle e ces perceptions, risque de le rendre vulnérable à l’occultisme et aux esprits mauvais (…) La grande différence entre un vrai charisme et la médiumnité tient au fait que le charisme est un don de Dieu, toujours à recevoir, tandis que la médiumnité est une habitude contractée, que l’utilisateur emploie dès lors sur sa propre initiative, comme un pouvoir personnel.
(…) la recherche de guérison, de bien-être, d’épanouissement de soi, peut être une fausse piste qui nous centre sur notre moi et non sur Dieu qui nous appelle…
Le sage est celui qui se connaît, et le philosophe, cet amoureux de la sagesse, peut bien reprendre à son compte le fameux « connais-toi toi-même », qui était inscrit au fronton du temple d’Apollon, à Delphes (…) Ce qui est visé ici est l’entrée, par la foi, dans le regard que Dieu porte sur nous-mêmes.
Nous sommes donc des êtres créés, pécheurs, et appelés à nous accomplir en Dieu et en lui seul.
Il existe en revanche un bon scrupule, par lequel sont passés tous les saints et les amis de Dieu, et qui n’est autre que l’attention prévenante pour éviter de blesser l’amour. Car plus l’amour grandit, plus il s’affine (…) L’essentiel n’est pas de repartir seul, avec soi-même, satisfait comme le pharisien de la parabole (Luc 18, 9-14), mais humblement et en compagnie de Dieu.
(…) dans la mesure où l’homme est une créature, il n’a pas son centre en lui-même, mais en Dieu. L’illusion de référer l’homme seulement à lui-même rend impossible la découverte du cœur profond. Car le centre de l’âme n’est pas un lieu matériel, ni une région du corps. La démarche qui est visée ici n’est pas une technique de relaxation ou de concentration, ni une recherche de bien-être. car le centre de l’âme est un espace spirituel qui désigne le lieu spirituel où l’homme rencontre Dieu en vérité, où l’homme se place de manière juste et appropriée en présence de Dieu.
Ce centre est intérieur à l’homme. Il se situe spirituellement en soi et non à l’extérieur. Mais à l’intérieur de moi, cet intime du cœur où Dieu demeure est aussi plus intime à moi-même que moi-même, parce que Dieu est la source de mon être…
(…) à l’intime de l’être, nous avons à chercher non pas nous-mêmes, mais Dieu, qui est la source de notre existence comme créateur. L’intériorité n’est ni le narcissisme, ni l’introspection, ni l’égocentrisme, mais le recueillement des facultés vers ce centre mystérieux et impossible à maîtriser : le sanctuaire de Dieu en l’homme.
L’intériorité est à la fois un chemin vers Dieu et un chemin vers soi-même.
La grande tradition monastique, depuis les Pères du désert du IVè siècle, accorde une importance capitale au thème de la vigilance du cœur (…) Pour être vigilant, l’Ecriture nous invite à raviver la mémoire du Seigneur (…) et en gardant ses commandements (…)
La vigilance n’est pas un chose abstraite et tendue, ni une technique de concentration mentale. Elle est un moyen pour prendre soin et protéger la relation à une personne vivante, une attitude pour garder le contact avec la présence, la trace, à l’intérieur de soi, du Seigneur.
Il s’agit donc de veiller à la fois à nos actes extérieurs et à ce que nous laissons grandir en nous-mêmes. Cette garde du cœur, qui n’est autre que l’unification de la personne (…)
En particulier, les Pères insistent beaucoup sur la prise en compte des pensées qui émergent en soi (…) vais-je la laisser grandir, occuper toute la place, tout le champ de ma conscience, ou bien vais-je l’orienter vers le Seigneur, vers sa miséricorde, son pardon, sa louange ?
La prière est un dialogue d’amour entre l’homme et Dieu…
« (…) si le désir est continuel, la prière est continuelle (…) Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer. Ton désir est continuel ? Alors ton cri est continuel. Tu ne te tairas que si tu cesses d’aimer (…) La charité qui se refroidit, c’est le cœur qui se tait ; la charité qui brûle, c’est le cœur qui crie (…) si tu désires, c’est au repos [de la béatitude] que tu penses. »
(Saint Augustin, « Commentaire du psaume 37,14 »)
La fidélité à la prière quotidienne est, comme tout ce qui a de la valeur et de l’importance, lieu d’un véritable combat spirituel, mais il s’agit là d’une fidélité à la relation d’amour avec Dieu. Et seul l’amour peut nous motiver de manière durable.
Après s’être rendu disponible à Dieu et avoir demandé l’Esprit saint, au début de la prière.
La tradition chrétienne, en particulier ignacienne, a plutôt insisté sur l’idée d’utiliser les distractions.
La réponse de foi n’est pas un communion au vide et à l’absurde, mais à un mystère qui dépasse l’intelligence humaine.
Dieu se révèle donc non pas à une grand civilisation (que l’on pense par exemple à la Chine, à la même époque), mais à un petit peuple de pauvres.
Le don d’intelligence permet donc de tenir au contenu de la foi professée par l’Eglise, sans absolutiser les médiations à travers lesquelles la révélation nous est transmise dans l’histoire (…) L’histoire de la pensée est encombrée de toutes les idoles auxquelles Dieu a pu être réduit : un Dieu qui aimerait la douleur, un père tyrannique et autoritaire, un Dieu sentimental et laxiste, un Dieu identifié à la nature, au cosmos, à l’énergie, à l’histoire, au progrès, au passé idéalisé, etc.
Se désapproprier de la nourriture, par le travail de la volonté sur le désir, conduit à se souvenir que tout, y compris ce qui est le plus vital et le plus élémentaire pour nous, est un don de Dieu.
L’Evangile des dix lépreux est ici particulièrement clair (Lc 17, 11-19). Tandis que ces dix hommes, qui ont prié, sont guéris de leur lèpre, un seul, un Samaritain, revient sur ses pas, se convertit, glorifie Dieu et adore le Christ. La réponse de Jésus ne tarde pas : « Relève-toi, va ; ta foi t’a sauvé. » Dix hommes ont été guéris, mais un seul a été sauvé. Neuf se sont arrêtés au signe, mais un seul a été ouvert à l’appel que le signe contenait en lui : l’approfondissement de la relation à Dieu, par la foi au Christ.
Le don de soi est la mesure de la maturité spirituelle d’une personne.
(…) le père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus a écrit des pages très suggestives sur le don de soi, dans son ouvrage Je veux voir Dieu : « (…) un don effectif à des volontés divines certaines mais qui sont inconnues pour le moment (…) Ce don de soi, indéterminé (…) La sainte indifférence dans laquelle il place l’âme la délivre des déceptions amères qui paralysent un instant et qui parfois brisent définitivement. Enfin, bienfait positif incomparable de ce don indéterminé devenu habituel, il livre l’âme à l’action de l’Esprit saint. »
Le don de soi est le chemin par lequel Dieu dilate le cœur de l’homme afin de le combler, dès ici-bas, de tous les biens : le centuple, nous promet Jésus, « et dans le monde à venir, la vie éternelle. » (Mc, 10, 30) !
Ainsi, la résurrection du Christ et la Pentecôte nous disent-elles que la fin des temps est déjà commencée, le Royaume de Dieu est venu jusqu’à nous, afin que nous y entrions dès aujourd’hui.
Le premier apophtegme des Pères du désert sur le discernement, dans la collection systématique, nous avertit : « Abba Antoine dit : Il y a des gens qui ont broyé leur corps dans l’ascèse ; mais, pour avoir manqué de discernement, ils se sont éloignés de Dieu. »
Le discernement est donc une aide pour entrer dans le bon combat et pour éviter l’enfermement dans une certaine pratique de l’ascèse, qui centre l’homme sur lui-même plutôt que sur la volonté de Dieu. Le discernement suppose donc, au point de départ, l’acceptation humble de la réalité : le bon et le mauvais forment un mélange en notre cœur. Discerner signifie faire le tri (…)
Parmi les conditionnements de la liberté, certains sont plus saillants. Les entraves du fatalisme, tout d’abord fascinent bien des gens (…) L’astrologie, la consultation des horoscopes, des cartes, des médiums ainsi que l’ésotérisme dans son ensemble relèvent de cette pratique (…) ces procédés sont en réalité un obstacle à l’action de Dieu et une soumission dangereuse à des esprits mauvais.
Une autre forme de conditionnement vient de l‘héritage familial, psychologique, culturel et social auquel nul n’échappe (…) Mais le conditionnement de loin le plus grave est celui qui est lié au péché. La vie spirituelle nous rend la liberté des enfants de Dieu.
Choisir entre le bien et le mal, en apparence, semble facile. Nous aurons cependant à voir comment le discernement se réalise, dans la mesure où le mal se dissimule souvent sous des formes trompeuses. Mais un autre choix se rencontre aussi, non pas entre le bien et le mal, mais entre deux biens, entre deux options dont une seule convient vraiment (…) Le discernement peut donc concerner plusieurs réalités bonnes, mais dont une seule est vraiment adaptée au choix. Il peut s’agir par exemple de deux vocations, bonnes toutes les deux, mais dont une seule correspond vraiment au bien de celui qui discerne.
Le signe de l’esprit du mal est qu’il introduit toujours dans la conscience, à un moment donné, un certain malaise, une tristesse, une fausse tranquillité, le refus de dialoguer ou le besoin systématique de se justifier.
Pour être démasqué, le mal doit être mis en évidence, en particulier par la parole (…) Lorsqu’on parle d’un choix entre le bien et le mal, il s’agit en fait de comprendre que le mal n’apparaît mal qu’en comparaison d’un bien plus grand. Personne ne désire le mal, mais le bien apparent qui attire en lui.
De manière habituelle, le discernement se fait à partir de ce que nous éprouvons nous-mêmes, en vue de faire le tri entre ce qui vient de Dieu, ce qui vient de l’humain et ce qui vient du mauvais; Toutefois, nous n’avons pas toujours les moyens de connaître exactement le contenu de ce qui est mal. La prudence impose alors de s’écarter du mal, de le nommer avec plus ou moins de précision, plutôt que de chercher à le cerner totalement.
Choisir entre le bien et le mal consiste ici à renoncer à faire d’un programme politique un absolu qui soit supérieur au seul absolu véritable qu’est le Christ et son Evangile.
Dans ses Exercices, saint Ignace de Loyola a souligné avec beaucoup de pénétration cette tentation séductrice du malin, dans la méditation sur les deux étendards. ll s’agit de s’offrir au règne de Dieu en choisissant sous quel étendard combattre. L’étendard de Satan est l’utilisation de toutes les formes de convoitise en vue d’obtenir la fin. L’étendard du Christ consiste à servir à la manière de l’Evangile, c’est-à-dire dans la douceur et l’humilité des béatitudes.
Le discernement n’est pas seulement un travail rationnel, mais bien un exercice spirituel, afin de voir si les motivations intérieures qui nous guident viennent de l’Esprit saint, du malin ou de nos construction égocentriques. C’est donc dans la prière que s’accomplit ce discernement.
La finalité, c’est-à-dire le but visé, est le point le plus important du discernement. Le discernement s’inscrit dans une dynamique, un projet , une mission (…) Saint Ignace de Loyola, au seuil de ses Exercices, rappelle que l’homme est fait pour servir, aimer et glorifier Dieu. Cette préférence pour l’amour de Dieu conduit à l’indifférence, qui n’est pas un manque de désir mais une remise entre les mains de Dieu de tous les désirs, afin de les orienter vers seul but fondamental, servir et aimer Dieu.
Une fois la finalité établie, il convient de discerner quel est le moyen le meilleur à prendre pour répondre davantage à l’appel de Dieu, en prenant pour référence non pas ma propre générosité, mais ce que je discerne de la volonté de Dieu sur moi (…) Cette deuxième étape dans le discernement est désignée par saint Ignace sous le terme de l’élection.
Le discernement doit ensuite tenir compte des conditionnements qui affectent nos choix. L’imaginaire tout d’abord peut nous tendre des pièges (…) Nos désirs, également, sont à purifier (…) Dans les Confessions, saint Augustin raconte comment il pensait que le discernement serait pour lui uniquement une affaire d’intelligence. Or, une fois acquise la lumière de la vérité du Christ, il lui fallut constater combien son désir était loin de vouloir le bien que son intelligence concevait désormais. C’est dans les larmes qu’il reçut, par grâce, la capacité de vouloir vraiment se tourner vers Dieu.
Un dernier appel du discernement concerne l’état spirituel dans lequel le choix envisagé place une personne. Il s’agit ici de l’alternance des « consolations » et des « désolations » spirituelles. Le propos n’est pas de l’ordre de la sensibilité ou de l’affectivité, mais bien du dynamisme spirituel. La consolation désigne une vitalité intérieure, caractérisée par un élan concret qui fait avancer dans l’amour de Dieu et du prochain. L’âme avance alors avec allégresse et dans la paix, même si ce n’est pas sans obscurité, sans effort et sans difficulté. Mais elle chemine d’un bon pas, dans la paix de Dieu. Cet état spirituel vient du Seigneur. La désolation produit l’effet inverse. L’âme éprouve du dégoût et de la lassitude dans tout ce qui concerne son devoir d’état. Elle ne trouve du plaisir que dans les divertissements et les dérivatifs, et éprouve le sentiment intérieur du découragement, voire du désespoir, sur elle-même, sur la situation où elle se trouve et sur Dieu.
La misère la plus grande, pour l’homme, est de vivre loin de Dieu, loin du salut et dans l’ignorance du Christ.
On constate, il est vrai, que les blessures affectives, en particulier celles de l’enfance, qui sont toujours éprouvées comme un manque d’amour, peuvent être des portes ouvertes, des points d’ancrage, pour un enfermement spirituel et une emprise de l’esprit du mal.
Dieu aurait pu nous sanctifier autrement, mais il a choisi, dans son dessein bienveillant, de nous conduire à travers un itinéraire où nous devons apprendre à résister au mal et à trouver en Dieu seul notre salut.
Si l’ascèse met en évidence notre besoin urgent de conversion, en découvrant les désordres qui nous emprisonnent (péchés, déséquilibres, blessures, habitudes mauvaises, etc), le combat dans l’Esprit va surtout consister à reconnaître que Dieu seul peut guérir et purifier.
Durant ce combat, Jacob est transformé. Il reçoit un nom nouveau, celui d’Israël, et la blessure qu’il gardera toute sa vie en le faisant boiter lui rappellera qu’il ne peut plus s’appuyer seulement sur ses propres forces (…) Dieu convertit l’agressivité de Jacob en la douceur d’Israël (…) La véritable force est bien celle de la douceur et de l’humilité du Christ.
La tentation se situe sur le terrain du désir. L’homme est tenté par ce qu’il désire. Mais ce combat nous enseigne que la résistance à la tentation ne vient pas d’un épuisement du désir, mais de son orientation vers Dieu (…) Trois formes du désir sont ici évoquées : l’avoir, le valoir et le pouvoir (…) En invitant Jésus à se jeter du haut du Temple, le tentateur fait du lieu même où l’homme doit rendre un culte véritable à Dieu, le Temple, le prétexte à l’exaltation de l’homme pour lui-même.
L’histoire ne va donc pas dans le sens d’un unité croissante, mais d’un différenciation grandissante entre ceux qui accueillent le Christ, de manière de plus en plus confiante et entière, et ceux qui s’opposent à lui, avec un refus de plus en plus obstiné.
L’intérêt de prendre en compte, dans l’itinéraire de la vie spirituelle, le combat de l’apocalypse, est de nous placer, au-delà de la seule relation individuelle de chacun d’entre nous au Christ, dans une perspective ecclésiale et humaine beaucoup plus large. Le combat spirituel s’inscrit dans l’évolution de l’Histoire, de l’Eglise et du monde.
Le pape Jean-Paul II, en 1980, lors de première visite en France, l’avait exprimé en ces termes (…) : « Nous vivons une étape de tentation particulière pour l’homme (…) L’homme contemporain est soumis à la tentation du refus de Dieu au nom de sa propre humanité (…) Il faut tenir compte du fait que ces formes modernes de la tentation de l’homme prenant l’homme comme absolu atteignent aussi la communauté de l’Eglise (…) »
La perte du désir de Dieu, qui pourrait représenter l’épreuve la plus forte du combat spirituel, coïncide avec la tentation d’évacuer totalement Dieu de la sphère de la vie et de l’existence de l’homme, si bien que la notion même de péché devienne insignifiante pour l’homme. Enfermé dans l’impiété, le nom par lequel saint Paul désigne la forme même du péché (Rm, 1,18), l’homme qui refuse toute relation à Dieu tend à perdre jusqu’à la notion même de faute, de bien et de mal, et donc de salut. C’est ce que l’Evangile désigne sous le nom de « péché contre l’Esprit saint », et dont Jésus nous avertit qu’il est sans rémission possible.
Jean Paul II l’exprime ainsi dan son encyclique sur l’Esprit saint : « Le blasphème contre l’Esprit saint est le péché commis par l’homme qui présume et revendique le « droit » de persévérer dans le mal - dans le péché quel qu’il soit - et refuse par là même la Rédemption. L’homme reste enfermé dans le péché, rendant donc impossible, pour sa part, sa conversion et aussi, par conséquent, la rémission des péchés, qu’il ne juge pas essentielle ni importante pour sa vie. »
L’enfer n’est pas une punition que Dieu infligerait malgré elle à des créatures qui, dans leur faiblesse, n’auraient pas réussi à atteindre, par leurs propres forces, une sainteté qu’ils désiraient. L’enfer est l’état où la créature s’enferme elle-même par un refus volontaire et définitif de toute forme de Rédemption.
Le don de force nous maintient auprès de la source de l’amour, qui est Dieu vivant en nous.
(…) lorsqu’il a pu ressentir humainement l’expérience de l’abandon et de délaissement, que les pécheurs éprouvent du fait de leur état de péché…
Il offre au Père le sacrifice parfait, celui du don total de soi, jusqu’au bout, sacrifice qui réconcilie le monde avec Dieu, par la puissance de transformation de toute haine avec Dieu, par la puissance de transformation de toute haine et de toute mort en amour et en vie. Mais cette transformation n’a rien d’un automatisme nécessaire, car tout est affaire de gratuité dans l’amour.
A la suite de Jésus, nous serons conduits, nous aussi, si nous le voulons, par l’Esprit, dans le même chemin d’abandon et de pauvreté, pour devenir la demeure de Dieu et un havre de paix et de compassion pour les hommes, nos frères.
(…) nous pouvons accueillir avec foi cette affirmation des saints : la souffrance de Jésus la plus grande est celle liée à la connaissance des péchés de tous les hommes.
(…) la véritable expérience de la Croix fait grandir la miséricorde et la compassion pour toute souffrance humaine.
L’Evangile est fait « pour ceux qui ne s’en sortent pas », pour cette part de nous qui ne s’en sort pas, malgré les masques et les apparence. Cette compassion se porte aussi sur les autres.
(…) l’ensemble de l’existence devient progressivement une prière. Devant le constant incontournable de notre faiblesse, l’expérience de la Croix forge en nous une prière incessante, le besoin continuel de recourir à Dieu et de vivre davantage en enfant du père, dans toutes les situations et les circonstances du quotidien.
Les passions (…) comportent une hiérarchie, des moins graves aux plus graves, des plus extérieures aux plus intérieures (…) Il s’agit, avec quelques variantes selon les auteurs et les époques, de la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère, la tristesse, l’acédie, la vanité et l’orgueil.
La réponse à l’avarice tient dans deux dimensions de la pauvreté : le détachement des biens et le partage…
La colère se développe souvent par l’envahissement d’une pensée intérieure, qui progressivement prend toute la place dans l’esprit. Sous la domination exclusive d’une telle pensée, l’homme devient comme fou, il s’aliène et prononce des paroles absurdes (…) Face à la colère qui peut si facilement dominer le cœur de l’homme, le Christ nous communique sa douceur et son humilité.
La tristesse est aussi causée par la tentation, et par l’esprit du mal, en particulier lorsqu’elle prend une forme subite, sans véritable cause. La résistance à cette tristesse viendra d’un acte de foi, pus vif en la présence de Dieu et de la demande, humble et insistante, d’acquérir l’esprit de prière, pour vivre de la présence aimante de Dieu et des saints.
L’étymologie grecque du mot « acédie » signifie le manque de soin (…) pour éviter de se fonder uniquement sur la description d’un état d’âme, que l’on confond parfois trop rapidement avec la dépression psychologique, ce qui pourrait définir au mieux l’acédie est la perte de la visée, de l’objectif qui soutient le désir. L’acédie est une profonde désorientation, un accablement qui « perdre le nord »…
Saint Augustin a résumé d’un mot la tentation de l’orgueil : « Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu a bâti la cité de la terre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi a bâti la Cité de Dieu. » (« La Cité de Dieu », Livre XIV)
Si la marche à sa suite est parfois rude, Jésus n’attend pas le terme du voyage pour combler de ses biens ceux qui ne croient pas en lui. Dès à présent, l’Esprit s’offre aux fidèles, il est cette « première avance » sur les dons de Dieu !
Le fruit le plus essentiel de la vie spirituelle est la paix de Dieu, cette paix qui est Dieu en personne se donnant à nous. Le péché et le mal ont produit en l’homme une blessure profonde qui prend la forme d’une incessante inquiétude, l’angoisse d’un abîme sans fond, d’une vacuité de l’être que rien ne parvient à combler, à l’image d’une eau que rien ne retient (…) La paix de Dieu vient panser cette blessure et donner au cœur de l’homme de découvrir qu’il est lui-même contenu dan le cœur de Dieu.
La Croix n’est pas qu’un simple passage par une étape « négative » qu’il faudrait, à un moment ou à un autre, dépasser (…) Le chemin de la paix, qui s’ouvre à nous, dans la lumière du Christ ressuscité, est un approfondissement du mystère pascal dans toutes ses composantes, et non un dépassement de ce mystère.
La fidélité à demeurer dans la volonté de Dieu qui résiste à la tentation, si forte parfois, de rompre, de fuir, pour tenter de se façonner un petit bonheur à taille humaine, tels sont les fruits les plus éminents de la vie spirituelle, signes de la présence agissante, dans les cœurs, du Christ ressuscité.
En fin de compte, Dieu est la seule raison, le seul motif authentique de nos engagements, parce qu’il est en personne l’amour qui peut nous combler. Nous comme faits pour Dieu et rien d’autre que lui ne peut véritablement nous satisfaire.
Le projet de Dieu est de faire de l’humanité le lieu même de sa demeure…
La vie spirituelle ne doit pas seulement s’attacher à l’itinéraire de l’homme individuel vers Dieu, mais elle doit nous rendre attentif à l’accueil du dessein de Dieu pour toute l’humanité, un dessein d’amour dans lequel l’homme trouve sa vraie mesure, dans la communion fraternelle aux hommes et l’union à Dieu.
(…) vers l’an 250 (…), l’évêque Cyprien de Cartahge écrit un traité, l’Unité de l’Eglise (…) à propos des chrétiens qui veulent quitter l’Eglise : « On ne peut plus avoir Dieu pour père si l’on n’a pas l’Eglise pour mère. »
L’Esprit a été donné à l’Eglise de manière définitive, pour qu’elle ne puisse errer dans l’enseignement du salut.
Le péché commis ne remet pas en cause la sainteté de l’Eglise, qu’elle reçoit de son union définitive au Christ.
A l’heure où l’athéisme et le rationalisme devenaient monnaie courante dans la société occidentale, créant un climat d’indifférence massive, l’accueil de l’Esprit s’est traduit au contraire par une expression plus forte, comme on l’a vu dans les premiers temps du renouveau charismatique, par exemple. Aujourd’hui, le climat a changé. L’heure est davantage, dans le monde occidental, à une croyance diffuse en un dieu cosmique, énergétique, identifié à la recherche du bien-être et de la jouissance du ressenti. Cette conception du bonheur, véhiculée largement par le monde social et politique ambiant, cherche à s’imposer. Des attaques explicites contre le christianisme émergent alors à nouveau (…) Les charisme d’enseignement et de discernement sont à demander avec insistance.
Plus nous avançons vers l’union avec le Christ, plus notre vie est habitée par le désir qui brûle, dans le Cœur du Christ, de répandre sur la terre le feu de son Esprit, la miséricorde infinie du Père pour tous les hommes, afin que tous soient sauvés, délivrés de l’emprise du mal et de la mort. Ce désir a consumé le cœur des saints. Les chrétiens sont tous appelés à cette mission.
Mais si nous comprenons que, dans la mission, l’Esprit devance toujours les apôtres, et qu’il est le véritable maître des cœurs, alors il est possible de devenir véritablement missionnaire…
Unie à toute l’Eglise, depuis l’heure de la Croix où elle est devenue la mère du disciple bien aimé, la Vierge Marie…
Ambitions, désirs, rêves et projets font partie de notre existence et attestent, à leur manière, que nous sommes bien vivants, à vue humaine en tout cas, et c’est déjà beaucoup. Cependant, l’itinéraire spirituel à la suite du Christ conduit à choisir, de plus en plus librement, l’union à Dieu et la voie de l’amour comme l’unique nécessaire. Il n’est pas rare alors que le chrétien soit appelé, sur fond de pauvreté, à choisir la vie ordinaire, la vie quotidienne en sa simplicité, comme le chemin le plus sûr et la voie la plus directe vers l’accomplissement plénier de son désir. La maturité spirituelle consiste à trouver, dans la vie ordinaire, l’extraordinaire de la présence de Dieu, la merveille du don de Dieu offert, jour après jour, à nos existences, les innombrables occasions données pour accueillir et répandre l’amour.
La vie spirituelle est une vie d’enfant du Père. En sa simplicité, cette attitude spirituelle est radicale. Vivre en enfant du Père, c’est attendre tout de Dieu, jour après jour, instant après instant.
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