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mardi 6 octobre 2020

"Pour comprendre Hamlet" de John Dover Wilson (1935)

Hamlet se sent impliqué dans la concupiscence de sa mère, conscient qu'il participe de la même nature dans toute son exubérance grossière.

Hamlet voyait déjà en Claudius un satyre, il découvre maintenant un être implacable, souriant, insidieux comme un serpent venimeux. Il apprend aussi (…) que sa mère lui était déjà infidèle de son vivant, sortait furtivement de son « lit céleste » pour « se repaître d’immondices » 

(…) le souci de Hamlet n’est pas de convaincre les autres mais lui-même de la culpabilité de Claudius…

Il semble y avoir tellement de preuves contre elle [Gertrude] que même Hamlet la soupçonne de complicité, au point qu’il envisage un moment de se venger d’elle en même temps que de son conjoint. Le fantôme ne donne pas d’éclaircissements à Hamlet quant à la complicité de la reine.

(…) préserver la Couronne autant que possible de tout relent de scandale était un principe de politique élémentaire, une obligation patriotique. 

Quatre apparitions, trois témoins, dont un sceptique - pourquoi ce soin du détail, cette accumulation de preuves à l’appui, sinon pour nous assurer de l’objectivité du spectre…?

(…) pour les protestants (…) il ne pouvait s’agir d’esprits défunts, dès lors que la tradition du purgatoire était mise au rancart, les morts allaient tout droit vers les joies du ciel ou la prison infernale et franchissaient dans les deux cas une « borne dont nul voyageur ne revient. » 

Horatio et Hamlet sont des étudiants (…) Ils ont fait leurs études ensemble à Wittenberg, l’université de Luther (…) En fait ce sont des protestants. 

A la fin du premier acte il quitte ses compagnons de veille pour aller prier, prière accompagnée de jeûne, conformément aux préceptes bien connus des pasteurs protestants. (…) Toutes choses qui attirent sur lui l’attention de la cour, car Polonius désigne plus tard cette période comme le stade initial de sa maladie. Mais la prière et le jeûne ne peuvent lui apporter la paix, ni la solution de son problème, quand nous le retrouvons deux mois plus tard, le doute l’étreint toujours à la gorge.

(…) saint Patrick était « le gardien du purgatoire. » Vers la fin du Moyen Age, le saint patron de l’Irlande était considéré comme la meilleure preuve de l’existence d’un état intermédiaire, car selon la légende il en avait découvert l’entrée sur une île de Lough Derg, ce qui lui avait permis de convaincre les Irlandais incrédules. 

(…) Shakespeare veut nous faire sentir que Hamlet affecte la folie parce qu’il ne peut pas l’éviter. Le fardeau tragique a fait son œuvre, Hamlet se rend compte qu’il n’est plus entièrement maître de lui-même. Quoi de plus naturel que de dissimuler sa dépression nerveuse sous un masque lui permettant de s’y abandonner quand la crise est trop forte ? (…) il se sert de sa folie « comme d’un paravent à l’abri duquel il lance ses traits d’esprit ».

Hamlet traite Ophélie comme une prostituée (…) Hamlet a dû entendre ce que Polonius disait au roi (…) Que Hamlet autrefois ait été sincèrement éprit d’Ophélie, aucun critique sérieux n’en a jamais douté. 

Hamlet n’a guère de raisons d’aimer Polonius, qu’il considère comme un « vieux pitre ennuyeux », dont l’alliance avec Claudius lui a fait perdre la couronne, et qu’il sait bien être responsable de la défection d’Ophélie. Le roi Claudius est un usurpateur ; comme il a volé le précieux diadème et l’a mis dans sa poche, on comprend qu’il garde une œil méfiant sur le propriétaire légal. 

Ces esprits vitaux hérités de la psycho-physiologie médiévale avaient encore grand crédit à l’époque de Shakespeare ; ils étaient le véhicule de l’âme, dont ils assuraient la liaison avec le corps (…) Ce processus s’expliquait naturellement par la frustration d’une passion très forte. Polonius y voit l’effet du chagrin amoureux. Claudius l’attribue pour sa part à une ambition contrariée. 

« Etre ou ne pas être, voilà la question ». On ne trouverait pas dans toute la littérature une autre expression de lassitude si profonde. Le sommeil, la mort, l’anéantissement absorbent entièrement son esprit.

« Que si vous êtes honnête et belle, votre vertu devrait refuser tout entretien avec votre beauté ». Autrement dit, si vous étiez la jeune fille chaste que vous faites semblant d’être, vous ne permettriez pas que votre beauté soit utilisée comme appât. 

(…) il traite presque ouvertement Ophélie de prostituée en lui répétant « va-t-en dans un cloître », car dans l’usage courant élisabethain,  « nunnery » (cloître) était un terme d’argot pour désigner une maison mal famée.

Pourquoi (…) Hamlet met-il tant d’application et de témérité à menacer le roi ? (…) le prince a parfaitement saisi les fines remarques de Rosencrantz et Guildenstern sur l’ambition ; il pose maintenant à l’héritier insatisfait assoiffé de vengeance… 

Mais la pantomime n’a rien d’une fioriture décorative (…) Si vous l’enlevez, que se passe-t-il ? La scène du spectacle est gâchée. Sans la pantomime, la pièce des comédiens consiste en 70 vers de dialogue sur le thème du remariage entre un roi et une reine, suivi de six vers prononcés par un personnage tout à fait imprévu, qui entreprend d’empoisonner le roi endormi…

Lui (Claudius…) ne doit rien savoir, et eux (les spectateurs) doivent être informés de tout (…) si on ne fait pas le rapprochement entre l’histoire de Gonzague et le récit du fantôme, l’effet dramatique de la scène du spectacle risque d’être perdu pour le plus grand nombre.

(…) Il a représenté toute l’intrigue dans un pantomime. « Peut-être que ce mime révèle l’argument de la pièce », remarque Ophélie.

Claudius est présent sur scène pendant la pantomime, c’est incontestable ; mais alors qu’il se rue hors de la pièce en hurlant quand le meurtre est reproduit une seconde fois sous la forme dramatique, apparemment la représentation mimée ne le touche pas du tout (…) c’est qu’il ne l’a pas reconnue comme une représentation de son crime ; et si le pantomime n’est pas une représentation du crime, l’histoire du spectre doit être fausse (solution de Greg).

(…) la seconde explication (…) : Hamlet a prévu de soumettre le roi à une double épreuve, la pantomime et la prestation de Lucianus (…) Claudius a les nerfs suffisamment solides pour résister à la première épreuve mais il craque à la deuxième.

Hamlet mentionne plusieurs fois cette épreuve avant et après l’événement, sans jamais suggérer que la pantomime doit en faire partie. Au contraire, tout ce qu’il dit montre bien qu’il n’a rien d’autre en tête que le discours, son discours, destiné à « saisir la conscience du roi »

(…) la perfidie des acteurs qui ont pris sur eux d’ajouter cette pantomime ridicule au spectacle et failli éventer toute l’intrigue. (…) le dialogue entre Hamlet et Ophélie après la pantomime montre qu’il ne s’attendait pas du tout à cette exhibition et qu’il la trouve souverainement déplaisante. 

Que s’est-il passé entre-temps pour l’inquiéter [Gertrude] à ce point ? Ce n’est sûrement par la découverte du crime de Claudius. De cela elle est tout à fait ignorante, ce qu’elle dit à Hamlet un peu plus tard le prouve. 

En un mot, Lucianus-Hamlet empoisonne Gonzague-Claudius devant la cour rassemblée (…) Le vrai sens de l’histoire de Gonzague, celui qui s’adresse au roi, ne pouvait être révélé car la reine était mise en cause. Jusqu’à quel point elle était instruite du meurtre, ou peut-être en était complice, Hamlet l’ignorait mais (…) le crime du roi doit à tout prix être tenu secret (…) pour Rosencratz et Guildenstern, Polonius et les autres, qui n’ont pas eu le privilège de s’entretenir avec le fantôme du roi Hamlet, la pièce ne leur suggère aucun lien avec la mort du roi qui était due, comme chacun savait, à une morsure de vipère. 

Ce qu’ils sont sûrs de voir, car Hamlet prend soin qu’elles ne leur échappent pas, ce sont les allusions au remariage des veuves… (…) « Regardez, s’écrie-t-il, « comme ma mère paraît gaie, et mon père est mort il y a moins de deux heures » (…) directive scénique qui ne s’adresse pas seulement à Ophélie et aux gens de la cour, mais aussi au public de la salle. (…) On voit les trois têtes rapprochées en conciliabule, dont les chuchotements deviennent peut-être plus audibles dès que lui-même se tait (…) De sorte qu’ils ne regardent pas du tout la scène ; la pièce ne les intéresse pas ; toute leur attention se concentre sur la folie de Hamlet. Les comédiens entrent, exécutent leur courte pantomime (…) et repartent totalement ignorés par les raisonneurs.

La pièce s’intitule « La Souricière », or une souricière ne sert à rien sans appât (…) Claudius a manqué la pantomime ; il ne faut surtout pas qu’il manque la pièce ; il faut l’attirer dans le piège avec un appât alléchant. C’est le thème du remariage qu’on offre en guise de fromage à sa majesté la souris. 

La cour voit enfin l’intention du drame : le roi de comédie est Claudius, Hamlet le fou menace d’assassiner son oncle et prendre la couronne. Claudius comprend aussi. 

Jusqu’ici notre attention a été dirigée vers les machinations palpitantes et complexes de son « humeur bouffonne » et sa mise à l’épreuve de l’histoire du spectre, maintenant elle se concentre sur le problème unique de son inaction. L’intrigue fournit le principal intérêt de la première partie, le personnage celui de la seconde. 

(…) ses alternances d’épuisement mélancolique et de frénésie (…) alors qu’on parle beaucoup de la folie de Hamlet, et qu’il cède souvent à des accès de fébrilité ou de tristesse, sur scène nous ne le voyons jamais en état d’aliénation manifeste. 

(…) à travers le personnage de Hamlet, Shakespeare s’est délibérément appliqué à créer un mystère dont lecteurs et spectateurs ne seraient jamais las de discuter sans parvenir jamais à le résoudre, tout en permettant à l’acteur qui l’incarne de choisir presque toute les interprétations qu’il voudra. 

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