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dimanche 3 mars 2013

« Un inconnu nommé Jésus », de Daniel Spoto (1998)


A l’époque de Jésus, le symbole de l’étoile était lié, dans la tradition juive, à la naissance d’Abraham. Le jour de la naissance du patriarche, selon un midrash (méditation exégèse nourrie par l’enseignement rabbinique) du temps, les astrologues annoncèrent qu’ils avaient vu une étoile monter dans le ciel (…) Jésus que Mathieu désigne, dans le premier verset de son Évangile, comme étant le « fils d’Abraham ».

« La fortune des nations (c’est-à-dire des Gentils, des non-Juifs) viendra jusqu’à toi (…) ils apporteront de l’or et de l’encens, et se feront les messagers des louanges du Seigneur » (Isaïe, 60, 5-6)

« L’épouse d’Amram (…) Dieu lui apparut dans son sommeil, l’exhortant à ne pas désespérer de l’avenir (…) Cet enfant (dit Dieu) échappera à ceux qui projettent de le supprimer (…) et il délivrera le peuple hébreu de sa servitude en Egypte (…) » L’un des scribes sacrés (personnages doués de grandes aptitudes à prédire l’avenir avec précision) annonça au roi qu’un enfant allait naître chez les Israélites, qui humilierait la puissance des Egyptiens et qui élèverait les Israélites (…) Aussi, alarmé, le roi ordonna que soient tués tous les enfants mâles qui naîtraient chez les Israélites.

Matthieu ancre dès l’abord les réflexions sur le sens de sa vie (…) dans un contexte culturel typiquement juif  (…) Jésus est présenté comme le véritable Israël et le nouveau Moïse.
Quant à la fuite précipitée de la famille en Egypte et à leur séjour qui y dura, semble-t-il, deux années – dont on ne trouve nulle autre part mention dans le Nouveau Testament -, sans doute expriment-ils aussi la pensée religieuse de Matthieu, car ils sont incompatibles avec le récite que fait Luc d’un retour paisible et sans histoire de Bethléem à Nazareth. Plus révélateur encore, on ne trouve aucune allusion au massacre des bébés juifs (cet acte horrible que Matthieu attribue à Hérode, à l’époque de la naissance du Christ, et qui aurait dû faire grand bruit) dans les écrits de Flavius Josèphe, qui se complaît pourtant à décrire les moindres méfaits du roi.

Les simples langes dont il est emmailloté ne trahissent pas la misère, ils (…) nous renvoient directement à Salomon, le plus riche des rois d’Israël : « J’étais soigneusement emmailloté dans des langes, car il n’y a aucun autre moyen pour un roi de commencer sa vie ».
Qinsi, Jésus, né dans la ville royale de David, n’est-il pas trouvé dans une auberge comme un étranger de passage, mais dans une mangeoire – comme la véritable subsistance de son peuple ; et il y est emmailloté dans les atours d’un véritable roi.

Ces bergers (…) symbolisaient la filouterie et l’absence de scrupule, ayant pour habitude d’emmener leurs moutons sur les terres des autres, de voler leurs voisins et de revenir le soir avec plus d’animaux qu’ils n’en avaient le matin.

(…) le patriarche Joseph avait été (selon le Livre de la Genèse) « l’homme des rêves », qui s’était rendu en Egypte, où il avait sauvé son peuple de la famine. Est-ce un hasard si Joseph, le père de Jésus, est la principale figure du Nouveau Testament à recevoir des révélations en rêve – et s’il est le seul à se rendre en Egypte ?

Chez Luc, la situation est très comparable. Les parents de l’Ancien Testament, Abraham et Sarah, se retrouvent indirectement dans les figures de Zacharie et d’Elisabeth, parents de Jean-Baptiste (…) Ainsi, de même qu’Anne amena son fils Samuel pour le présenter au Seigneur et qu’il fut accueilli par le vieil Eli, de même Marie amène l’enfant Jésus au Temple, où il est accueilli par le vieux Syméon.

Jesus suscite l’antipathie et même, par sa personne et son message, la franche hostilité de ceux qui convoitent le pouvoir ici-bas. Il se mêle aux bergers, aux débauchés, aux voyous – s’identifiant ainsi dès le départ aux proscrits, aux pauvres, aux humbles.

Dieu crée, Il revendique ce qu’Il a créé, Il aime ce qu’Il a créé et le sauve pour toujours. C’est l’Evangile : la Bonne Nouvelle.

Un « mystère », il faut le préciser, n’est pas quelque chose d’infiniment inconnaissable ni d’à jamais incompréhensible, c’est au contraire quelque chose à saisir toujours plus avant, à connaître toujours plus profondément.

La Bible elle-même, guide indispensable de notre foi, la Bible ne représente que des tentatives faites par des êtres humains pour exprimer ce qui est totalement inexprimable : l’identité, la nature, la signification de Dieu pour le monde.

Un profond silence intérieur est la condition de l’écoute, de l’attention véritable, ile st la condition même de la prière ; il ne signifie pas se couper de toute perception, mais s’ouvrir à la Présence enveloppante qui rend le souffle et la vie possibles.

La vie créative de l’artiste, comme la vie intérieure de chacun d’entre nous, a besoin d’intuition et de réflexion silencieuses pour mettre les choses en images ou en mots, en notes ou en vers.

Pour ce qui concerne Jésus, la date la plus probable de sa naissance se situe quelque part en 7 ou 6 avant J-C.

(…) une très jeune femme de 12 ou 13 ans conçut un fils (…) Le mot « fiancée » peut d reste nous induire en erreur, car pour les Juifs de l’époque il signifiait « mariée ». La cérémonie des fiançailles, arrangée par les parents du couple, avait généralement lieu lorsqu’une fille avait 12 ans…

(…) en introduisant très tôt Jean-Baptiste dans la sphère de Jésus, dès avant leur naissance, l’auteur veut corriger la rivalité qui opposait les disciples des deux hommes à la fin du Ier Siècle. Une fois encore, le texte use d’une métaphore destinée à frapper les esprits, car les relations entre Jean et Jésus n’étaient pas celles d’une parenté réelle, mais celles d’une fraternité spirituelle. (Nulle part ailleurs le Nouveau Testament ne laisse supposer un quelconque lien entre les familles ; en fait, lorsque Jean-Baptiste rencontre Jésus à l’âge adulte, il affirme : « Je ne le connaissais pas. »).

Hormis donc la conception virginale, la matière des chapitres 1 et 2 de Matthieu, centrée sur Joseph, est en tout point différente de celle des chapitres 1 et 2 de Luc, centrée sur Marie (…) La conception miraculeuse et virginale de Jésus, le tumulte et le remue-ménage causés par sa naissance ne sont jamais mentionnés dans les récits de sa vie publique (…) Le silence que garde la Bible à ce sujet, si l’on excepte la brève mention qu’en font Luc et Matthieu, laisse supposer soit que ces « faits » n’étaient pas connus ou pas admis par l’Eglise du Ier siècle, soit qu’ils n’étaient pas considérés comme essentiels pour la profession de foi dans le Christ.

Quand le jeune garçon leur répond qu’il est normal pour lui de se trouver dans la maison de son Père, ses parents « ne comprirent pas ce qu’il leur disait ». Plus tard, on nous dit que Marie et les frères de Jésus viennent « pour s’emparer de lui, car ils disaient : « Il a perdu la tête. » et que « ses frères eux-mêmes ne croyaient pas en lui. » Pourquoi ne croyaient-ils pas en lui, si véritablement les circonstances de son entre dans le monde avaient été si remarquables ? La famille de Jésus serait-elle, dans ce cas, restée dans l’ignorance ?

Non qu’il faille voir en Joseph un vieil homme au seuil de la mort, comme l’art religieux a pris l’habitude de le peindre, sans doute afin de laisser entendre qu’il était pour Marie lus un père qu’un époux. Cette image d’un vieil homme marié à une jeune femme insinuait de tout évidence, une union sans relations sexuelles.

« D’après la foi de l’Eglise, sa qualité de Fils de Dieu ne tient pas au fait que Jésus n’ait pas de père humain : la doctrine de la divinité de Jésus n’en serait pas affectée s’il avait été le produit d’un mariage humain normal. Car la qualité de Fils dont parle la foi n’est pas unfait biologique, mais ontologique ; c’est un événement qui prend place non dans le temps, mais dans l’éternité de Dieu. » (Cardinal Josef Ratzinger)

Seul l’homme moderne, trop rationnel, pense (sottement) que ces récits ne sont pas vrais.

Les chapitres liminaires de Luc et de Matthieu offrent dans des formes littéraires fort différentes de celles des chapitres suivants, deux types de résumés de la signification et de l’importance de la personne de Jésus, à destination de communautés imprégnées d’histoire et de cultures juives – de même que les onze premiers chapitres de la Genèse offrent une ouverture, un lever de rideau, qui se comprend et s’apprécie à la lumière de la suite du texte.

(…) même la Commission biblique pontificale de l’Eglise catholique romaine (…) enseigne depuis plusieurs décennies que les Evangiles doivent être étudiés, avec soin dans le respect des formes littéraires et des normes en vigueur à l’époque où ils ont vu le jour.

(…) la fort ancienne coutume consistant à baptiser de très jeunes enfants est éloquente : c’est d’abord Dieu qui agit, avant même de nous ayons l’intelligence nécessaire pour Lui répondre.

Tout ce que nous exprimons de l’expérience humaine est, d’une façon ou d’une autre, une métaphore (littéralement, un transfert, une façon de transporter au moyen de signes) : écrits et paroles, comme la peinture et la musique, remplacent une autre réalité.

Quand Jeanne d’Arc se tenait devant les évêques, ils lui demandaient : « Ne croyez-vous pas que ce que vous appelez vos voix venant de Dieu ne sont en réalité rien d’autre que votre imagination ? ». A quoi la paysanne illettrée de 19 ans répondait, avec un sagesse digne des mystiques : « Bien sûr que c’est mon imagination ! Comment Dieu pourrait-il nous parler, sinon à travers notre imagination ? » Ce qui fit taire pour quelque temps les évêques.
La jeune fille avait raison, bien sûr. Nous n’avons pas d’autre moyen de traduire notre expérience sinon en images, en concepts intérieurs qui utilisent la faculté suprême de l’imagination – la production d’images. Nous ne fabriquons pas, nous inventons – nous mettons au jour, nous découvrons ce qui était déjà là.

Il était celui qui « s’occupait de faire le bien et de guérir tous ceux que le diable tourmentait, car Dieu était avec lui. » Telle était la nature de Jésus de Nazareth, ainsi qu’elle est résumée une fois pour toutes dans les premières proclamations chrétiennes.

Ces documents nous font remonter bien plus près des premiers évènements du christianisme que le ne le font les écrits fondateurs de n’importe quelle religion.

A mes yeux, les Evangiles ne parlent guère du passé parce qu’ils parlent beaucoup du présent – le leur et, plus encore, le nôtre. Avec eux, nous nous interrogeons non pas sur les épisodes de la vie de chair de Jésus, mais sur la signification de sa vie éternelle. Le Jésus dont ils témoignent appartient à un présent éternel, que nous pouvons découvrir à chaque instant.

La biographie moderne, fondée sur un vaste appareil de faits, de sources et de documentation, n’était pas un genre connu du monde antique (…) Pendant de longs siècles, on avait admis que le point de vue de l’auteur ainsi que son expérience personnelle apportaient autant de sens à l’ouvrage que les faits nus qu’il y présentait. Et s’il avait été touché, ému, inspiré même par son sujet, cela ne donnait que plus de valeur à son œuvre. Dans un récit moderne, les faits passent un peu trop rapidement pour la réalité elle-même : ils ne sont pas la réalité – c’est l’interprétation qui nous conduit à elle.

S’associer avec des femmes était aussi inusité et révolutionnaire que partager ses repas avec des parias ; et cela le mettait en confrontation immédiate et directe avec les mœurs juives dominantes (…) Les femmes, les esclaves et les enfants constituaient les trois groupes sociaux privés de droits en Israël ; ils étaient donc parmi les destinataires privilégiés (comme les percepteurs et les pécheurs notoires) de l’amour et de la sollicitude de Jésus.

En Israël, elles étaient entièrement privées de droits civils et légaux, et ne pouvaient témoigner lors des procès (…) elles ne pouvaient ni enseigner en public ni lire des prières à haute voix à la maison ; même dans le Temple de Jérusalem, il leur était interdit de pénétrer plus avant qu’une cour extérieure.
« Evitez de parler à une femme dans la rue », disait une maxime rabbinique d’usage courant ; cela s’appliquait même à l’épouse, qui devait rester plusieurs pas derrière son mari. La Loi juive interdisait à un homme de se trouver seul avec une femme qui n’était pas son épouse ; il ne pouvait même pas saluer une femme, moins encore la regarder, et celle qui parlait à des étrangers pouvait être immédiatement répudiée par son mari.

… « miracle » (du verbe latin mirari, « s’étonner ») (…) En réalité, nombre de lois prétendues naturelles sont, comme je l’ai suggéré, simplement statistiques : elles décrivent ce qui arrive en général. Par conséquent, un miracle ne viole ni ne transgresse la nature : il élève cette nature, il nous fait une promesse, nous laisse entrevoir un accomplissement.

L’idée d’un Samaritain pris comme modèle de pieux comportement, de compassion affectueuse et profonde prévalant sur les anciennes querelles était aussi étonnante que si, de nos jours, un tortionnaire nazi ou un agresseur d’enfant devenait le héros d’une parabole (…) Jésus prononçait rarement le mot « amour » quand ce n’était pas pour l’appliquer à la nature de Dieu. Au lieu d’en abuser et de le transformer ainsi en un cliché vide, il explicitait la réalité de l’amour dans sa dimension humaine : il parlait de pardon, de compassion, de réconciliation, de refus de la vengeance.

Jésus considérait tout le monde come une victime. Mais il ne décernait pas de récompense pour le seul fait de posséder ce statut ; et les victimes n’avaient droit, à ses yeux, à aucun privilège particulier (contrairement à ce qu’elles réclament souvent aujourd’hui). Enfin, chacun pouvait sortir de ce cycle infernal qui voulait qu’on fût, tour à tour, trompeur et trompé.

Etre soutenu par Dieu n’élimine pas les douleurs et les défis de la vie : sur la croix, Jésus a été rejeté, est mort comme un criminel ; il était complètement abandonné et sa vie, du point de vue de la réussite terrestre, était un échec total.

« L’incertitude sur l’avenir, sur l’issue que trouveront quelques-uns des plus graves problèmes de notre vie, c’est l’une des douleurs majeures que connaissent les hommes. Un Jésus sachant exactement ce qui allait se produire deviendrait une sorte d’acteur sur la scène du temps, qu’aucune vicissitude n’affecterait jamais. Ce Jésus-là n’aurait pas craint la mort, puisqu’il aurait parfaitement su comment il en triompherait, ni n’aurait jugé nécessaire de prier pour être délivré d’une exécution si terrible. » (Brown, « Critical meaning »)
En d’autres termes, Jésus partageait bel et bien l’ignorance normale de tout être humain.

Et personne ne sait mieux que Lui qu’un pécheur a besoin de temps pour se repentir : c’est l’une des raisons pour lesquelles aucun disciple de Jésus ne peut, quelles que soient les circonstances, tolérer la peine capitale. Cette question est essentielle pour la foi et la pratique chrétiennes. Dès les premiers temps de la croyance en Jésus, à ceux qui se présentaient pour être baptisés, on interdisait à jamais d’effectuer une exécution, même légalement autorisées. « On ne peut permettre à aucun soldait, revêtu de l’autorité, de mettre quelqu’un à mort ; s’il en reçoit l’ordre, il ne doit pas le faire. » C’est ce qu’établissait la « Tradition apostolique » de saint Hippolyte, en 215 après J-C (…) Être partisan de la peine capitale, en d’autres termes, c’est se prendre pour Dieu à plus d’un égard – non seulement en enlevant une vue, mais aussi en décidant qui peut ou ne peut pas être transformé par la grâce et le pardon de Dieu.

Car l’amour est une question de volonté, pas toujours, ni même avant tout, de sentiment.

Les prétendues lois nouvelles édictées par Jésus (…) décrivent plutôt les signes d’un nouvel ordre du monde, provoqué par l’incursion radicale de la grâce.

Une Juive qui s’aventurait hors de chez elle le visage à découvert pouvait s’attendre que son mari l’assigne en divorce avant la tombée de la nuit ; et certaines femmes craignaient tant d’être vues non voilées qu’elles restaient dissimulées même à la maison, de peur qu’un visiteur ou qu’un passant ne les aperçoive (…) « Il est convenable quelles femmes demeurent chez elles et vivent retirées », écrivit l’homme d’Etat et philosophe juif Philon, contemporain de Jésus – Jésus qui, nous l’avons vu, négligeait touts les coutumes et traditions enjoignant de ne pas parler aux femmes.

Peut-être, de même que le baptême inaugure le processus par lequel on devient chrétien, pourrait-on voir le mariage comme le début du processus par lequel deux personnes tendent à nouer un lien spirituel, lien que se verra fortifier ou affaiblir, renforcer ou amoindrir, par l’expérience et la volonté d’un engagement au quotidien, et par elles seules.

Notre tâche n’est pas réussir, mais de vivre dans la fidélité, de nous laisser transformer par l’amour infini.

Le critère de notre amour de Dieu, c’est la bienveillance dont nous usons aussi bien envers notre prochain qu’envers notre ennemi.

(…) je ne suis ni plus ni moins qu’un homme engagé dans un certain dialogue : j’écoute, je réponds – j‘existe dans ce dialogue qui est en lui-même création, action et parole au-delà des mots.
Et avec qui ai-je ce dialogue ?
Avec quelqu’un qui remplit le monde, et pourtant ne lui appartient pas : au contraire, le monde entier lui appartient, lui qui s’est manifesté dans le Seigneur, ressuscité et présent parmi nous. 

(…) le silence est la condition pour prendre conscience de la présence de Dieu.

« Priez pour ceux qui vous persécutent », dit Jésus, et la raison en est claire : Dieu est le père de tous, même de nos ennemis.

Le Notre Père commence par la reprise d’une prière araméenne bien connue, le Kaddish, qu’on récitait à la fin de l’office à la synagogue : « Magnifié et sanctifié soit Son grand nom dans le monde, qu’Il a créé selon Sa volonté… Qu’Il établisse Son royaume… vite et bientôt… » (…) Bientôt Jésus (…) reviendrait anéantir ce monde et établir le royaume de Dieu pour toujours – c’est nettement affirmé dans le plus ancien document chrétien qui nous soit conservé, la première Epître de Paul aux Thessaloniciens (datant de 50 après J-C environ).

« Viens maintenant, détourne-toi », nous pressait le grand philosophe médiéval Anselme de Canterbury, au XIè siècle – et c’était d’abord à lui-même qu’il parlait. « Détourne-toi un instant de ton travail quotidien, échappe un moment au tumulte de tes pensées. Laisse de côté tes lourds soucis, mets un frein à tes laborieuses distractions, libère-toi quelques instants pour Dieu, repose-toi quelques instants en Lui. Entre dans la chambre intérieure de ton âme et chasses-en tout, excepté Dieu et ce qui peut t’aider à Le rechercher ;  et quand tu auras fermé la porte, recherche-Le. Dis à Dieu : « Je cherche Ton visage – Seigneur, c’est Ton visage que je cherche. »

Le Vendredi saint (qui a inspiré plus d’œuvres d’art qu’aucun autre épisode de l’histoire du monde) nous est présenté dans Matthieu, Marc, Luc et Jean avec un calme, une sobriété, une absence de frénésie remarquables. Nulle tentative d’exagérer la lutte, d’exploiter les sentiments, de s’étendre sur les détails physiques de la souffrance et de la mort.

Avaient aussi commencé - en l’an 64, sous l’empereur Néron - les persécutions violentes contre les chrétiens, comme le raconte l’historien romain Tacite.

Parmi ceux qui furent massacrés au cours de la première persécution à Rome, il y eut Pierre et Paul – le premier par crucifixion, le second par l’épée.

Les Evangiles sont plutôt de profondes méditations sur le sens de ce qui est arrivé.

D’abord, loin dans la mémoire collective, se trouve enfouie la figure du roi fantôme. Le monarque régnant sur une terre était jadis considéré comme transmettant la fertilité, et par conséquent incarnant l’avenir de son peuple. Mais, pour garantir la survie de la terre et de la race, on devait sacrifier rituellement ce roi avant qu’il ne soit trop vieux ; et l’on devait verser son sang – la force vitale elle-même – sur la terre, dans l’espoir qu’il régénérerait la nature et l’humanité (…) A l’occasion de la fête de la nouvelle année dans la Mésopotamie antique, et même des Saturnales romaines, on traitait un esclave, ou bien un criminel jugé et condamné, comme s’il était le roi. Mais une fois la fête finie, on l’exécutait.

Le tout premier document chrétien (la Première Epitre aux Thessaloniciens, écrite aux alentours de 50 après J-C) parle des Juifs « qui ont tué le Seigneur et les prophètes », et l’on trouve ailleurs des affirmations semblables.

Flavius Josèphe, qui écrit à la fin du Ier siècle (…) affirme bien que Pilate le condamna à la mort par crucifixion « sur l’inculpation des hommes de plus haut rang parmi nous » - c’est-à-dire parmi les Juifs.

Nulle véritable réussite dont on pût parler à son propos – aucune œuvre qui restât comme monument à sa mémoire, pas de corpus sûr d’enseignements, pas d’école de gens formés pour poursuivre son œuvre après lui. Ses amis sont des gens ordinaires, sans grandeur, sans rien pour les recommander aux foules, et qui n’ont même pas une idée claire de sa nature et de sa mission.

Ce n’est pas ce que Jésus de Nazareth a dit ou fait jadis qui constitue l’objet de la foi chrétienne. Ce qu’il dit et fait maintenant, la façon dont il se révèle à nous, individuellement et comme communauté de croyants – voilà le terreau dans lequel la foi est plantée et sur lequele lle croît. Tel est le processus qui nous mène vers Dieu.
Le christianisme est donc une certaine façon de percevoir la réalité, fondée sur l’expérience de Jésus en tant que vivant et présent dans notre présent.

Car voici vers quoi tend la ligne droite de l’histoire, cette logique suprême : que la présence de Dieu remplisse le temps et la matière.

(…) tout ce qui compose le corps humain se renouvelle continuellement. Chaque atome, chaque cellule est dans un état constant de changement, fait d’une série sans fin de petites morts et de renaissances.

Et si quelqu’un réplique que la seule possibilité, pour une « personne intelligente » (quel que soit le sens de cette expression), d’admettre la Résurrection serait de la réduire à un événement historique et vérifiable, nous passons alors dans la sphère de (…) l’impérialisme épistémologique, un déni de tout domaine de la réalité échappant à notre contrôle – ce qui n’est ni de la bonne histoire ni de la bonne science (…) La foi expérimente, et décrit l’initiative et l’intervention divines dans le monde ; et cette proclamation (selon les termes de Jacob Neusner, éminent spécialiste juif du Talmud) « ne comparait pas devant le tribunal de l’histoire séculière, pour être jugée vraie ou fausse selon les critères d’authentification ou de réfutation par les historiens des faits ordinaires. »

Le ministère de Jésus parut avoir un air d’improvisation : pas de fioritures ni de décorum l’apparentant aux grands de ce monde, et du reste il ne convoitait aucun pouvoir politique ni social. Tout en lui semble vouloir porter la marque de la plus étonnante simplicité. Dieu ne s’identifie pas aux gens importants, beaux ou célèbres, mais à ceux dont les vies sont simples, libres de tout excès, affranchies de l’obsession du moi.





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