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mercredi 11 septembre 2013

« L’art de la sieste » de Thierry Paquot (1998)

… l’espagnol siesta, issu du latin classique sexta (hora) « la sixième heure », c’est-à-dire « le milieu de journée », « midi », les Romains divisant la journée, du lever au coucher du soleil, en douze « heures » égales entre elles, mais inégales selon les saisons.

(…) le repas du matin se prend, en Occident, jusqu’au début du XVIIè siècle, vers dix heures, c’est dire si midi lui succède !

Les matines sonnent à minuit, suivies par les laudes, à trois heures du matin.

La Règle de saint Benoît, au VIè siècle, prescrit aux moines la sieste après le déjeuner, particulièrement de Pâques à octobre.

C’est vraisemblablement vers 1345 que la division en soixante minutes des heures et en soixante secondes des minutes se répand parmi les classes dirigeantes urbaines, transformant le temps de chacun – accordés à son rythme cardiaque, à son souffle, à ses activités, etc…- en un temps homogène et abstrait, la référence d’un temps pour tous.

« Quand on pense au temps, non comme une succession d’expériences, mais comme une collection d’heures, minutes, secondes, on prend l’habitude de l’augmenter ou de l’épargner. » (Lewis Mumford)

Fini l’imprévu, le non-programmé, la surprise.

L’originalité de l’ouvrage que chacun souhaite réaliser dépend grandement de cette capacité à demeurer maître de son temps (…) Et ce temps possède une « valeur » mais aucune prix, comme l’art…

« stress », ce mot anglais vient de l’ancien français « destrece », qui signifie « détresse »…

… pour Bachelard, « le repos est une vibration heureuse », précisément celle que je ressens lors de la sieste. Le repos mérité, cet arrêt qui prépare au re-départ, cette halte qui se veut une présence à soi-même, c’est-à-dire une absence d’avec autrui afin de lui être plus disponible après.

(…) la capacité à maîtriser son emploi du temps, à ne pas le brader en le soumettant aux temps imposés par « la » société (…) Ce « privilège » vaut toute augmentation de salaire, tant il apporte les conditions d’un bien-être physique et psychique.

En Chine, selon Bruno Comby, « la sieste est appelée xiu-xi et le droit à la sieste est mentionné explicitement à l’article 49 de la Constitution de 1949 ».

Le fait même que personne n’a la même rythmique est une richesse culturelle à fortifier, à faire fructifier (…) La société qui impose à tous e respirer en chœur, de travailler aux mêmes horaires, de vivre dans la simultanéité, est une société totalitaire condamnée à dépérir.

Pourtant, la plupart des propositions utopiques réduisent le temps de travail socialement obligatoire, afin de permettre aux utopiens de s’instruire (l’éducation est pour la plupart d’entre eux la valeur suprême) et se de cultiver, et aussi de dormir « correctement » et de se reposer (…) Thomas More évalue le temps de travail socialement utile à six heures par jour pour les habitants de l’île d’Utopie (1516).

A la fin du siècle dernier, le gendre de Marx, Paul Lafargue se propose de réfuter le « Droit au Travail » (…) par « le Droit à la paresse ».

« Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d'émeraude.
Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.

Vers la gaze de feu que trament les rayons,
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves ;

Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d'or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves. »


(La sieste, José-Maria de Heredia)

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