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mardi 17 août 2021

« Claire de Castelbajac » de Dominique-Marie Dauzet (2010)

En mai 1956, Claire a deux ans et demi et vient en France pour la première fois (…) Le dimanche, à l’église Saint-Médard, au moment de la communion, Mme de Castelbajac prévient Claire qu’elle va la laisser seule un instant : « Tu vas rester seule, mais tu es sage et tu ne bouges pas. » L’enfant regarde sa mère intensément, semble réfléchir et dit avec naturel : « Je ne suis pas seule. Je reste avec Jésus ».


C’est Claire tout entière qui se peint là : simple, directe, indéfectiblement confiante. Jamais elle ne s’énervera avant les examens : « Tout s’arrangera, tout ira bien. » Et de fait, tout s’arrange…


Claire est la gratitude-née, elle aimait remercier…


(…) un peu graphomane toute sa vie, tenant soigneusement agendas et carnets, notes, correspondances (…) elle aime se poser pour méditer ce qu’elle a fait et vu, mettre des mots sur ses sentiments et sur ses impressions, prendre la tranquille distance écrite avec la vie vécue à grande vitesse.


Le lendemain de leur arrivée à Assise, la neige commence à tomber, il fait très froid. Claire visite l’église Santa Chiara, est très émue par les souvenirs et les reliques de sainte Claire.


(…) quand Claire arrive à Toulouse, en 1964, (…) Au Sacré-Cœur (…) A-t-elle repéré une nouvelle qui - comme elle, peut-être ?- a un peu de vague à l’âme par éloignement des siens, elle la prend à part et lui fait cette réflexion admirable : « Viens, allons nous occuper des autres ! »


(…) « jouer à être contente » rejoint en elle le meilleur d’elle-même. Elle sait déjà que le bonheur ne tombe pas tout cuit mais qu’il est parfois une décision intérieure. Tout cela lui paraît tellement chrétien…


Il est d’ailleurs intéressant que ce « journal intime » se termine en 1967, car Claire, qui prouve par là sa maturité grandissante, à quatorze ans à peine, cesse tout à coup d’écrire. Elle confie à sa mère : « Je n’écris plus mon journal, parce que j’ai compris que c’est accorder beaucoup d’importance à soi-même, comme une complaisance de mauvais goût et d’orgueil. Ce n’est pas bien, alors j’ai tout arrêté. »


« J’ai quinze ans (…) Je t’assure : si tu obtiens de toi la force de sourire lorsque tu penses à ton malheur plus ou moins inexistant, tu auras alors une fierté pure qui te donnera du courage pour continuer tes efforts. C’est si beau d’avoir de la noblesse d’âme… »


Sur une image offerte à ses parents, lors d’un passage à Lourdes en 1968, Claire a tracé ces mots de sainte Thérèse de Lisieux, qu’elle aime beaucoup (…) : « Quand je souffre beaucoup, quand il m’arrive des choses pénibles, désagréables, au lieu de prendre un air triste, j’y réponds par un sourire. Au début, je n’y réussissais pas toujours. Mais maintenant, c’est une habitude que je suis bien heureuse d’avoir contractée. »


« Dès que tu commences à faiblir, appelle vite la Vierge Marie et ton Ange gardien, et tu es sûre qu’ils t’aideront. Ce sont tes meilleurs amis, et combien puissants ! Ensuite, remercie-les, le remède est excellent. »


Claire ne se leurre-t-elle pas sur la vraie charité, qui n’est pas de choisir sa propre manière d’aimer les autres, sans se laisser jamais imposer les besoins réels des autres ? (…) La leçon maternelle la porte à approfondir sa manière d’aimer, en commençant par ceux que Dieu met à votre porte.


L’année 1972 est encore tout occupée de Xavier. Claire avoue que cet amour la fait se sentir devenir femme (…) : « Hier, je me suis surprise devant une glace. Je ne crois l’avoir jamais fait depuis mon enfance. »


Claire sait depuis son enfance qu’on n’a pas tout, tout de suite et comme on veut, et que la vie, au fond, est pleine de renoncements utiles, si on est capable d’en faire une joyeuse offrande.


« On n’accepte pas un baiser de ses parents, mais on l’aime, parce qu’il vient de ses parents. Se résigner : … cette tuile m’embête ! De toute façon, pas d’autres moyens que de l’offrir à Dieu.

Accepter : c’est un peu se dire : bon, on m’envoie cette tuile, prenons-la du bon côté et offrons-la à Dieu.

En faire de l’Amour : Dieu a la bonté de m’envoyer cette tuile pour que je la lui offre de tout mon cœur pour sa Gloire.

N’empêche qu’il faut avoir une forte dose de sainteté pour faire de toute chose de l’Amour. »

L’admirable découverte de Claire, inspirée par les évènements qu’elle vient de vivre et le sacrifice généreux qu’elle a fait de Xavier, c’est que l’acceptation et la résignation ne sont pas, au fond, des sentiments chrétiens. Seul l’Amour a du sens.


Le meilleur remède à l’inquiétude, chez Claire, depuis longtemps, c’est la prière : elle y puise le calme, une paix forte. Il y a, piazza Venezia, une petit chapelle, où le Saint-Sacrement est continuellement exposé. Claire, y passe, y entre, dépose tous ses soucis, repart confiante, reposée.


« Tous les jours, je prie Saint-Antoine de Padoue. C’est un mec, ce saint. Je n’ai jamais été déçue par lui, pour les choses temporelles et à effet rapide. »


« Alors je résiste avec plus de facilités à toutes ces tentations, et je crois que j’ai gagné le set avec le diable. Commencer la journée avec le chapelet est très efficace, croyez-moi, et avoir la certitude qu’on prie pour moi l’est également, je vous en suis pleine de gratitude. »


(…) fin février 1973, elle écrit à ses parents ce lignes, si éloquentes : « J’ai énormément de difficultés à être pleine de la joie de Dieu (…) Je me dis qu’au milieu de cette boue païenne, il faut que je fleurisse par Dieu, donc vivre de Dieu, donc la Joie de Dieu (…) Je n’ai plus l’aide spirituelle de la Messe, car pas le temps matériel. Et le soir, je m’affale sur mon tapis (…) Alors, je ne vis plus comme je devrais, je suis pleine de résolutions que j’oublie tout le temps. Et ma première est celle-ci : être joyeuse (sans forcer) quoi qu’on fasse. Vachement dur. »


Assurément, à la difficulté spirituelle se joint la difficulté humaine : Claire ressent un certain vide affectif, qu’elle endure avec peine (…) Avec qui partager, au quotidien, la passion de vivre cette aventure romaine si unique ?


En fait elle fut à deux doigts de se faire renvoyer à la fin de la première année ; il fallut l’intervention d’un membre de la Direction qui avait senti son désarroi temporaire et l’estimait. Elle fut autorisée, exceptionnellement, à passer deux examens partiels en octobre, auxquels elle devait réussir. La réprimande, à son égard, était difficile. Elle crânait un peu.


En tous cas, au printemps 1973, quand Claire commence à raconter dans ses lettres les chahuts, la gamineries, les discussions, les questions, les doutes, quand elle profère des jugements péremptoires sur les gens qui l’entourent et sur la terre entière (« je déteste la race humaine à 97% »), les parents ne peuvent pas prévoir la suite, Claire leur paraît trembler sur ses bases…


« C’est bien joli de croire à la Bonté de Dieu et au Royaume des Cieux, et c’est facile quand ça ne touche que des étrangers, mais quand on sait que quelqu’un, qu’on a mis au fond de soi éternellement, quand on le sait mort, c’est-à-dire… mort ! Froid, sans vie, bientôt pourri et décomposé, c’est atroce. Qu’il est donc difficile d’imaginer son âme, comme sur les images,  emportée par les anges vers des nuages fleuris ! Hier soir, je ne cessais de me demander : « Où est-il, mais où est-il donc maintenant ? » »

Cet admirable questionnement sur la mort, daté de février 1974, est rédigé par Claire moins d’un an avant sa propre mort.


Dans l’immédiat en tous cas, comme tout ce qui ne construit pas… détruit, il faut mettre un terme à cette relation. C’est Laure, l’aînée, la plus mûre des deux, qui en prend l’initiative.


« C'est facile d'avoir la « joie de Dieu » quand on a de quoi bouffer, des affections imbougeables quand on est bien lavé, aimé, nourri, soigné… Ce n'est pas la joie de Dieu, alors ! C'est tout simplement la joie de vivre… Et c'est déjà beaucoup !

La joie de Dieu c'est quand Dieu prend plus de place dans ton âme que tout le côté humain et désespérant. Ce n'est plus un jeu de mots facile : Joie de vivre = Joie de Dieu (puisque Dieu fait la vie, c’est logique). Cela devient beaucoup plus ardu et indéfiniment à reconstruire : tout ce qui compose la vie me déçoit, je n'ai plus recours dans les compensations humaines. Mais Dieu est là, qui m’éprouve pour que je voie si je l'aime vraiment, si je vois vraiment qu'il est là, si je sais qu'il est le seul important dans la vie. »


(…) printemps 1974 (…) A une amie engagée dans une relation amoureuse, mais très perplexe sur le « fond » de celui qu’elle aime, Claire écrit : « Ce sera sans doute bénéfique pour toi de partir au loin, car la distance complétera le temps, qui arrange tout, et éprouvera tes sentiments (…) le bien, pour toi, c'est peut-être de le laisser, et même si je te choque très fort en disant cela, garde cette idée en tête (…) avant chaque décision, même qui doit être rapide, récite lentement un  Notre Père, tu es sûre de ne pas faire de gaffes. »


« Je voudrais tout donner au Bon Dieu, mais je sais que je n'ai pas la vocation religieuse et guère celle du mariage, alors, qu'est-ce que Dieu veut de moi ? » La question, pourtant, ne l'obsède plus, cet été là. « Sa confiance en Dieu était devenue si profonde, si lumineuse, explique sa mère, elle se sentait dans un tel état d'abandon, elle était totalement libérée. Elle n’avait qu’à attendre, et elle attendait dans la paix. » Dieu saurait bien. Dieu sait toujours quoi faire de ceux qu'Il aime.


Peindre « à fresque » (en italien a fresco), c'est peindre sur un enduit « frais », qu'on appelle l’intonaco, un mélange de sable fin, de poudre de marbre, de chaux et d'eau. La difficulté pour le peintre est qu'il doit savoir à l'avance ce qu'il veut faire et peindre très rapidement pendant que l'enduit est encore humide, afin que les couleurs (pigments d’origine minérale ou végétale) s’incorporent, s’imprègnent dans l’intonaco tout frais. Cet enduit contient une substance appelée calcin qui, lorsque la paroi sèche, par une réaction chimique, migre vers la surface et se superpose à la peinture : celle-ci devient alors toute dure et magnifiquement protégé pour un temps illimité. Si bien que le peintre doit non seulement agir vite, mais qu’en outre il ne pourra plus revenir sur son travail.


Plus tard, à tête reposée, après la mort de Claire, Mme Morin, qui a vécu au quotidien avec son élève à Assise pendant ces semaines exceptionnelles, livrera cet intéressant témoignage : « Claire exerçait un certain attrait sur les autres, parce que c'était une personnalité à la fois boute-en-train, joviale et ouverte, mais aussi capable de réflexion et de profonde méditation. Elle était prise par son travail, recueillie en contemplation face a l'image sacrée qu'elle restaurait. Elle semblait prier tout en travaillant. »


On dit souvent que les saints ont le pressentiment de la mort. Sainte Catherine Labouré, un 31 décembre, déclare : « Je ne verrai pas demain. » Personne ne la croit, pourtant elle meurt dans la soirée. Le curé d’Ars dit à une pénitente qui retournait chez elle : « Ne me dites pas « adieu », nous nous reverrons dans trois semaines. » De fait, trois semaines plus tard, ils étaient morts tous les deux !


Une semaine avant de tomber malade, à Lauret (…) : « Je suis tellement heureuse et si je mourais maintenant, je crois que j'irai au Ciel tout droit, puisque le Ciel, c'est la louange de Dieu, et j'y suis déjà. »


30 décembre (…) Que s’est-il passé ce jour-là à la grotte de Massabielle ? Son amie témoigne ainsi : « Petit à petit, elle s'est allongée complètement, le front contre terre, comme si elle faisait une prière d'offrande. Elle ne s’est pas relevée du tout, elle était immobile, et là, j'ai eu l'impression que c'était très long » (…) Toute couleur a disparu du visage de Claire, elle paraît « toute grise », Sa mère en conçoit, sur l'instant, une immense inquiétude : que s'est-il passé entre la Vierge Marie et Claire ? (…) L’épisode a-t-il pris de l'importance a posteriori seulement ? Aurait-il vraiment frappé les témoins si la maladie de Claire qui allait l'emporter désormais si vite ne s'était déclarée exactement une semaine après ?


A-t-elle compris d’un coup ou peu un peu ? Compris qu'elle ne devait pas lancer son cœur dans des relations passionnelles, un peu affolées, par peur de la solitude ? Qu'elle pouvait jeter son cœur dans Celui qui seul pouvait la combler ?

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