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lundi 4 novembre 2013

« Le cimetière de Prague » d’Umberto Eco (2010)

Les Français n’aiment pas leurs semblables, pas même quand ils en tirent avantage. Personne n’est aussi mal embouché qu’un gargotier français, il a l’air de haïr le client (et c’est sans doute vrai) et de désirer son absence (et c’est faux, car le français est d’une immense avidité) (…) Le Français ne sait pas bien ce qu’il veut, sauf qu’il sait à la perfection qu’il ne veut pas ce qu’il a (…) Leur avarice, on la voit avec leurs appartements poussiéreux, leurs tapisseries jamais refaites, leurs baignoires qui remontent à leurs ancêtres.

L’Italien est peu sûr, menteur, vil, traître, il se trouve davantage à son aise avec un poignard qu’avec une épée, mieux avec le venin qu’avec la médecine, gluant dans les tractations…

On a dit que les femmes ne sont qu’un succédané au vice solitaire, sauf qu’il y faut plus d’imagination.

En France comme en Italie, ils se sont masqués en adoptant des noms de ville ou de lieux, tels Ravenna, Modena, Picard, Flamand, parfois ils se sont inspirés du calendrier révolutionnaire (Froment, Avoine, Laurier) – fort justement, vu que leurs pères ont été les artisans occultes du régicide. Mais il faut faire attention aussi aux prénoms qui, parfois, cachent des noms juifs, Maurice vient de Moïse, Isidore d’Isaac, Edouard d’Aaron, Jacques de Jacob et Alphonse d’Adam…

Voilà, m’étais-je dit, le parvenu sémite qui s’insinue dans les bonnes familles pour faire carrière. Et cette tension pour sa fiancée ne trahissait-elle pas la nature sensuelle et voluptueuse de l’Israélite, toujours habité par le sexe ? Tu penses à elle, la nuit, pas vrai ? Et sans doute, tu te touches, hein, en l’imaginant ; toi aussi tu aurais besoin de lire Tissot.

- Jacques de Molay était le grand maître des Templiers que le roi avait fait brûler à Paris, sur l’extrême pointe de l’île de la Cité.
-  Mais quand a-t-il été brûlé, ce Molay ?
-  En 1314.
- C’est presque 500 ans avant la Révolution. Et qu’ont fait les
  Templiers pendant ces cinq cent années pour rester cachés ?
- Ils se sont infiltrés dans les corporations des anciens maçons des cathédrales, et de ces corporation est née la maçonnerie anglaise qui se nomme ainsi parce que ses membre se considéraient free massons, en somme des libres maçons (…) les Templiers des origines et les libres maçons avaient été conquis et corrompus par les Illuminés de Bavière ! (…) Ils avaient donné vie au club dit des Jacobins, d’après justement la Révolution en France !

La vraie liberté est le droit qu’a l’homme de suivre la loi de Dieu, de mériter le Paradis ou l’Enfer. Au contraire, à présent on entend par liberté la possibilité de choisir les croyances et les opinions qui te chantent le mieux, où l’une vaut l’autre – et il est égal pour l’Etat que tu sois franc-maçon, chrétien, israélite ou disciple du Grand Turc. De cette façon, on devient indifférent à la Vérité.

Le cimetière de Prague existait depuis le Moyen Age et, au cours des siècles, comme il ne pouvait s’étendre au-delà du périmètre autorisé, il avait superposé ses tombes, au point de couvrir peut-être cent mille cadavres, et les pierres funéraires devenaient de plus en plus denses, l’une presque adossée à l’autre, obscurcies par les feuillages des sureaux, sans aucun portrait pour les ennoblir parce que les Israélites ont la terreur des images (…) cet espace avait l’air de la bouche grande ouverte d’une vieille sorcière édentée. (…) Et au centre se trouvait la tombe de Rabbi Löw qui, au XVIIè siècle, avait créé le Golem, créature monstrueuse destinée à accomplir les vengeances de tous les Israélites.

Il faut revenir aux mots de Luther, quand il disait que les Juifs sont mauvais (…) perfides serpents, venimeux, avides, vindicatifs, assassins et enfants du Démon, qui blessent et nuisent en secret.

Jadis, les saletés, on les jetait dans la rue, on avait même fait une loi qui obligeait à crier « Attention à l’eau ! » avant de jeter ses propres besoins par la fenêtre, mais c’était trop fatigant, on vidait le vase de nuit et tant pis pour ceux qui passait dessous. Puis on a fait dans la rue des canaux à ciel ouvert, et enfin ces conduits ont été recouverts et les égouts sont nés. Maintenant le baron Haussmann a fini par construire un bon système souterrain à Paris, mais il sert surtout à faire s’écouler les eaux, et les excréments s’en vont pour leur part, quand le conduit sous votre siège ne s’engorge pas, vers une fosse qui est transportée et vidée de nuit dans de grandes décharges.

Vous savez que dans certaines loges, l’usage est de poignarder l’ostie pour sceller un serment.

Les jours difficiles ont donc commencé en septembre avec la stratégie de Sedan. Napoléon fait prisonnier de l’ennemi, l’Empire s’écroulait, la France entière entrait dans un état d’agitation presque (presque pour le moment) révolutionnaire (…) A la mi-septembre, les Prussiens étaient arrivés aux portes de Paris ; ils avaient occupé les forts qui auraient dû défendre la ville, qu’à présent ils bombardaient. Cinq mois d’un siège très dur pendant lesquels le grand ennemi deviendrait la faim (…) A parcourir les jardins publics comme le Luxembourg, au début on aurait dit que Paris vivait au milieu du bétail, parce qu’on avait amassé ovins et bovins dans l’enceinte de la ville. Mais dès octobre, on disait qu’il ne restait pas plus de 25 000 bœufs et 100 000 moutons, ce qui n’était rien pour nourrir une métropole (…) l’hippophagie exterminait tous les chevaux non défendus par l’armée (…) plus l’ombre d’un lapin en vue et des boucheries ne se gênaient plus pour exposer d’abord des beaux chats bien repus et puis des chiens. On avait abattu tous les animaux exotiques du Jardin d’Acclimatation et, la nuit de Noël, pour qui avait de l’argent à dépenser, chez Voisin, on avait offert un menu somptueux à base de consommé d’éléphant, chameau rôti à l’anglaise, daube de kangourou, côtelettes d’ours à la sauce poivrade, terrine d’antilope aux truffes, et chats avec garniture de petits rats de lait – car, il désormais, non seulement sur les toits n’apparaissaient plus de moineaux mais souris et rats disparaissaient des égouts (…)
En janvier, on saignait un armistice avec les Allemands, à qui on avait concédé en mars une occupation symbolique de la capitale – et je dois dire que même pour moi ça a été assez humiliant de les voir défiler avec leurs casques cloutés sur les Champs-Elysées (…)

Thiers se retirait de Versailles avec tout le gouvernement et fin mars à Paris on proclamait la Commune. Maintenant, c’était le gouvernement français (de Versailles) qui assiégeait et bombardait Paris depuis le fort du Mont-Valérien, tandis que les Prussiens laissaient faire, et même se montraient assez indulgents pour qui passait leurs lignes, si bien que Paris, au deuxième siège, avait plus de nourriture que pendant le premier : affamée par ses propres compatriotes, la ville était indirectement approvisionnée par l’ennemi. Et, comparant les Allemands aux gouvernementaux de Thiers, on commençait à murmurer que, en fin de compte, ces mangeurs de choucroute étaient de braves chrétiens.

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