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jeudi 31 décembre 2020

"Les enfants sauvages" de Lucien Malson (1964)

La discussion de l’hérédité psychologique individuelle semble, de prime abord, heurter beaucoup moins les convictions anciennes que celle de l’hérédité psychologique spécifique. Au moins, la première notion récusée, resterait-il debout, celle de la présence, dans l’embryon, des dispositions psychiques de « l’espèce », ou, si l’on veut, de l’ « homme en général ». La mise en question de cette deuxième notion est une contestation plus profonde des préjugés de jadis et un manière plus radicale de dissoudre l’idée de nature humaine. 

En faveur de l’influence prépondérante du milieu les preuves abondent. Conrad et Jones ont montré que la ressemblance psychologique entre les mères et les filles était plus forte qu’entre les pères et les fils. N’est-ce point parce que les filles ont la mère comme idéal du moi et la trouvent, au foyer, plus constamment face à elles ?


(…) et l’on sait comment la psychiatrie révèle les liens étroits qui très souvent unissent l’attitude de racisme à l’attitude de pédérastie. 


Chez les Eskimos […] le meurtre d’un ennemi personnel y est considéré normal, alors que la guerre, combat de tous contre tous et surtout contre des inconnus, parait le comble de l’absurde ; la mort ne semble pas cruelle, les vieillards l’acceptent comme un bienfait et l’on s’en réjouit pour eux. 


La pitié pour les vieillards varie selon les lieux et les conditions économico-sociales : certains Indiens, en Californie, les étouffaient, d’autres les abandonnaient sur les routes. Aux îles Fidji, les indigènes les enterraient vivants. 


Chez les Urabima d’Australie un homme peut avoir des épouses secondaires qui sont les épouses principales d’autres hommes.


La prohibition de l’inceste est un fait de toutes les sociétés.


Soit les Zuni et les Kwakiutl, Indiens, de même race : groupés dans des « réserves » distinctes, ils se sont orientés vers des modes de comportements parfaitement opposés. La société Zuni est calme, paisible, sereine, possède des protocoles religieux complexes ayant une valeur en eux-mêmes, cultive la courtoisie, l’affabilité, la modestie. La société Kwakiutl est agitée, tourmentée, compétitive, méprise le formalisme rituel au profit d’un culte extatique, entretient l’agressivité, la rudesse, l’arrogance. Chez les Zuni on ne connaît pas le suicide, chez les Kwakiutl il est fréquent. Avec les premiers s’offre, comme un étalon, dit Benedict, la « civilisation apollinienne », avec les seconds, la « civilisation dionysienne » pour parler comme Nietzsche…


En Colombie britannique, chez les Indiens Carriers, la fille pubère est objet de dégoût, on l’éloignera de la tribu et, pendant trois ou quatre ans on la séquestre. On imagine sans peine que l’aventure se vivra tout au contraire dans la quiétude chez les Apaches où les premières gouttes de sang sont perçues comme promesses de récolte et de fécondité et où les prêtres vont à genoux implorer les fillettes de les effleurer de la main. 


Ainsi l’enfant recevrait-il au départ comme une hérédité de l’espèce, la vocation d’être intelligent, en même temps que celle de « reconnaître » son semblable.


(…) il y a une constante humaine sociale, il n’y a pas de nature humaine, laquelle devrait être présociale au même titre que les natures animales. 


On se tromperait, dit encore Lévi-Strauss, si l’on voulait voir en eux « les témoins fidèles d’un état antérieur », soit voir en eux la nature avant toute culture. Les enfants « sauvages » […] s’il en était besoin, nous donneraient la preuve ultime que l’expression « nature humaine » est absolument vide de sens.


Itard […] disait encore : « Je ne doute pas que si l’on isolait dès le premier âge deux enfants, et que l’on en fit autant de deux quadrupèdes, ces derniers ne se montrassent de beaucoup supérieurs aux premiers dans les moyens de pourvoir à leurs besoins et de veiller à leur propre conversation. » Cent trente ans avant les Kellog, Itard parlait en psychologue moderne. 


L’homo ferus, […] est, généralement tetrapus (quadrupède) et mutus (sans parole)


(…) il reste que presque tous les homines feri n’ont jamais vraiment disposé de la parole en dépit parfois des grands efforts pédagogiques déployés.


Il faudrait admettre que les hommes ne sont pas des hommes hors de l’ambiance sociale, puisque ce qu’on considère être leur propre, tel le rire ou le sourire, jamais n’éclaire le visage des enfants isolés. 


Encore une fois, l’hérédité de l’espèce comme l’hérédité individuelle, apparaîtraient comme des brumes avant l’apprentissage social.


Tout acquis que l’expérience renouvelée ne renforce pas s’estompe et s’évanouit. 


(…) comme ce marin abandonné sur une île déserte qu’on retrouva plus tard, privé de la parole, et dont s’est inspiré Daniel Defoe pour la version plus optimiste du Robinson. 


« Au fond ce n’est pas seulement le mot maman qui est le premier que l’enfant prononce, c’est tout le langage qui est, pour ainsi dire, maternel… L’acquisition du langage serait un phénomène de même style que la relation avec la mère : une relation d’identification… Apprendre à parler c’est apprendre à jouer une série de rôles. C’est assumer une série de conduites ou de gestes linguistiques… » (Merleau-Ponty)


(…) les conditionnements sociaux doivent, pour porter fruit, s’effectuer au meilleur moment ; il y a un âge de la parole et un âge de la marche, comme un âge de la lecture, de l’algèbre ou du latin. 


Le naturel, en l’homme, c’est ce qui tient à l’hérédité, le culturel c’est ce qui tient à l’héritage (héritage congénital durant la gestation même, périnatal et postnatal au moment de la naissance et tout au long de l’éducation).

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