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dimanche 29 mars 2020

"La fabrique du crétin digital"  de Michel Desmurget (2019)

(…) le temps consacré aux usages récréatifs (…) chez les 13-18 ans (…) Les sujets défavorisés affichent une durée d’exposition moyenne très significativement supérieure (plus de 2h30) à celle de leurs homologues privilégiés (…) les individus privilégiés sont presque deux fois plus nombreux que leurs homologues défavorisés à recourir chaque jour aux ressources d’Internet pour faire leurs devoirs (39% contre 22%).

Le menu de nos petits génies s’articule ainsi prioritairement autour d’activités récréatives pour le moins basiques : réseaux sociaux, jeux vidéo, fréquentation de sites marchands, échanges de SMS, visionnage de clips musicaux, vidéos, films et séries, etc. En moyenne, selon les termes d’une étude récente, « seulement 3% du temps consacré par les enfants et adolescents aux médias digitaux est utilisé à la création de contenus » (tenir un blog, écrire des programmes informatiques, créer des vidéos ou autres contenus « artistiques, etc.) (…) Ceux-ci représentent, en moyenne, une fraction mineure du temps total d’écran…

(…) quantité d’études montrent que les adultes s’avèrent globalement, en matière numérique, aussi compétentes et assidus que leurs jeunes descendants. Même  les seniors parviennent, sans grands difficultés, quand ils le jugent utile, à pénétrer ce nouvel univers.

D’un côté une conversion tardive au numérique ne vous empêchera nullement, pour peu que vous y passiez un minimum de temps et ayez au moins le QI d’une palourde, de devenir aussi agile que le plus chevronné des digital natives. D’un autre côté, une immersion prématurée vous détournera fatalement d’apprentissages essentiels qui, en raison du verrouillage progressif des « fenêtres » de développement cérébral, deviendront de plus en plus difficiles à effectuer.
Ainsi donc, de toute évidence, l’idyllique portrait médiatique des digital natives manque un peu de substance factuelle.

(…) quand un parlementaire, censément spécialiste des questions d’éducation, auteur de deux rapports officiels sur l’importance des technologies de l’information pour l’école, s’autorise à écrire des choses aussi ébouriffantes que « le numérique permet la mise en place de pédagogies de l’estime de soi, de l’expérience, de l’apprentissage », on ne peut qu’hésiter entre le rire, la colère et la consternation. Que veut donc dire notre cher député ? Qu’avant le numérique il n’était question dans les classes ni de pédagogie, ni d’expérimentation, ni d’estime de soi ? Heureusement que Rabelais, Rousseau, Montessori, Freinet,  La Salle, Wallon, Steiner ou encore Claparède ne sont plus là pour entendre l’affront. Et puis, vraiment, quelle incroyable révolution, jugez un peu : « une pédagogie de l’apprentissage ». Comme s’il pouvait en être autrement : comme si la pédagogie ne nommait pas intrinsèquement une sorte d’art de l’enseignement (et donc de l’apprentissage) ; comme si une pédagogie quelle qu’elle soit pouvait viser l’ankylose, l’abrutissement et la stagnation. Réaliser que c’est ce genre de discours aussi creux que ridicules qui pilotent la politique éducative de nos écoles a quelque chose d’un peu effrayant.

(…) tout état persistant et/ou activité répétitive change l’architecture cérébrale (…) Alors franchement, dire que les gamers ont une architecture cérébrale différente, c’est s’extasier d’un truisme (…) Des travaux spécifiques ont même directement lié, pour ces zones préfontales, la surépaisseur corticale observée chez les gamers avec une diminution du QI (…) Il est temps de se rendre à l’évidence : « un cerveau plus gros » ne constitue pas un marqueur faible d’intelligence (…) l’adolescence est une période privilégiée de maturation du cortex préfontal et, de fait, un moment d’extrême vulnérabilité pour l’acquisition et le développement de troubles addictifs, psychiatriques et comportementaux (…) les recherches les plus récentes montrant qu’il n’y a quasiment aucun transfert de puis les jeux vidéo vers la « vraie vie ». En d’autres termes, jouer à Super Mario nous apprend principalement à jouer à Super Mario.

Le lancement du fameux programme « One laptop per child » dans certains pays économiquement défavorisés en offre un excellent exemple. L’objectif consistait à offrir aux enfants de ces pays des ordinateurs (puis des tablettes) low cost en espérant que cela aurait un impact positif sur leurs compétences scolaires et intellectuelles (…) Evaluation après évaluation, les chercheurs durent bien reconnaître l’inanité de coûteux programme sur les compétences scolaires et cognitives des enfants (…) il aurait été dommage aussi d’offrir le même genre de tribune médiatique à d’autres programmes plus humbles et moins criards ; tels ces programmes ayant montré, dans les pays en développement, que la distribution de livres aux mères de jeunes enfants avait un effet positif majeur sur le développement de ces derniers en matière de langage, d’attention et d’interactions sociales.

(…) le gouffre qui existe parfois entre la réalité d’une recherche et sa transcription auprès du grand public.

(…) les états de forte tension psychique entraînent, en effet, la libération massive de certaines hormones neuromédiateurs connues pour interférer avec les processus de mémorisation.

(…) l’apparente capacité de bien des experts médiatiques à ne pas indisposer les instances invitantes.

L’industrie audiovisuelle (…) accepta, sans états d’âme d’abandonner le secondaire pour préserver l’essentiel. A travers ses relais experts et médiatiques, elle opéra alors selon deux axes complémentaires. Premièrement, en soutenant diligemment la condamnation des usages précoces (ce qui ne lui coûtait rien). Deuxièmement, en se lançant dans une subtile (et efficace) campagne d’attiédissement des restrictions tardives.

(…) l’usage d’une tablette « interactive » non seulement ne développe pas, mais altère lourdement le développement de la motricité manuelle fine chez des enfants d’âge préscolaire (…) Les recherches montrent que la tablette est, la plupart du temps, pour le jeune enfant, un écran « passif » servant à consommer des contenus audiovisuels dont on nous dit précisément qu’ils sont déconseillés (dessins animés, films, clips, etc…)

(…) ceux qui ont les moyens continuent à doter leur descendance d’un cadre humain solide et compétent ; les autres sont priés de croire au baratin œcuménique de la tablette miracle. Il faut dire que cette merveilleuse petite machine, pleine de gadgets pseudo-éducatifs, offre de bien belles perspectives économiques. « Sortez vos tablettes, cliquez sur l’application BadaBoum et au travail ! ».  L’enseignant deviendra « médiateur ». Il verra son rôle éducatif transféré à la tablette et pourra donc être recruté sans solide qualification ni formation, pour un salaire « raisonnable ».

En règle générale, le groupe tend à se révéler bien plus bête et bien moins créatif que la somme de ses individualités. Vous avez un problème ? faites un brainstorming collectif. Vous obtiendrez des résultats infiniment moins intéressants que si vous aviez demandé d’abord à chacun de réfléchir seul dans son coin.

(…) l’affirmation selon laquelle la pratique du jeu vidéo d’action améliore l’aptitude au travail collectif semble relever, au mieux de la fabulation au pire de la tartuferie propagandiste.

Conclure sur la base de l’étude ici discutée que Mario Kart fait de nous de « meilleurs conducteurs » est juste surréaliste.

(…) jouer à un jeu vidéo d’action nous enseigne essentiellement à… jouer à ce jeu et à ses homologues de même nature. Bien sûr, certaines généralisations positives surviennent parfois lorsque le réel impose les mêmes demandes que le jeu. C’est le cas, par exemple, pour la manipulation d’un téléscope chirurgical ou le pilotage lointain de drones de combat. Mais, en dehors de ces situations singulières, il est tout à fait illusoire, comme le confirment nombre d’études récentes, d’espérer un transfert d’aptitude significatif du jeu vidéo vers le réel.
Naturellement, cette certitude expérimentale n’arrête pas l’armada des spécialistes médiatiques (…) même un éminent scientifique, membre de la prestigieuse Académie des sciences, qui expliquait aux millions d’auditeurs d’une grande radio nationale qu’il ne fallait pas « démoniser les jeux vidéo (…) Même les jeux vidéos d’action, les « shooters » ont un effet positif sur l’éducation parce qu’ils augmentent la concentration des enfants, la capacité d’attention. »
(…) en matière de jeux vidéo d’action un accomplissement optimal ne peut s’obtenir qu’à travers le développement d’une attention exogène éparpillée, c’est-à-dire vigilante au moindre mouvement du monde extérieur. Cela veut dire une attention dont les propriétés sont, par nature, exactement opposées à celles de la concentration.

(…) l’iconoclaste (…) trône rarement au firmament du monde scientifique et doit l’essentiel de sa notoriété à son ostentation anticonformiste. Car, encore une fois, ce genre de client est pain béni pour l’industrie et le journaliste qui, en vertu du dogme flasque de l’impartialité, déjà évoqué, s’impose souvent pour devoir absolu de présenter tout l’éventail des antagonismes existants.

(…) l’impact des contenus violents sur le comportement (…) Depuis plus de soixante ans (…) le résultat n’a jamais varié : les contenus violents favorisent à court et long terme l’émergence de comportements agressifs chez l’enfant et l’adulte (…) si vous prenez deux populations d’individus, l’une composée d’adeptes de jeux violents, l’autre de non-joueurs, les comportement d’agressions verbale et/ou physiques seront plus fréquents et plus marqués dans le groupe des joueurs.

Entre 1975 et 2000, plus le degré de certitude scientifique avait augmenté quant à l’effet toxique de la violence audiovisuelle sur le comportement, plus le discours médiatique était devenu mièvre et rassurant (…) Au début des années 2000, on trouvait 2,2 fois plus d’articles de presse « affirmatifs » (reconnaissant l’existence d’un lien significatif entre violence audiovisuelle et comportement d’agressions) que d’articles « neutres » (indiquant que l’on ne pouvait trancher). Dix ans plus tard, en dépit, nous l’avons vu, d’un consensus toujours aussi marqué dans la communauté scientifique, le rapport s’était quasiment inversé avec 1,5 fois plus d’articles « neutres » que d’articles « affirmatifs ».

(…) le « biais d’équité » (…)  en offrant à chacun le même poids expressif, il fait perdre aux travaux aberrants leur caractère anecdotique.

(…) il y a cet arrêt rendu, en 2011, par la Cour suprême américaine, au bénéfice des fabricants de jeux vidéo (…) Il permet aussi de vendre à des gamins de 5, 6 ou 8 ans des jeunes dans lesquels, selon les termes de l’un des juges de la Cour suprême, « la violence est stupéfiante (…) Les victimes sont démembrées, décapitées, éviscérées, enflammées, et découpées en petits morceaux. Elles hurlent d’agonie et implorent la pitié. Jaillissements, éclaboussures et mares de sans (…) Il y a des jeux dans lesquels un joueur peut endosser l’identité et rejouer les meurtres commis par les exécuteurs des tueries du collège de Columbine et de Virginia Tech. L’objectif d’un jeu est de violer une mère et ses filles; dans un autre, le but est de violer des femmes américaines natives [i.e. indiennes] Il y a un jeu dans lequel les joueurs engagent un « nettoyage ethnique » et peuvent choisir d’abattre des Noirs américains, des Latinos ou des Juifs. »  (…) Oui, aux Etats-Unis, tout cela est protégé par la liberté d’expression ; et pour les juges de la Cour suprême, c’est le plus important.

(…) affirmer que le marketing alimentaire n’a pas d’effet sur l’obésité au motif que cette dernière augmente au Québec (ou dans quelque autre pays qui aurait tenté d’imposer une limite à la toute-puissance publicitaire de l’industrie agroalimentaire) est inepte et fallacieux (…) si l’on vous dit que deux phénomènes sont indépendants parce que leurs variations ne sont apparemment pas corrélées, soyez outrageusement circonspect. Demandez-vous toujours si ces phénomènes sont déterminés par plusieurs causes. Lorsque c’est le cas (et c’est presque toujours le cas), demandez-vous si ces causes sont prises en compte dans le modèle statistique. Lorsque la réponse est négative, c’est sans soute le signe que ce qui vient de vous être affirmé relève moins de la fière science que de la triste fumisterie.

(…) comme l’explique le site internet d’une radio nationale qui a couvert l’affaire (…) « Par exemple, il est démontré que la surconsommation d’écrans est un terreau fertile à un retard du développement du langage, mais rien ne permet d’affirmer qu’un enfant en retard est trop resté devant des écrans. » L’action préjudiciable des écrans sur le langage ne pourrait donc être confirmée au motif qu’il existe d’autres facteurs étiologiques possibles. Impressionnants.

(…) en matière d’écrans, lorsque les médias décrivent une étude particulière (…) il faut être particulièrement suspicieux vis-à-vis des études « iconoclastes », qui contredisent des résultats solidement établis par des dizaines de travaux antérieurs.

Chez l’adulte, une étude a montré que le risque de développer la maladie d’Alzheimer augmentait de 30% pour chaque heure quotidienne supplémentaire de télévision (…)

(…) identifier les modalité d’usage numérique d’une population, quelle qu’elle soit, n’est pas un exercice facile. En pratique, l’idéal serait bien sûr de demander à une armée de chercheurs de marquer à la culotte, 24 heures sur 24 pendant un ou deux mois, une armée de jeunes usagers et de noter obsessionnellement l’activité numérique de ces derniers. Idéal mais… infaisable (…) A ce jour, l’approche la plus courante repose sur des méthodes d’interview ou de sondages. Or, celles-ci sont loin d’être parfaites. D’abord, les gens se trompent et ont généralement tendance à sous-estimer leur consommation personnelle et celle de leurs enfants.

Les enfants de moins de deux ans consacrent, en moyenne, chaque jour, une cinquantaine de minutes aux écrans (…) Une étude a montré, pour des bambins de 6 mois, qu’à peu près 85% du temps d’écrans était silencieux, c’est-à-dire opéré sans intervention langagière adulte. Un résultat compatible avec les données d’une autre recherche ayant établi, pour la télévision, sur des enfants de 6 à 18 mois, que la notion d’usage partagé se résumait dans près de 90% des cas à poser le gamin à côté du parent lorsque celui-ci regardait ses propres programmes « tous publics » (…) plus d’un tiers des enfants de moins d’un an ingurgitent une heure trente d’écrans par jour. ces gros utilisateurs se rencontrent principalement dans les milieux socioculturels les moins favorisés.

(…) entre 2 et 8 ans un enfant « moyen » consacre aux écran récréatifs l’équivalent de 7 années scolaires complètes ou 460 jours de vie éveillée (une année un quart).

(…) entre 8 et 12 ans, le temps d’écrans journalier grime à presque 4h40, contre 3 heures précédemment. (…) 55% possèdent leur propre tablette, 47% ont une télé et 22% une console de jeux vidéo dans la chambre (…) 24% ont un smartphone (…) les préados issus des milieux défavorisés consacrent chaque jour presque deux heures de plus aux écrans que leurs homologues plus privilégiés (…) Aucune différence n’est observée pour les jeux vidéo qui sont utilisés avec la même fréquence, quel que soit le milieu.

(…) il existe une corrélation négative entre le bien-être socio-émotionnel et le temps consacré aux écrans. Autrement dit, les préados et ados qui passent le moins de temps dans le monde merveilleux du cyber-divertissement sont aussi ceux qui se portent le mieux !

(…) entre 13 et 18 ans (…) la consommation quotidienne de numérique atteint alors 6h40 (…) Autrement dit, sur une simple année, les écrans absorbent autant de temps qu’il y a d’heures cumulées d’enseignement du français, des maths et des SVP durant tout le secondaire. Mais cela n’empêche pas les sempiternelles ruminations sur l’emploi du temps chargés des écoliers. Pauvres petits martyrs privilégiés de nos sociétés d’opulence, écrasés de travail et privées de loisirs. Ayoub, un jeune collégien, est de ceux-là, lui qui interrogé par un grand quotidien national expliquait que « moi, si on raccourcissait mes journées de cours, j’en profiterais pour jouer plus à la Playstation, ou pour regarder la télé ». C’est ce qu’on appelle un projet gagnant-gagnant) gagnant : Ayoub s’éclate, Sony se remplit les poches et le ministère de l’Education nationale fait des économies (moins d’heures de cours, c’est moins de profs à rémunérer).

(…) à l’adolescence (…) les réseaux sociaux sont bien plus présents chez les filles que chez les garçons (…) à l’inverses de jeux vidéo

En fait, nous explique cette spécialiste du jeu vidéo, sur la base d’une analogie alimentaire décidément fort répandue, « plutôt que de compter les calories (ou le temps d’écran), pensez à ce que vous mangez » (…) des dizaines d’études scientifiques, synthétisées par ailleurs, montrent ainsi clairement que « l’apport calorique global (et non la teneur variable en macronutriments) est un facteur majeur dans les effets pondéraux d’un régime », comme le résume un épais rapport de la très officielle Agence nationale de sécurité sanitaire. Autrement dit, trop c’est trop, quand bien même l’assiette se conforme en tout point au nec plus ultra des recommandation alimentaires. Pour les écrans récréatifs, c’est la même chose.

(…) les mêmes individus (près d’un millier) ont été suivis pendant plus de deux décennies dans une étude particulièrement intéressante. Les dernières analyses, menées alors que les participants avaient 26 ans, établirent que chaque heure de télévision consommée quotidiennement entre 5 et 15 ans diminuait de 15% la probabilité de voir l’individu décrocher un diplôme universitaire et augmentait de plus d’un tiers le risque de le voir sortir du système scolaire  sans qualification (…) Ces données prennent un cachet particulier lorsqu’on les considère à la lumière des déclaration politiques récentes, ayant conduit deux ministres titulaires du prestigieux portefeuille de la Culture à expliquer, pour l’une que les enfants se sont détournés de l’audiovisuel public, ce qui semble terrible parce que « manquer cette génération, c’est manquer les suivantes »  ; pour l’autre qu’il est important de peaufiner l’offre numérique publique au motif que « les jeunes ne regardent quasiment plus la télévision sur l’écran traditionnel. Nous devons chercher le moyen le plus adapté pour les reconquérir. » Voilà qui rassure tant sur l’avenir de nos enfants que sur la trempe visionnaire de nos chers gouvernants.

Les étudiants dont le compagnon de chambre n’avait pas de console consacraient quotidiennement presque trois quart d’heure de plus à réviser que les étudiants dont le compagnon de chambre possédait une console.

Le smartphone (…) est le graal des suceurs de cerveaux, l’ultime cheval de Troie de notre décérébration. Plus ses applications deviennent « intelligentes », plus elles se substituent à notre réflexion et plus elles nous permettent de devenir idiots (…) L’impact négatif de l’usage du smartphone s’exprime avec clarté sur la réussite scolaire : plus consommation augmente, plus les résultats chutent.

(…) l’installation sur leur smartphone d’un logiciel « espion » permettant d’enregistrer objectivement, sans interférence, les temps d’usage réels. Selon les conclusions memes de l’étude, les effets mesurés se révélèrent d’une amplitude « alarmante ». Tout d’abord, il se confirma que les participants passaient bien plus de temps à manipuler leurs smartphones (3h50 par jour en moyenne) qu’ils ne le pensaient (2h55 par jour en moyenne). Ensuite, il apparut que plus le temps d’usage augmentait et plus les résultats académiques diminuaient.

Cette domination du divertissement sur l’effort, nulle question de l’illustre mieux que celle des devoirs (…) A plus long terme, ils permettent aussi le développement de certaines aptitudes d’auto-discipline et d’autorégulation, absolument essentielles à la réussite scolaire.

« Les livres seront bientôt obsolètes à l’école (…) Notre système scolaire va complètement changer en dix ans. » Belle citation qui, avouons-le, ne manque pas d’actualité… sauf qu’elle date de 1913 et de l’émerveillement affiché par l’inventeur et industriel américain Thomas Edison au sujet des innombrables potentialités pédagogiques du cinéma. A l’époque, ce média était en effet supposé « révolutionner le système éducatif » et « permettre l’enseignement de toutes les branches du savoir humain » (…) dans les années 1960, ce fut au tour de la télévision d‘être portée aux nues. Grâce à cette superbe invention, nous disaient les encenseurs de l’époque, il allait rapidement devenir « possible de multiplier les meilleurs enseignants, c’est-à-dire, de sélectionner le meilleur de tous les professeurs et d‘offrir aux élèves les bénéfices d’une instruction supérieure (…) La télé fait de chaque salon, de chaque bureau, de chaque grenier etc, une salle de classe potentielle ». Une vision largement partagée par le président américain du moment, Lyndon Johnson, célèbre pour avoir lancé (en parallèle de la guerre du Vietnam et sans plus de succès) une guerre contre la pauvreté dont la télévision devait être l’un des fers de lance.

(…) les études disponibles montrent clairement que les enfants qui apprennent à écrire sur ordinateur, avec un clavier, ont beaucoup plus de mal à retenir et reconnaître les lettres que ceux qui apprennent avec un crayon et une feuille de papier. Ils ont également plus de difficultés à apprendre à lire.

L’enquête la plus récente, diligentée par l’OCDE dans le cadre du programme PISA : « les pays qui ont moins investi dans l’introduction des ordinateurs à l’école ont progressé plus vite, en moyenne, que les pays ayant investi davantage. »

(…) deux études réalisées, à peu près au même moment, sous l’égide du ministère américain de l’Education. Dans la première, entreprise à la demande du Congrès, les auteurs se sont demandés si l’usage de logiciels éducatifs à l’école primaire (lecture, mathématiques) avait un effet sur la performance des élèves. Résultat : bien que tous les enseignants aient été formés à l’utilisation de ces logiciels, de manière satisfaisante selon leurs propres dires, aucune influence positive sur les élèves ne put être détectée (…) Maintenant, si vous mettez ce gamin devant des enseignants compétents, solidement formés, il progressera significativement et finira dans le premier tiers de sa classe (…) la qualité du corps professoral constitue le trait fondamental commun aux systèmes éducatifs les plus performants de la planète (…) « les enseignants sont les plus importantes ressources dans les écoles aujourd’hui » (synthèse du dernier rapport PISA).

(…) Bill Joy, cofondateur de Sun Microsystem et programmeur de génie, concluant comme suit une discussion sur les vertus pédagogiques du numérique : « Tout cela (…) ressemble à une gigantesque perte de temps. Si j’étais en compétition avec les Etats-Unis, j’adorerais que les étudiants avec lesquels je suis en compétition passent leur temps avec ce genre de merde. »

Un nombre sans cesse croissant d’études montre ainsi que l’introduction du numérique dans les classes est avant tout une source de distraction pour les élèves et, par suite, un facteur significatif de difficultés scolaires (…) Ainsi, par exemple, dans une recherche réalisée à l’université du Vermont (Etats-Unis), pour un cours de 1h15, le temps volé par les activités distractives atteignait 42% !

Il suffit, pour altérer la prise d’information, qu’un téléphone sonne dans la salle (ou vibre dans notre poche) (…) Un travail récent a établi que le simple fait de demander à un étudiant de poser son téléphone sur sa table, pendant un cours, suscitait une captation de l’attention suffisante pour perturber la performance cognitive ; et ce même lorsque le téléphone restait inerte et silencieux.

Curieusement, rien n’est fait pour stopper ou ralentir le processus, bien au contraire. Il n’existe qu’une explication rationnelle à cette absurdité. Elle est d’ordre économique  en substituant, de manière plus ou moins partielle, le numérique à l’humain,  il est possible, à terme, d’envisager une belle réduction des coûts d’enseignement. Bien sûr, la démarche s’accompagne d’un raz-de-marée marketing visant à persuader les parents et plus largement la société civile dans son ensemble que la numérisation, à marche forcée, du système scolaire, non seulement ne constitue pas un renoncement éducatif, mais représente un formidable progrès pédagogique.

(…) l’hypothèse d’une motivation supérieure suscitée par les MOOC concorde bien mal avec les résultats expérimentaux disponibles (…) Le taux d’abandon observé pour ce genre de cours en ligne, supposément hyperfuns, engageants et mobilisateurs, dépasse typiquement les 90-95% ; avec des pointes supérieures à 99% pour les enseignement les plus exigeants (…) Un résultat qui rejoint les conclusions d’une large étude expérimentale, portant sur l’efficacité d’un MOOC de physique : (…) « Les MOOCs sont des outils d’apprentissage efficients seulement pour une petit population sélectionnée - individus plus âgées, solidement éduqués, avec une excellente formation en physique et possédant une combinaison d’autodiscipline et de motivation. » (…) En d’autres termes, et quoi qu’en disent les louangeurs béats, il est infiniment plus astreignant d’apprendre avec un MOOC qu’avec un enseignant qualifié.

Il est d’ailleurs aujourd’hui établi que les non-experts apprennent bien mieux lorsque les contenus informationnels sont présentés sous une forme linéaire, hiérarchiquement structurée (à l’image d’un livre, d’un cours magistral ou d’une série de travaux pratiques, lorsque l’auteur a pris à sa charge le travail d‘agencement des savoirs) ; et bien plus difficilement lorsque ces mêmes contenus sont présentés selon une organisation réticulaire, anarchiquement fragmentée (à l’image de ce que produit une recherche sur Internet, quand toute la masse des données accessibles vous tombe d’un coup sur la tête, sans canevas ni souci de hiérarchie, de pertinence ou de crédibilité) (…) C’est parce que l’enseignant connaît son sujet (et les outils pédagogiques de sa transmission) qu’il peut guider autrui en agençant  de manière cohérente la succession des cours, exercices et activités qui vont permettre l’acquisition progressive des connaissances et compétences désirées.

Comme si, effectivement, n’importe quel quidam pouvait devenir enseignant pour peu qu’on offre à ses élèves une connexion internet. Toujours le même discours. Toujours le même prosélytisme creux…

Dès lors, pour faire passer la pilule et éviter les fureurs parentales, il faut habiller l’affaire d’un élégant verbiage pédagogiste. Il faut transformer le cautère digital en une « révolution éducative », un « tsunami didactique » réalisé, évidemment, aux seuls profits des élèves. Il faut camoufler la paupérisation intellectuelle du corps enseignant et encenser la mutation des vieux dinosaures prédigitaux en pétillants (au choix !) guides, médiateurs, facilitateurs, metteurs en scène ou passeurs de savoir.

(…) comme le résumait une enseignante de l’Idaho, ancienne officier de police dans les corps des Marines, « mes élèves, je leurs apprends à penser profondément, à penser.  Un ordinateur ne peut pas faire cela. » Un ordinateur ne peut pas non plus sourire, accompagner, guider, consoler, encourager, stimuler, rassurer, émouvoir ou faire preuve d’’empathie. Or, ce sont là des éléments essentiels de la transmission et de l’envie d’apprendre.

(…) l’un des meilleurs spécialistes mondiaux du développement social chez le primate; il étudie notamment le rôle des célèbres « neurones miroirs ». Ceux-ci doivent leur nom au fait qu’ils s’activent de manière similaire lorsque le sujet produit lui-même ou voit produire par un tiers une action particulière (par exemple, un faciès de colère) (…) l’observation d’un mouvement physique (…) Ferrari décida, pour gagner du temps, et mieux contrôler ses paramètres expérimentaux, de remplacer le mouvement par une vidéo de mouvement. Mal lui en prit ! En effet, « les neurones miroirs qui montraient de bonnes réponses à une action de la main réalisées par l’expérimentateur montraient des réponses faibles ou pas de réponse lorsque la même action, préalablement enregistrée, était montrée sur un écran. » (…) Les données sur le sujet sont aujourd’hui tellement convaincantes que les chercheurs ont décidé d’offrir un nom au phénomène : le « déficit vidéo ».

Comme l’explique Robert Sternberg, professeur de psychologie cognitive à l’université Yale, « le vocabulaire [qui reflète assez bien l’état général du développement langagier] est probablement le meilleur indicateur singulier du niveau d’intelligence générale d’une personne. » (…) les enfants d’aujourd’hui sont incapables d’absorber les ouvrages de la « Bibliothèque rose » que lisaient aisément leurs ascendants dans les annes 1960-1970. Pour ne pas condamner Fantômette ou le Club des Cinq aux oubliettes, nos amis éditeurs ont dû se lancer dans une vaste opération de réécriture. tout est désormais court et concis. On ne précise plus « le pique-nique marqua une halte agréable, dans un cadre champêtre à souhait » ; on écrit : « la famille s’arrête pique-niquer en haut d’une colline. » Fini le passé simple, les mots sortant de l’ordinaire, les formes singulières, les descriptions fécondes ; trop compliqués pour ces pauvres enfants du XXI siècle. Oh, bien sûr, on nous dit que les nouvelles générations ne sont pas moins compétentes que les précédentes, et qu’elles savent juste « différemment. » (…) plus les participants augmentaient leur consommation d‘écrans et plus leur intelligence langagière diminuait.

(…) les chercheurs ont montré qu’il était plus rapide et moins pénible de taper que d’écrire (chez les individus ayant un minimum d’habitude, évidemment). Dès lors, là où le clavier permet une prise de notes relativement fluide et exhaustive, la main force la parcimonie. Ce faisant, elle impose un effort de synthèse et de reformulation très favorable au processus de mémorisation. Ce lien entre mémorisation et effort cognitif (…) il a été montré (…) qu’une même information écrite était mieux mieux retenue lorsqu’elle était présentée dans un format moins aisément lisible.

(…) une augmentation substantielle du risque de dépression (+25%) et des pensées suicidaires (+20%) chez les adolescents autorisés à se coucher au-delà de minuit…

Dans une autre recherche, ce sont quasiment 20% des adolescents qui déclarèrent être réveillés par leur smartphone plusieurs nuits par semaine.

(…) une équipe australienne (…) les auteurs montrèrent en effet que la sédentarité télévisuelle amputait de quasiment l’espérance de vie des habitants de ce pays (…) « en moyenne chaque heure passée à regarder la télévision après 25 ans réduit l’espérance de vie du spectateur de 21,8 minutes. »

Un récent communiqué de la Fédération française de cardiologie résume bien le constat : « En 1971 [soit à peu près au début du processus d’universalisation de la télévision], un enfant courait 800 mètres en 3 min, en 2013, pour cette même distance, il lui en faut 4. »
Une étude récente a montré qu’un adolescent de 18 ans affiche aujourd’hui à peu près le même niveau d ‘activité physique qu’un senior de 60 ans.

La cigarette tue plus de 7 millions de personnes par an (…) c’est la population d’un pays comme la Bulgarie qui, tous les 365 jours, disparaît de la planète (…) 98 % des fumeurs ont commencé avant 26 ans, dont 90% avant 18 ans (…) Il n’est plus question aujourd’hui e se demander si l’exposition répétée à des images positives du tabagisme augmente les risques d’initiation chez les adolescents.

En France, un quart des lycéens de 16 ans boivent régulièrement et se saoulent une fois par mois, au moins.

Dans les séries télévisées de prime time, près d’un tiers des actrices ont un indice de masse corporelle qualificatif de l’état de maigreur ; 3% sont obèses. Dans la vraie vie, ces chiffres sont rigoureusement inverses, avec un tiers d’obésité et 2% de maigreur.

Bref, il faut être sacrément cynique et culotté pour oser plaider encore l’innocuité des contenus violents ; l’influence de ces derniers a non seulement été décrite dans des centaines d’études, mais, depuis quelques années, elle a aussi été observée au cœur même du fonctionnement et de l’architecture cérébrale !

(…) notre cerveau n’est pas adapté à la furie numérique qui le frappe. Pour se construire, il a besoin de tempérance sensorielle et de présence humaine or, l’ubiquité digitale lui offre un monde inverse, fait d’un bombardement perceptif constant et d’une terrible paupérisation des relations interpersonnelles (…) « Il faut vivre avec son temps », nous dit-on. C’est incontestable… Mais il faudrait prévenir notre cerveau que les temps ont changé ; parce que lui n’a pas bougé d’un iota depuis des siècles.

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