Nombre total de pages vues

mardi 15 septembre 2020

"Le désert des Tartares" de Dino Buzzati (1940)

Regardez Giovanni Drogo et son cheval : comme ils sont petits au flanc des montagnes qui se font toujours plus hautes et plus sauvages. Il continue de monter, pour arriver au fort dans la journée, mais, plus lestes que lui, du fond de la gorge où gronde le torrent, montent les ombres.

(…) personne, dans tout le fort, ne pensait à lui, et, non seulement dans le fort, mais probablement aussi dans le monde entier, il n’y avait être humain qui pensât à Drogo ; chacun a ses propres occupations, chacun se suffit à peine à lui-même.

Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d’œuvre insensé.

Ils ne s’étaient pas adaptés à l’existence commune, aux joies de tout le monde, au destin moyen ; côte à côte, ils vivaient avec la même espérance…

L’un deux l’invita à dîner, un autre s’était marié, ils avaient tous pris des routes différentes et, en quatre ans, ils étaient déjà loin. Il essayait, mais, malgré tous ses efforts, il n’y parvenait pas (mais, lui aussi, peut-être, n’en était plus capable) de faire renaître les conversations de jadis, les vieilles plaisanteries, les expressions convenues.

La porte de la chambre a un frémissement et craque légèrement. […] Mais peut-être aussi est-ce Elle qui est entrée, à pas silencieux, et qui maintenant s’approche du fauteuil de Drogo. Faisant un effort, Giovanni redresse un peu le buste, arrange d’une main le col de son uniforme, jette encore un regard par la fenêtre, un très bref coup d’œil, pour voir une dernière fois les étoiles. Puis, dans l’obscurité, bien que personne ne le voie, il sourit.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire