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jeudi 19 août 2021

« Une vie comme neuve » de Georges Simenon (1951)

Pourquoi, pendant presque tout ce temps-là, pensa-t-il à la petite fille qui habitait le rez-de-chaussée de leur maison, quand il était gamin ? C'était elle, sans le savoir, qui lui avait fait connaître ses plus gros péchés d'enfant. Lorsqu'il rentrait chez lui et qu'il la trouvait assise sur le seuil, les genoux hauts, il essayait de voir entre ses jambes, feignant de ramasser quelque chose sur le trottoir pour avoir l'excuse de se pencher, et, le soir, dans son lit, en entendant des bruits de voix dans la chambre juste en dessous de la sienne, il l’imaginait en train de se déshabiller et entretenait de mauvaises pensées.
– Mon père, je m'accuse d'avoir eu de mauvaises pensées.
Il ajoutait très vite, parce que cela lui paraissait plus honteux :
– Et des regards impurs.
Maintenant ses yeux riaient, car il évoquait le geste si naturel et si harmonieux d'Anne-Marie…

Elle n'était pas distante, ni froide. Elle n'était pas changée. On sentait cependant qu'elle avait respiré un autre air et que la chambre, pour vingt-quatre heures, avec cessé d'être son univers.

À certain moment, elle crut apercevoir au bout de ses cils le reflet d'une larme ; elle faillit s’approcher de lui, changea d’avis, continua à mettre de l’ordre comme si rien n’était.
Il s’écoula bien dix minutes avant qu’elle entendît une voix joyeuse prononcer derrière son dos : 

- Mallard est liquidé.

- Oui ?

- Vous ne me demandez pas comment cela s’est passé ?

- Cela a été dur ?

- J’ai cru qu’il allait pleurer.

Elle ne fit pas allusion à la larme qu’elle avait surprise et il conclut légèrement :

- Ce sont des tristes, qui ne pensent qu’au péché !


Il mettait une sorte de volonté farouche à s’enfoncer au plus profond du lit, comme si là seulement il se sentait en sécurité.


On aurait dit qu'ils choisissaient l’un comme l'autre les phrases les plus banales, et ils les prononçaient du bout des lèvres, sans conviction, pour que la vie ait l’air de continuer.

Il le fit exprès de ne pas toucher au repas qu'elle lui apporta et de froncer souvent les sourcils, comme quand il avait ses douleurs dans la tête, afin qu’elle fût inquiète. Elle se méfiait encore un peu. Il était très prudent, évitant de forcer la note, et il crut même bon de lui adresser un pâle sourire de malade.

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