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lundi 6 mai 2013

« On/off » d’Ollivier Pourriol (2013)


En régie :
- Ce qui compte, ce n’est pas vraiment la brièveté, mais plutôt la vitesse. D’abord pour piquer la parole. Il faut avoir le réflexe de commencer à parler avant d’avoir quelque chose à dire.

En coulisses avec un technicien :
- C’est écrit sur le conducteur. Avec le timing à la seconde. Mais personne ne me briefe. Ni avant, ni après. Tu crois que je dois demander des conseils à la répét’ ?
- Surtout pas. Observe bien. A la répét’, personne ne dit rien, pour ne pas se faire piquer ses questions.
(…)
- C’est le principe de l’émission. On balance des chroniqueurs à proximité du superprédateur et on regarde qui s’en sort. Ne crois pas que les gens regardent un talk show : ils regardent, comme dans une arène, qui bouffe qui, qui survit, qui crève.
(…) Il te donne la place du mort. Quand il te donne la parole, il te regarde fixement, sans un sourire. Il attend. Il observe. Il juge. Si les gens rient, il rit avec eux.

………… 

- Si tu fais un truc qui a du contenu, et que le lendemain on te dit que tu as fait une audience de merde, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même. Avec ton contenu, tu auras perdu de l’audience. Alors que si tu fais une émission de pur rythme, sans contenu, d’humeur, comme ils disent, et que tu fais une audience de merde, ça sera la faute à pas de chance, incompréhensible, ou un accident malheureux. Une mauvaise soirée, la faute à la lune. On oublie et on recommence. C’est le principe de précaution. Contre le contenu.

Bar d’hôtel dans le VIIIè, avec un chroniqueur
- Le seul conseil que je puisse te donner, c’est d’être plus avec nous. Plus dans l’humeur. Sois moins cérébral. Essaye d’être un peu moins intelligent, voilà.
- (…) J’ai l’impression d’arriver dans un dîner de famille comme une pièce rapportée, un étranger ou un huissier. Après l’émission, tout le monde disparaît sans un mot, c’est assez mystérieux, on dirait un tour de magie.

Restaurant japonais de luxe, avec le producteur
Bon, en première partie, sur le direct, tu as un problème de rythme.
Un problème de rythme ? Tu crois pas que j’ai un problème de place pour commencer ? Je ne vais pas couper la parole à mes voisins pour en placer une ! (…) Toutes mes interventions sont coupées au montage.
Ah bon ?
Il reste une question sur trois, les bons jours. Tu ne regardes pas ton émission ?

Sortie de plateau avec un technicien
- Si tu ne veux pas être coupé au montage, il ne faut pas attendre ton tour pour parler. Tu dois parler avant la fin des applaudissements. Même si tu n’entends pas ce que tu dis, ils ne pourront pas te couper parce qu’ils n’auront pas de point de montage (…) Ou alors si c’est un invité international, tu te cales dans l’intervalle, juste quand l’incité a fini sa phrase, mais avant que le traducteur ait terminé. Comme ça tu n’interromps pas l’invité, et tu ne peux pas être coupé, parce qu’ils n’ont pas de point de montage non plus.

…………… 

- Tu t’enfonces sous la terre. Et quand tu débarques sur le plateau, c’est comme dans Gladiator, quand il entre dans l’arène avec les lumières dans la gueule, le vacarme des applaudissements, et vous qui attendez assis derrière votre grande table (…) On t’accueille, on t’assied, on te questionne. On dirait un tribunal souterrain (…) On a l’impression que vous êtes trop nombreux. Qu’on va pas s’en sortir vivant.

- C’était quoi, cette sirène ?
- Ils ont appelé ça l’alerte CSA. Ils l’envoient soi-disant quand le candidat a terminé son temps de parole.
(…) Mais pour une fois qu’on ne peut pas leur reprocher d’interrompre un invité, ils ne vont pas se gêner. D’habitude, c’est un problème insoluble. Comment faire taire celui qu’on a invité tout en lui faisant croire qu’on l’a invité pour parler ?

Au bureau, préparation de l’émission
- Il est chiant, Bayrou, il veut jamais rien faire.
- Et puis, il fait jamais court. On dirait vraiment un prof.
(…)
-  La dernière fois déjà il a refusé d’entrer dans la « Boîte à questions ». Il a dit qu’il ne faisait plus ce qui le gonflait.
- En même temps, il continue à venir dans l’émission.
- Il a besoin de nous.
- L’autre jour, il voulait changer la date de son émission parce qu’il était en déplacement. Non mais pour qui il se prend ?
- Ben il est en campagne quand même ?
- La campagne, tu peux le dire. S’il trouve plus important de faire un meeting bouseux en province, il faut qu’il change de métier.
- Et puis il s‘habille comme un prof de sciences nat’.

……………

- Comment tu sais qu’ils ne te reprennent pas à la rentrée ? Ils te l’ont dit ?
-Personne ne dit rien. Mais tout le monde le sait.
- Mais qui t’a viré ?
- Personne. Je l’ai appris en le lisant sur Internet. En même temps, j’avais appris mon recrutement en lisant Libé.

- Quand il y a trop d’argent en jeu, tu sais comme c’est, on ne peut plus rien dire. On se contente d’émettre des signes. Et même des signes de signes. On ne veut pas de l’intelligence, on veut les signes de l’intelligence (…) Le rire est un signe que s’adressent les rieurs, indépendamment de la blague.
-  Quand tout le monde fait comme si c’était drôle, ça le devient ?
-   Pas vraiment. C’est plutôt que ça n’a même pas besoin de l’être. Ce qui compte, c’est les signes.
-   C’est ça, au fond, une émission d’humeur.
-  Voilà. Si tout le monde fait semblant d’être de bonne humeur, le contrat est rempli (…) Ne déplaire à personne, faire de la drague de masse. Toujours essayer de faire son intéressant. C’est ça qui est dégoûtant. Devoir faire semblant d’être intéressant. Devoir se battre pour prendre la parole alors que la parole ne se prend pas, elle se partage.

Bar d’hôtel avec un producteur télé

-  La pensée ressemble à un ciel d’orage, il faut accepter la confusion, le désordre, le danger de l’improvisation, le risque de ne pas trouver. Il faut du temps, une certaine lenteur, qui produit des éclairs de manière sporadique, imprévisible. Un ralentissement du monde qui permet, de temps en temps, la vitesse absolue de la pensée.
-  Un éclair, puis la nuit.
-  Voilà. Dans l’autre sens. La nuit, puis un éclair. Alors qu’en télé, on est tout le temps dans la clarté, en pleine lumière. Pas le temps pour le risque. Juste des bulles préfabriquées. De temps en temps un éclair. Mais c’est un accident. Invisible, parce que sur fond de lumière. Pas de place pour la nuit, pas de temps pour l’obscurité. Tout est prévu. C’est ça, produire, en télé (…) Si tu veux rester, ne dis jamais ce que tu penses. Quand quelqu’un dit ce qu’il pense, ça provoque un silence gêné. Tout le monde regarde ses chaussures (…) Tu sais ce que disait Nietzsche ? On peut juger de la qualité d’un esprit à la quantité de vérité qu’il est capable de supporter. (…) Là c’est l’inverse. On juge de la qualité d’un individu à la quantité de mensonge qu’il est capable de supporter.

…………

-  Tu sais ce que disait Platon, que les philosophes devaient être rois ? Là, les rois ce sont les cancres. J’ai été prof, je les connais toutes, les techniques pour faire semblant de savoir sans avoir appris, pour parler d’un livre qu’on n’a pas lu, dire du bien d’un film qu’on n’a pas aimé, poser une question écrite par quelqu’un d’autre, répéter une information qu’on vient de te souffler à l’oreille (…)
-  Tu me disais que les fiches étaient faites par des génies.
-  Comme au collège. Les bons élèves font les devoirs des mauvais, qui leur filent un pain au chocolat pour les dédommager (…) A chaque fois qu’on m’a dit que j’étais intelligent, c’était pour me signifier mon inadaptation. C’est très paradoxal, parce que l’intelligence c’est l’art de s’adapter. Et donc plus on me disait que j’étais intelligent, plus on me prenait pour un con.

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