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mercredi 20 septembre 2017

« Mort à crédit » de Louis-Ferdinand Céline (1936)

C’est nous, m’entends-tu ? qu’il estourbira ! Un jour ! Il nous fera notre affaire, ma belle !... Tu l’auras sa reconnaissance !... Ah ! je te l’aurai assez prédit !… T’aurai-je donc assez prévenue, Nom de Dieu !… J’ai la conscience nette !... Ah ! Nom de Dieu de Nom de Dieu ! Sur tous les tons ! Sur tous les toits ! Depuis toujours ! Tant pis ! Alea jacta !...
Ma mère, il lui foutait une telle trouille qu’elle en devenait toute gâteuse ! Elle bavotait, chevrotait, elle avait des bulles… Il l’achevait, il la sonnait totalement. 

Dans les convulsions du chagrin, elle se mâchonnait le bord des lèvres, elle saignait abondamment. J’étais damné, ça faisait plus de doute ! Il recommençait lui, Ponce Pilate, il éclaboussait tout l’étage, il se lavait les mains de mon ordure, à plein jet, à toute pression. Il faisait des phrases entières latines. 

Le vieux, en observant ces splendeurs, il s’en foutait les doigts dans le nez, les trois à la fois à réfléchir, en confusion… A table, il restait toujours comme halluciné. Il devait plus voir son avenir… Il laissait refroidir le « gravy »… Il broutait son râtelier avec une telle force qu’un moment il l’a fait jaillir… Il l’a posé sur la table, juste à côté de son assiette… Il se rendait plus compte du tout... Il continuait à ruminer des bouts de prières, des idées… Un moment il a fait Amen ! Amen ! Puis il se relève tout subitement… Il se précipite vers la porte. Il remonte là-haut quatre à quatre…Les mômes alors, ils se fendaient… 
L’appareil restait sur la table. Nora, elle osait plus regarder personne… Jonkind il s’avançait déjà, il se baissait, il bavait tout plein, il aspirait le dentier du dabe…Jamais ils avaient tant ri. Il a  fallu qu’il le recrache. 

Sûrement merde ! que j’apprendrais rien !... Je retournerais plus charogne qu’avant ! Je les ferais chien encore davantage !... Des mois déjà, que je la bouclais !... Ah ! C’est ça ! Parler à personne ! Ni ceux d’ici ni ceux de là-bas !… Faut se concentrer quand on est mince… T’ouvres toute ta gueule, on rentre dedans. Voilà le travail à mon avis !...
[…]
Langage ! Langage ! Parler ? Parler ? Parler quoi ? 

Elle tournait doucement les feuillets… Elle commençait à raconter. Elle voulait nous lire mot à mot… Ils étaient terribles ses doigts… c’était comme des rais de lumière, sur chaque feuillet à passer… Je les aurais léchés… je les aurais pompés… J’étais retenu par le charme. 

En classe, il refaisait la même chose… Il montait sur son estrade… Il mettait sa cape, la plissée, la magistrale robe… Il restait derrière son pupitre et tout embusqué dans sa chaise, il fixait la classe devant lui… Il se remettait à cligner, il tortillait tous ses doigts en attendant l’heure…. Il parlait plus aux élèves… les mômes pouvaient faire ce qu’ils voulaient… 

Mais depuis que le Jack était parti, c’était plus si drôle au dortoir… le petit saligaud, il suçait fort et parfaitement. 

D’autres difficultés survenaient…Elles se nouent les unes dans les autres, c’est une vraie chipolata. Y en avait bien de trop pour leurs forces… Ils se recroquevillaient dans le malheur, ils se décomposaient, ils se mutilaient du désespoir, ils se morfondaient férocement pour opposer moins de surface…Ils essayaient de se faufiler par-dessous les catastrophes… Rien à faire ! Ils se faisaient cueillir quand même, passer à tabac, tous les coups. 

Puisqu’on était encore tout seuls… que j’attendais dans la boutique… elle a profité de l’occasion, elle m’a encore bien répété, bien doucement, bien affectueusement, mais alors bien convaincue, que c’était vraiment de ma faute si les choses allaient aussi mal, en surcroît de tous leurs ennuis, du magasin et du bureau…

Je m’intéressais qu’à mes déboires et je les trouvais là, tous horribles, j’en puais pire qu’un vieux brie gâteux… Je pourrissais dans la saison, croulant de sueur et de honte, rampant les étages, suintant après les sonnettes, je dégoulinais totalement, sans vergogne et sans morale. 

Ah ! Ah ! Je te l’avais pourtant prédit !... Il te chiera dans la main ! Ah ! Ah ! Il nous a tout bu ! Il nous a tout englouti !... Il pue l’alcool. 

Pouac ! Il retombe sur le tas… Je vois lui écraser la trappe ! ... Je veux plus qu’il cause !... Je vais lui crever toute la gueule… Je le ramponne par terre… Il rugit… Il beugle… Ça va ! Je lui trifouille le gras du cou… Je suis à genoux dessus… Je suis empêtré dans les bandes, j’ai les deux mains prises. Je tire. Je serre. Il râle encore… Il gigote… Je pèse… Il est dégueulasse… Il couaque… je pilonne dessus… Je l’égorge… Je suis accroupi… Je m’enfonce plein dans la bidoche… C’est moi… C’est la bave… Je tire… J’arrache un grand bout de bacchante… Il me mord l’ordure !... Je lui trifouille dans les trous… J’ai tout gluant… mes mains dérapent… Il se convulse… Il me glisse des doigts. 

Je suis dessus l’Hortense !... Je vais l’étrangler ! Je vais voir comment qu’elle gigote elle ! Elle se dépêtre… je lui barbouille la gueule.. Je lui ferme la bouche avec mes paumes… Le pus des furoncles, le sang plein, ça s’écrase, ça lui dégouline… Elle râle plus fort que papa… 

Ils m’abandonnaient dans les larmes le soin d’écraser bien cette fiente, tout ce Courtial abhorré… ce bourbier de vices… de le couvrir en foutrissures imprévisibles, bien plus glaireux que le bas des chiots ! Un amas d’inouïe purulence ! D’en faire une tarte, la plus fétide qui puisse jamais s’imaginer, de le redécouper en boulettes… de le raplatir en lamelles, d’en plâtrer tout le fond des latrines, entre la tinette et la fosse… De le coincer là, une fois pour toutes… qu’on chierait dessus à l’infini !... 

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