Il faut dire que les catholiques
français avaient gardé du cardinal Ratzinger l’image un peu sommaire d’un censeur
de leurs propres expériences postconciliaires : lors de deux mémorables
interventions à Fourvière et à Notre-Dame, en 1983, le cardinal préfet était
venu critiquer sans ambages l’abandon du Catéchisme traditionnel par les
évêques de France, lesquels en furent, pour la plupart, très choqués. Que ses
reproches fussent prononcés dans un français impeccable ajouta sans doute à
l’humiliation de ses hôtes.
Les thèmes favoris de Ratzinger –
la dénonciation du nihilisme et du relativisme dans les sociétés européennes –
étaient conformes à l’image d’un homme préoccupé de « restauration » catholique.
Il a effectivement employé ce mot dans son livre avec Vittorio Messori, Entretien sur la foi, en 1985.
(…) nombre de grands journaux
laïques se font l’écho de la déception qui a suivi le choix du « gardien
intransigeant du dogme » (AFP)…
C’est la presse israélienne qui
sera la plus rapide à mener l’enquête et à conclure que le nouveau pape n’a
jamais été nazi et qu’il a toujours clairement condamné l’antisémitisme.
La principale différence entre
une religion et une secte, c’est que la première génère de la culture, alors
que la seconde en vient, tôt ou tard, à l’éradiquer.
La sécularisation de la société
moderne, en quelques décennies, a été spectaculaire. Dans la dernière enquête
de l’European Value Survey, 42% des Français se déclarent « catholiques »,
contre 70% en 1981. Les « catholiques pratiquants » ne sont que 19%
de la population, le chiffre tombant à 8% chez les 18-29 ans. Ce phénomène est
d’autant plus voyant dans notre pays que celui-ci fut longtemps la « fille
aînée de l’Eglise » et que ses fondements – la politique, le droit, la
morale, la culture, l’art – ont été durablement façonnés par la religion.
Si la famille, l’école et le
catéchisme n’ont pas transmis le minimum de culture religieuse, pourquoi
voudriez-vous que les journalistes, notamment les jeunes, pallient ce
déficit ? Le plus souvent, ils en sont eux-mêmes les victimes. On reproche
souvent aux médias de ne pas chercher à transmettre valeurs et culture, mais
dans la grande chaîne de la transmission, ils arrivent à la fin, lorsqu’il n’y
a plus grand-chose à faire…
Marc Leboucher : « Que
dirait-on d’un journaliste qui, dans le domaine sportif, confondrait les
joueurs de l’OM et ceux du PSG, ou ne distinguerait le penalty du coup
franc ? Or, lorsqu’on traite des sujets religieux, ce type d’erreurs est
monnaie courante ».
Ou comme cet éditorialiste connu
qui, lors de la messe dite par Benoît XVI aux Invalides, à Paris, trouvait
significatif que le pape ait récité « deux
prières en latin », faisant astucieusement allusion au Gloria et… au
Kyrie ! Un autre jour, j’ai entendu ce dialogue sublime sur une
radio :
« Les premiers seront les derniers… Qui a dit cela, déjà ?
- Jean-Jacques Goldman, je crois… »
Il y a encore vingt-cinq ans,
chaque organe de presse avait son spécialiste en matière religieuse (…) Les
derniers d’entre eux atteignent l’âge de la retraite, comme Henri Tincq au
Monde… (…) sauf exception, ils ne seront pas remplacés.
A cette époque qui paraît
préhistorique, chaque journal avait un correspondant permanent auprès du Saint-Siège :
le Concile et ses suites avaient remis l’actualité de l’Eglise au goût du jour.
Puis Jean-Paul II, par son charisme, avait entretenu l’intérêt des médias. Or
il n’y a pratiquement plus de correspondants français auprès du Saint-Siège, à
part ceux de l’AFP et de La Croix.
Pour vous donner un ordre de
grandeur, sachez que le voyage de Benoît XVI en Bavière, là où il a prononcé sa
fameuse conférence de Ratisbonne, était suivi par un millier de journalistes
internationaux dont seulement huit confrères français…
(…) c’est le secteur France qui
traite les sectes, les « infos géné » qui couvrent la fête de Noël,
le service Etranger qui s’occupe de l’islam, le service Société qui traite le
travail du dimanche, le service Santé qui suit la bioéthique, etc… Si vous
mettez bout à bout toutes les informations touchant à la religion, vous
constaterez qu’elles sont de plus en plus nombreuses. Ce paradoxe illustre
parfaitement la fameuse maxime de Michel Serres : « En mai 1968, quand je voulais intéresser mes étudiants, je leur
parlais politique, et quand je voulais les faire rire, je leur parlais
religion ; aujourd’hui, c’est l’inverse… »
(…) l’anticléricalisme est une
vieille lune (…) Celui qui inspira à Paul Bert ses discours les plus enflammés
contre la « morale des jésuites » (…) chaque fois que j’entends
dénoncer le sempiternel retour à l’ordre moral », je me demande si les
utilisateurs du concept savent qu’ils se réfèrent, non pas à un quelconque
Moyen Âge chrétien obscurantiste et totalitaire, mais à un discours de
Mac-Mahon au printemps 1873, c’est-à-dire au tout début de la IIIè République.
Souvent confondu avec « l’ordre nouveau » prôné pendant l’Occupation
par le maréchal Pétain, l’« ordre moral » est devenu un épouvantail
idéologique, un repoussoir politique, une cible virtuelle mêlant les deux
valeurs les plus contestées depuis mai 1968 : l’ordre et la morale.
() des « réseaux de
l’anticléricalisme en France » : SOS-Racisme, le Libre Pensée, le
MRAP, Act Up, et surtout le Réseau Voltaire, un petit groupe libertaire financé
par le minitel rose, autour duquel gravitaient alors de jeunes journalistes
–Thierry Meyssan, Frédéric Taddeï, André Bercoff, Philippe Val – tous promis à
une brillant avenir dans les médias.
A chaque visite du pape en France,
on voit resurgir dans les journaux les mêmes communiqués indignés sur ce que
coûte à l’Etat le séjour papal en matière de logistique, de sécurité ou
d’hygiène publique, au nom du fameux article 2 de la loi de 1905 : « La République ne reconnaît, ni ne salarie
ni ne subventionne aucun culte. » Curieusement, personne n’a jamais
exigé de la reine d’Angleterre (chef de l’Eglise anglicane), du roi du Maroc
(commandeur des croyants) ou du dalaï-lama (chef temporel du Tibet) qu’ils
paient eux-mêmes leur billet d’avion ou qu’ils ramassent les poubelles après
leur visite en France !
Ce qui menace jusqu’à l’existence
de l’Eglise, en France, n’est pas ce tropisme un peu folklorique qu’on appelle
l’anticléricalisme, ni même son
avatar contemporain, le laïcisme, ce
sont des phénomènes nouveaux, profonds, qui remettent en cause les équilibres
d’antan, et qui excluent ou expulsent l’Eglise – ses représentants, ses
fidèles, son message, ses symboles – du champ public. Ils s’appellent individualisme, relativisme, hédonisme,
nihilisme, etc…
Pour les médiaplanneurs (…) les
chrétiens sont une catégorie de consommateurs minoritaires comparables aux
philatélistes, aux passionnés de musique baroque, aux pêcheurs de haute mer ou
aux albinos : ils ne sont pas « fédérateurs ».
L’Eglise incarne, à sa façon,
tout ce qui représente le pouvoir d’antan, celui contre lequel il est facile de
s’insurger puisqu’il ne menace plus personne.
(…) le refus chrétien d’idolâtrer
le pouvoir, la richesse et le sexe, de nos jours, est une triple provocation.
« Qu’il
démissionne ! » entendait-on à longueur de colonnes et sur toutes les
chaines du PAF, agacées de devoir montrer les images dérangeantes d’un
vieillard inaudible. Un vieux monsieur handicapé à la télé, de nos jours, c’est
le comble du « politiquement incorrect » !
Quand un journaliste parle du
pape, ou d’une apparition, d’une fête religieuse ou d’une réunion d’évêques, on
a toujours l’impression qu’il sous-entend : « On ne me la fait pas, je suis au-dessus de tout cela, bien sûr,
mais il faut bien d’adresser aussi à ces ballots de croyants. »
J’ai assisté, dans les années
1980, à la prise de pouvoir dans les journaux par les contrôleurs de gestion
assistés des « communicants » qui ont décidé, dès leur arrivée, que
les textes devaient être « plus courts » (…) Les expert en
communication vous diront que tout sujet « intéressant » est
forcément « segmentant », et donc à proscrire…
« N’est-il pas clair, écrit Voltaire, que les Juifs, qui espéraient la conquête du monde, ont été presque
toujours asservis, ce fut leur faute ? » (…)
Tenez, qui a dit « La France a d’autant plus le droit de
prolonger au Maroc son action économique et morale que la civilisation qu’elle
représente en Afrique auprès des indigènes est certainement supérieure à l’état
présent du régime marocains » ? C’est Jean Jaurès, devant la Chambre
des députés, en 1903. Qui a dit :
« Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures
d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de
culture » ? C’est Léon Blum, à la même Chambre des députés, en
1925.
Au printemps 1941, le petit
Joseph Ratzinger, quatorze ans, est inscrit, en effet, sur les listes des
Jeunesse hitlériennes comme tous les petits Allemands de son âge. Cet
enrôlement est obligatoire depuis un décret de mars 1939 (…) Au moment de la
défaite d’Hitler en avril 1945, il prend le risque de déserter son unité alors
que la guerre n’est pas finie, en évitant les grands axes et les patrouilles de
SS, et rentre chez lui. C’est là qu’il sera arrêté par les soldats de la VIIè
Armée américaine, qui le libéreront en juin 1945. Il ne tira jamais un coup de
feu (…) le refus du jeune Ratzinger
de partir combattre dans la Waffen-SS, à la fin de 1944, contrairement à
certains de ses jeunes camarades qui s’y engagèrent avec enthousiasme. Ce fut
le cas de son contemporain Günter Grass, futur prix Nobel, qui cacha
soigneusement ce fougueux engagement pendant plus d’un demi-siècle !
La citation qu’il avait choisie,
cette fois, était empruntée à l’empereur byzantin Manuel II paléologue qui, au
XIVè siècle, discutait avec un lettré persan musulman : « Montre-moi
ce que Mahomet a apporté de neuf, et tu ne trouveras que des choses méchantes
et inhumaines, comme son ordre de diffuser par l’épée la foi qu’il professait. »
(…) Si les envoyés spéciaux français ont vite compris qu’ils n’intéresseraient
pas leurs rédacteurs en chef à une actualité aussi ennuyeuse, leurs confères
américains n’ont pas manqué, eux, l’occasion de relier celle-ci au sujet du
jour, celui qui faisait la une de tous leurs journaux : le cinquième
anniversaire des attentats du 11-Septembre (…) Le paradoxe de cette affaire,
c’est que les réactions déchainées du monde musulman lui ont donné raison sur
tous ces points. Qui peut encore douter, après ces évènements, qu’il y ait une
corrélation entre le rôle subalterne de la raison dans l’islam et la violence
commise en son nom ?
Rappelons-nous que c’est la
réunion d’Assise et la visite de la synagogue de Rome par Jean-Paul II, en
1986, qui poussèrent les intégristes à vouer le pape aux gémonies, et à le
traiter officielle d’hérétique !
« S’il n’y a pas d’âme, si les Africains ne s’aident pas, dit-il,
on ne pourra résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs : au
contraire, cela risque d’augmenter le problème. » (…) Dire que la
distribution dispendieuse de condoms n’est pas la panacées pour lutter contre
le sida, ce n’est pas scandaleux : les statistiques elles-mêmes
l’attestent. Dire que cette distribution massive risque d’entraîner une
déresponsabilisation des comportements, une plus grande permissivité sexuelle,
c’est un raisonnement clair, fondé… (…) la longue dépêche de synthèse que l’AFP
envoie juste avant les journaux de 20 heures (elle est e 19h11) est
titrée : « Le pape conteste
l’efficacité du préservatif » et dès sa première phrase, stigmatise la
position de l’Eglise « contre
l’usage du préservatif ». Et c’est cette dépêche, arrivant en
pleine ouverture du Sidaction qui va faire foi (…) ce dimanche-là, la direction
de France Télévision, chaîne du service public, a imposé aux producteurs du
Jour du Seigneur d’inscrire sur l’écran le logo du Sidaction pendant toutes
leurs émissions, y compris pendant la messe dominicale. Rétorsion ?
Vengeance ? Provocation ?
Et « L’Osservatore
Romano » de citer la campagne gouvernementale menée avec succès en
Ouganda, campagne dite ABC : « A comme Abstinence, B comme Be
faithtful, C comme Condom. »
L’abstinence, la fidélité et le
préservatif. Avec force détails, un religieux médecin en post depuis vingt ans
dans le pays explique que ce sont
les deux premiers axes qui ont fait reculer la fréquence d’infection de 15% à
5% dans la population : le premier ayant retardé l’âge du premier rapport
sexuel de 15 à 19 ans, le deuxième ayant réduit de 60% le vagabondage sexuel.
Miser sur le seul préservatif, sur le terrain, cela ne réduit pas la maladie.
C’est exactement ce qu’a dit le pape.
(…) les médias sont terriblement conformistes et rétifs à la
nuance. C’est une vieille règle qu’on enseigne dans les stages de communication :
« Une seule cible, un seul message,
une seule image. »
Comme l’a dit avec humour
l’écrivain Patrick Besson, « la
capote est devenue une vache sacrée. » Pour le psychanalyste Tony
Anatrella, c’est un « tabou
incritiquable ».
La question qui se pose,
concernant Pie XII, est la suivante : pourquoi ce pape était-il considéré
comme un héros et un saint jusqu’en 1963, et pourquoi son image s’est-elle à ce
point dégradée après cette date ? Aux médias sans mémoire, il faut
rappeler qu’en 1945, Pie XII fut célébré comme un des grands hommes de la
guerre, tant par la population italienne que par les Juifs du monde entier.
Tout le mode sait, à l’époque, que Pie XII a sauvé des milliers de Juifs en les
hébergeant dans des églises, des couvents, des monastères, jusqu’à l’intérieur
de la bibliothèque vaticane ou dans sa propre résidence de Castel Gandolfo (…)
Le grand rabbin de Rome, Israel Zolli, doit la vie au fait d’avoir été hébergé
avec sa famille dans l’enceinte du Vatican – il se convertira d’ailleurs au
catholicisme et baptisa son fils « Eugenio », comme le pape qui l’a
sauvé. En 1958, le jour de sa mort, son successeur Elio Toaff, nouveau grand
rabbin de Rome, n’aura pas de mots assez chaleureux pour le pape défunt : « Les Juifs se souviendront toujours du
pape au moment des persécutions raciales… » Parmi les innombrables
hommages qui lui sont rendus figure le célèbre télégramme de Golda Meir, alors
ministre israélien des Affaires étrangères : « A une époque troublée par les guerres et les discordes, Pie XII
a maintenu les idéaux les plus élevés de paix et de compassion. Lorsque le
martyre le plus effrayant a frappé notre peuple, durant les deux ans de terreur
nazie, la voix du pape s’éleva en faveur des victimes. » (…)
Le 20 février 1963, à la Volksbühne
de Berlin, a lieu la première d’une pièce écrite par un jeune auteur allemande
de 31 ans, protestant de culture, un certain Rolf Hochhuth (…) qui incarne la
nouvelle génération allemande, celle qui se pose des questions interdites (…)
On peut lui opposer les
« silences » de Churchill, Roosevelt, de Gaulle ou Staline :
aucun des vainqueurs de la guerre n’a jamais dit un mot sur l’Holocauste, aucun
n’a envisagé, rien qu’une minute, d’aller bombarder Auschwitz. Alors ? Pie
II, sans doute, était le bouc émissaire idéal (…)
En novembre 1998, un diplomate
israélien avait suggéré que le Vatican « gèle » pendant cinquante ans
la cause de la béatification du pape Pie XII. Je trouve que ce n’est pas une mauvaise
idée. Que seront ces cinquante ans au regard de l’éternité ? Même si cela
peut paraître injuste, Pie XII est devenu, aujourd’hui, un sujet de vive
polémique. Et on ne canonise pas un sujet de polémique.
Songez que la salle de presse du
Vatican n’emploie que dix-huit personnes. Songez aussi que la Curie romaine – c’est-à-dire
le gouvernement d’une communauté d’un peu plus d’un milliard de fidèles –
emploie, au total, deux mille sept cent cinquante agents, soit quinze fois
moins que la mairie de Paris…
La communication « verticale »,
celle qui ordonnait la communication sociale sur le mode pyramidal, monarchique
et disciplinaire, fait place à une communication « horizontale »
organisée en réseaux autonomes, sans valeurs ni hiérarchie (…) L’Eglise
catholique ne peut ignorer cette mutation vertigineuse. Notamment son chef, qui
doit incarner à la fois deux mille ans de traditions et un milliards d’individus
dans leur diversité : sa tâche, aujourd’hui, est humaine impossible.
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