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lundi 19 août 2019

« Mr Vertigo » de Paul Auster (1994)


On pourrait penser qu’un tel retournement aurait suscité notre gratitude éternelle, mais en réalité nous en vînmes bientôt à le considérer comme tout naturel. Après dix jours, nous trouvions tout à fait normal d’être bien nourris, et à la fin du mois nous nous souvenions à peine du temps où nous ne l’étions pas. C’est comme ça, quand on est dans le besoin. Tant qu’une chose manque, on ne cesse de la désirer. Si je pouvais seulement avoir cette chose-là, se dit-on, tous mes problèmes seraient résolus. Mais lorsqu’on l’obtient, lorsque l’objet de nos désirs nous est mis entre nos mains, il commence à perdre son charme. D’autres besoins se manifestent, d’autres désirs se font sentir, et on s’aperçoit peu à peu qu’on est revenu au point de départ. Ainsi en fut-il de mes leçons de lecture ; ainsi en fut-il de l’abondance inouïe stockée dans les armoires de la cuisine. J’avais imaginé que ces choses-là changeraient tout, mais à la fin ce n’était que des ombres, des objets de substitution pour la seule chose dont j’avais vraiment envie – celle précisément que je ne pouvais avoir. J’avais besoin que le maître m’aime de nouveau.

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