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dimanche 4 février 2024

« Trois femmes » de Robert Musil (1924)

La mouche fit quelques efforts, de plus en plus brefs, et une seconde mouche qui pâturait sur la table allait voir de temps en temps où en étaient les choses. Homo lui aussi regardait avec attention (…) Quand la mort vint, l’agonisante replia brusquement à angle aigu ses six petites pattes et les garda ainsi pliées en l’air, puis elle mourut dans sa pâle flaque de lumière sur la toile cirée comme dans un cimetière de silence (…)

Quelqu’un était en train de raconter une histoire : « On a calculé une fois, paraît-il, que la famille Rothschild au complet ne serait pas assez riche pour se payer un billet de troisième classe jusqu’à la lune… » Homo murmura à part soi :  « Tuer, et deviner Dieu quand même ; deviner Dieu, et tuer quand même ?… » D’une chiquenaude, il envoya la mouche à la figure du major assis en face de lui, provoquant ainsi un nouvel incident qui ne fut pas réglé avant le lendemain soir.


(Grigia)


Tonka enfonça ses doigts dans la mousse sur laquelle ils étaient assis ; il suffit d'un instant pour que les tigelles se redressent de rangées en rangées, et d'un autre pour que toute trace de la main qui s'y était posée ait disparu.


(…) il observait une guêpe qui trottinait près de son pied avec une tête comme une lanterne ; et il observait aussi son large pied noir au travers du chemin brun.


Il était debout dans la lumière et elle était couchée, sous la terre, mais enfin de compte, il sentait que la lumière était bonne. Comme il jetait les yeux autour de lui, il aperçut soudain, dans un groupe d'enfants, un visage par hasard en larmes, éclairé violemment par le soleil et se tordant de tous côtés comme un immonde vers ; alors un souvenir lent veille : Tonka ! Tonka ! Il sentit sa présence de la tête aux pieds, et toute sa vie.


(Tonka)

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