Nombre total de pages vues

mardi 1 septembre 2020

"XY. De l’identité masculine" d'Elisabeth Badinter (1992)

L’évolution virile est véritablement la « via difficilor » (…) Né d’une femme, bercé dans un ventre féminin, l’enfant mâle, contrairement à l’enfant femelle, est condamné à la différenciation pendant une grande partie de sa vie. Lui ne peut exister qu’en s’opposant à sa mère, à sa féminité, à sa condition de bébé passif. A trois reprises, pour signifier son identité masculine, il lui faudra se convaincre et convaincre les autres qu’il n’est pas une femme, pas un bébé, pas un homosexuel (…) la masculinité du garçon (…) est seconde, difficilement acquise et fragile. « En général, la masculinité est plus importante pour les hommes que la féminité pour les femmes » (Helen Hacker)

(…) cet X paraît représenter l’humanité de base : ce sans quoi il n’y a pas d’être humain possible. Alors que l’Y symbolise la différence sexuelle masculine et elle seule…

« Le mâle se construit contre la féminité première de l’embryon (…) Au cours du développement, devenir mâle est « une lutte de tous les instants » (Alfred Jost)

Féminin d’origine, l’enfant mâle est sommé d’abandonner sa première patrie pour en adopter une autre qui lui est opposée, voire ennemie. Cet arrachement qui lui est imposé est aussi vivement désiré (…) Pour devenir un homme, il devra apprendre à se différencier de sa mère et à refouler au plus profond de lui cette passivité délicieuse où il ne faisait qu’un avec elle.

Selon Freud pour qui la protoféminité n’existe pas, la petite fille a plus d’obstacles à franchir que le petit garçon. Il croyait que « la masculinité était le mode originel naturel de l’identité de genre dans les deux sexes, et qu’elle résultait de la première relation d’objet  hétérosexuel du garçon avec la mère, et de la première relation d’objet homosexuelle de la fille avec celle-ci »(R. Stoller) .Stoller reproche à Freud d’avoir négligé le tout premier stade de la vie, induit par la fusion qui se produit dans la symbiose mère-bébé. Parce que les femmes acceptent leur féminité de façon primaire et incontestée, leur identité de genre est plus solidement ancrée que celle des hommes (…) la masculinité est seconde et « à créer ».

Le comportement que les sociétés définissent comme convenablement masculin est fait de manœuvres de défense : crainte des femmes, crainte de montrer quelque féminité que ce soit, y compris sous la forme de tendresse, de passivité ou de soins dispensés aux autres et bien sûr crainte d’être désiré par un homme. « Le premier devoir pour un homme est : ne pas être une femme » (Stoller).

« (…) le garçon circoncis a une nette supériorité : son gland est visible, ce qui est souvent considéré comme le signe d’une virilité plus affirmée » (Bettelheim).

« Le prépuce est retranché pour éliminer tout trait féminin de l’insigne de la masculinité ; car le prépuce est féminin, il est le vagin dans lequel est fourré le gland masculin…chez les juifs, s’ils retranchent le prépuce…ils éliminent la bisexualité de l’homme, ils enlèvent au masculin le caractère féminin. Ils renoncent ainsi, en faveur de la divinité bisexuelle, à leur similitude divine innée.

La grande difficulté pour les petits garçons de pères absents consiste à opérer une désidentification, avec tout son cortège de négation et de rejet du féminin, sans le soutien effectif d’un modèle positif d’identification.

Parce que les hommes ont été élevés depuis des millénaires uniquement par des femmes, il leur faut dépenser des trésors d’énergie pour garder les frontières. Tenir les femmes à distance est le seul moyen de sauver sa virilité.

L’homme viril incarne l’activité. Mais cette activité n’est en vérité qu’une réaction contre la passivité et l’impuissance du nouveau-né (…) La peur de la passivité et de la féminité est d’autant plus forte que sont là les désirs les plus puissants et les plus refoulés de l’homme.

« La voix de l’homme rejette l’enfant tenté par l’irresponsabilité » (Philip Roth in « Ma vie d’Homme »)

Pour se laisser aller à ses fantasmes régressifs, il faut déjà avoir pris quelques distances avec ses angoisses.

La femme terrifie parce qu’elle symbolise la mort, le retour en arrière, l’aspiration par une matrice avide.

« Et si mon pénis devenait sec et friable, se cassait un jour dans ma main pendant que j’urinais ? Alors je me transformerais en fille. » (Philip Roth in « Portnoy et son complexe »)

(…) ces femmes « poisseuses de sollicitude » qui engendrent des hommes-poupons.

(…) pour la plupart des psychanalystes classiques, le père ne peut ni ne doit se substituer à la mère. Pas même partager le maternage. Il doit rester le déversoir possible de la haine de l’enfant, incarnation du principe de réalité, et laisser à la mère le privilège et la charge d’incarner le principe de plaisir.

Les rites d’initiation. Véritable inversion de l’état femelle primaire, on a parlé d’« une chirurgie radicale de resocialisation. » Celle-ci comporte trois étapes plus douloureuses les unes que les autres : la séparation d’avec la mère et le monde féminin ; le transfert dans un monde inconnu ; et le passage d’épreuves dramatiques et publiques.

(…) les jeunes garçons en état de choc traversent la phase liminale nécessaire où ils ne sont plus rien (…) un état conjoncturel et nécessaire de non-identité qui montre que l’enfant féminin de la mère doit d’abord mourir pour que puisse naître l’enfant mâle.

Des Grecs aux Sambia, des samouraïs japonais aux Baruyas, tous ont pensé que la vraie virilité passait par une relation étroite entre deux hommes « (…) en Grèce, la vérité et le sexe se liaient dans la forme de la pédagogie (…) le sexe servait de support aux initiations de la connaissance » (Michel Foucault in « La Volonté de savoir »)

Alors que le sodomite, note Michel Foucault, n’était que le sujet juridique d’actes interdits, « l’homosexuel du XIXè siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance ; une morphologie aussi (…) L’homosexuel est maintenant une espèce. » (Michel Foucault, in « La Volonté de savoir »).

« (…) nous considérons l’homosexualité comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un certain arrêt du développement sexuel » (Correspondance de Freud, 1935)

L’homophobie est la haine des qualités féminines chez les hommes alors que la misogynie est la haine des qualités féminines chez les femmes.

L’homophobie (…) est un obstacle majeur à l’amitié entre les hommes. (…) On sait depuis Freud que l’amitié masculine a pour origine la sublimation du désir homosexuel.

Pour Freud, l’homosexualité est bien une pulsion universelle, mais elle n’en est pas moins une étape à dépasser.

(…) l’étroite relation entre la masculinité et le refoulement massif d’une partie de soi. (…) Le cas limite de l’homme coupé en deux est celui du mâle fasciste hitlérien décrit par Klaus Theweleit : « Les hommes étaient alors déchirés entre un intérieur (femelle) et un extérieur (mâle), des ennemis mortels… » Le refoulement exclusif conduit à la haine du soi refoulé, projeté à l’extérieur et objectivé (…) Otto Weininger éprouve une haine des juifs qui n’a d’égale que sa haine de la femme. A ses yeux, le juif, comme la femme, incarne l’immoralité, la dégénérescence…

« Le complexe de castration est la plus profonde racine inconsciente de l’antisémitisme car, dans la nursery déjà, le petit garçon entend dire que l’on coupe au juif quelque chose au pénis (…) Et il n’est pas de racine plus profonde au sentiment de supériorité sur les femmes. » (Freud in « Les Cinq psychanalyses »)

« Être un homme est la bataille sans fin de toute une vie. » (Norman Mailer in « Prisonnier du sexe »)

L’homme guerroie perpétuellement contre lui-même pour ne jamais céder à la faiblesse et à la passivité qui le guettent toujours.

(…) le western raconte toujours la même histoire d’une poursuite incessante des hommes à la recherche de leur virilité.

A promouvoir cette image inaccessible de la virilité, on suscite une prise de conscience douloureuse : celle d’être un homme inachevé.

Tous sont les victimes involontaires de la haine de soi, prisonniers de l’idéologie du dualisme oppositionnel des genres.

L’homme réconcilié est celui qui a trouvé son père et retrouvé sa mère, c’est-à-dire celui qui est devenu un homme sans blesser le féminin-maternel.

C’est seulement à mi-parcours que l’homme devient pleinement un adulte, plus tardivement que la femme. A cette époque (quarantaine) les normes masculines changent. Moins exclusivement centré sur lui-même, son pouvoir et sa réussite, l’homme peut se tourner vers les autres, manifester son attention et sa tendresse…

Durant cette longue période (20-40 ans) qu’achève la construction de son identité masculine, il a tendance à confondre le tout de sa personnalité avec celle-ci.

En fin de parcours, l’être humain androgyne (…) alterne l’expression de ses deux composantes selon les exigences du moment.

C’est au cours des deux premières années de leur existence que les garçons ont absolument besoin du père.

En vérité, pas de bonne paternité possible sans l’acceptation de son homosexualité latente, et un soupçon de pédophilie ! Il est temps que l’on reconnaisse au père ce qu’on accorde à la mère depuis toujours…

(…) ce sont les caractéristiques « féminines » du père qui donnent au fils l’envie de le prendre pour modèle.

C’est le parent qui investit le plus son bébé qui devient le principal objet d’attachement -sans distinction de sexe -… De plus, les préférences changent avec l’âge.

Passées les premières années, le père doit mobiliser toute sa virilité pour la transmettre à son fils. Il doit jouer de sa bisexualité et savoir évoluer du père/mère au père/mentor.

(…) lorsque la mère perd son rôle prééminent, elle doit faire face à l’idée que l’enfant n’est pas un prolongement d’elle-même.

Il est surtout grand temps de faire l’éloge des vertus masculines qui ne s’acquièrent ni passivement ni facilement, mais se disent en termes d’efforts et d’exigences. Elles s’appellent maîtrise de soi, volonté de se surpasser, goût du risque et du défi, résistance à l’oppression…Elles sont les conditions de la création, mais aussi de la dignité. Elles appartiennent à tout être humain au même titre que les vertus féminines. Celles-ci conservent le monde, celles-là en font reculer les limites.

Tant que les femmes accoucheront des hommes, et que XY se développera au sein de XX, il sera toujours un peu plus long et un peu plus difficile de faire un homme qu’une femme. (…) Quand les hommes prirent conscience de ce désavantage naturel, ils créèrent un palliatif culturel de grande envergure : le système patriarcal.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire