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dimanche 17 mars 2019

« Le livre de Losey » de Michel Ciment (1979)


Mais le grand problème, au niveau personnel et professionnel - qu’on soit acteur, réalisateur ou simple être humain, c’est le degré jusqu’auquel on se permet d’être vulnérable à la destruction, aux blessures, le degré jusqu’auquel on se protège contre cela, risquant alors de perdre toutes les choses qui émanent de cette vulnérabilité(…) Car nous sommes tous terrifiés. Ce dont je parle, c’est d’atteindre une sorte d’équilibre avec la peur, encore une fois, l’équilibre entre la vulnérabilité et la carapace de protection. (1964) 

Les catastrophes de ma vie semblent toujours avoir tourné à mon avantage… 

« J’ai entendu certaines de vos émissions, qui sont très bonnes. Voulez-vous venir à Hollywood ? « 
Je répondis : « Je le crois, mais je n’en suis pas sûr ; quelle est votre offre ? 
-Un contrat de sept ans, commençant à trois cent cinquante dollars par semaine, cinquante-deux semaines par an, toute l’année. »
C’était plus d’argent que je n’en avais jamais vu. Mais je refusai parce que je ne voulais pas de contrat d’esclave. Mon premier mariage se défit alors, à l’amiable, mais irrévocablement… 

Donc en fait Bressler monta le film en ma présence, mais sans moi, et il se plaignit de mon incompétence auprès de L.K Sidney, l’un des vice-présidents, le père de George Sidney, parce que j’avais tourné un film qu’on ne pouvait pas monter. Je rétorquai : « Ce n’est pas vrai. Si vous me laissez faire, il peut être monté. » 
Eh bien, si j’avais échoué à ce moment-là, Dieu sait ce que j’aurais fait. Je n’avais nulle part où aller et j’avais une nouvelle femme qui n’était pas bon marché. Et je me rappelle que j’étais si ému que j’éclatai en sanglots, à ma grande honte.

Je n’avais rien au cœur. Ce n’était que de la panique pure et simple parce que je n’avais rien, pas de famille - ma femme m’avait quitté. Mon fils était en pension aux Etats-Unis. Je n’avais pas de maîtresse. Je n’avais pas d’argent. Je n’avais pas de travail. J’avais quarante-quatre ans. J’étais à l’âge où la plupart des gens atteignent leur maximum, et tout ce que j’avais réalisé ne voulait rien dire.

- Vous semblez très intéressé par les gens esclaves de leurs passions.
- La plupart des gens que je connais le sont. Et la plupart des gens que je connais sont esclaves de leur passé, parce que même si leur passion n’a duré que peu de temps, il y a toujours quelque chose de cette passion qui continue à vous hanter sous une forme ou une autre et refait surface dans votre vie ultérieure. Toute espèce de passion. Pour le travail, pour l’art, pour des lieux. 

Je me rappelle le jour où, dans le couloir de l’hôtel, je me dirigeais vers l’ascenseur avec Robert Hakim - il était très poli et ne vous raccompagnait pas seulement à sa porte, mais jusqu’à l’ascenseur. Il me dit : « Joe, rappelez-vous que je suis très riche et que je ne suis pas obligé de faire ce qui ne me plaît pas. Je ne suis pas obligé de produire ce film avec ce scénario. » Je lui répondis : « Robert, rappelez-vous que je suis très pauvre et que je ne pas non plus obligé de faire ce qui ne me plaît pas. Et je ne veux pas tourner le scénario dont vous parlez. » 

Il y a donc une espèce de terreur qui est lié au renoncement à un grand nombre de garanties qui faisaient partie de notre société sans rien avoir pour les remplacer, parce que la société, elle, n’a pas changé et que nous rejetons les garanties mêmes dont nous avons besoin. Et je ne puis échapper à cette panique que dans le travail. Cela vient peut-être d’une éthique du travail transmise par une éducation puritaine, je ne sais. Je suis un peu perdu, et c’est comme si ma vie n’avait pas de sens, comme si je n’avais rien réussi, et je ressens le passage du temps, de ma santé, comme un fardeau ou comme une faute. 
       
… il est clair que la femme n’avait alors - et c’est toujours en grande partie vrai - qu’une seule arme, le sexe. Si elle veut faire carrière, ou si elle veut avoir une vie stable, ou si elle veut vivre en marge, quelle que soit sa vie qu’elle choisit, elle la réalise par le sexe, d’une façon ou d’une autre, qu’elle utilise sa sexualité ou qu’elle refuse de le faire. 

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