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lundi 8 août 2011

"La grande falsification - L'art contemporain" de Jean-Louis Harouel (2009)

Cette toile ("Nu descendant un escalier" de Marcel Duchamp) reçut un mauvais accueil des principaux cubistes. Estimant qu'elle tournait en dérision le cubisme, ils refusèrent qu'elle fût exposée au salon des Indépendants de 1912. Bien qu'il n'en ait rien laissé paraître, Duchamp en fut blessé. Mais il eu bientôt sa revanche aux Etats-Unis.

Or Duchamp est lassé de la peinture, pour laquelle il n'a plus que mépris. "La peinture, "cette ivresse à la térébenthine", une blague !" (…) "Peintre, dessiner, n'a pas d'intérêt pour moi," déclarera-t-il plus tard. Duchamp n'a rien peint depuis 1912, et il ne peindra plus qu'une ultime toile au titre révélateur - Tu m'-, en 1918, à la demande de sa richissime adoratrice Katherine Dreier.

Duchamp (…) fonde avec deux complices une éphémère revue, en mai 1917, un dossier consacré au "Richard Mutt". Il s'agit de textes dénonçant la non-exposition de l'urinoir, accompagnés de sa photographie.

C'est que, pour Duchamp, l'art est mort ou mourant. Estimant appartenir "à un monde "d'après l'art""


De manière pratiquement simultanée, l'urinoir de Duchamp et le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch prononcent la mort de l'art. Le rien de Malevitch répond au n'importe quoi de Duchamp (…) Dans les deux cas, il y a affirmation de la souveraineté sans limite de l'artiste, laquelle lui permet d'opérer un rejet intégral de la tradition artistique, de tourner le dos à l'art.


En conséquence, Picabia a décidé qu'il lui fallait peindre ce que l'on ne pouvait pas photographier, c'est-à-dire des idées.


Dès l'aube du XXè siècle, la nature profonde de la modernité artistique s'est entièrement révélée. C'est une opération de sauvetage du prestige du peintre, perçu comme certains comme anéanti par la photographie.


Dès lors que l'œuvre ne peut désormais rien dire par elle-même, l'artiste qui désire retenir l'attention du public se doit d'indiquer comment il veut que l'on perçoive son œuvre. Il se fait connaître par l'écriture afin que ses tableaux puissent avoir un public.


En fait, le courant de spiritualisation de l'art a fait très bon ménage avec la tradition figurative, jusqu'au déclenchement de la crise de l'art par la photographie, et même après.


Dans "Humain trop humain" (1878-1880), Nietzsche a raillé "la superstition, religieuse en tout ou en partie" qui voit dans les artistes "de grands esprits supérieurs (…) d'origine surhumaine", doués de "certaines facultés merveilleuses" leur permettant d'acquérir "leurs connaissances par de tout autres voies que le reste des hommes", avec pour conséquence, "un regard plongeant directement dans l'essence du monde, comme par le trou du manteau de l'apparence", ce qui leur permettrait, "sans passer par la fatigue et la rigueur de la science", de nous révéler "des vérités capitales et définitives sur l'homme et le monde".


La sacralisation délirante de l'artiste par la philosophie allemande est un aspect de la religion de l'art instaurée dès la fin du XVIIIè siècle par le romantisme d'Iéna.


Nietzsche (…) remet les pendules à l'heure en rappelant que le grand artiste est un artisan consciencieux dont le succès repose sur le talent et le travail. mais Nietzsche n'avait pas toujours pensé ainsi, et il ne restera pas sur cette position réaliste, en rupture avec la religion romantique de l'art.
Les romantiques d'Iéna, et tout particulièrement Novalis, proclament que l'artiste est l'élu de Dieu, qu'il voit l'invisible. Voyant, prophète, ou même messie, l'artiste accède à la vérité cachée du monde et a pour mission de guider les peuples. Novalis (…) tout comme Hölderlin et Schelling, affirme que, grâce à son art, l'artiste romantique possède le pouvoir d'instaurer sur la terre le paradis d'un nouvel âge d'or, qui sera le troisième et dernier âge de l'humanité…


Pour Schoppenhauer, "l'artiste de génie" est un voyant qui, par une contemplation extatique - "la contemplation des choses, indépendante du principe de raison" -, accède "à l'essence du monde, au substratum véritable des phénomènes". Une œuvre d'art "n'est qu'un moyen destiné à faciliter la connaissance de l'idée" que l'artiste a su reconnaître derrière les "choses particulières". L'artiste "reproduit les idées éternelles qu'il a conçues par le moyen de la contemplation pure…" (…) Ne reproduisant pas l'apparence des choses, mais "lidée pure" qui est derrière elles, l'artiste "prête ses yeux" aux hommes ordinaires, qui peuvent ainsi bénéficier de son don de voyant du monde vrai, celui des idées, de son aptitude à "dégager l'essence des choses".


Pour Nietzsche, puisqu'il n'y a pas d'arrière-monde ni de vérité transcendante cachée, l'art n'est que mensonge si on prétend qu'il les révèle. Un mensonge utile, toutefois, qui cache la laideur de la vérité et "rend supportable le spectacle de la vie" en embellissant la réalité. Aussi bien, à partir de 1882, Nietzsche revient il à la sacralisation de l'artiste et à sa mission de changer le monde, en liaison avec sa théorie de la volonté de puissance (…) La vérité, pour chacun, c'est ce qui lui apporte "l'augmentation du sentiment de puissance". Or l'art est l'expression d'un surcroît d'énergie vitale issue de l'instinct sexuel. Un Raphaël n'a pu exister "sans un certain surchauffement du système sexuel". Ce vitalisme rejoint le culte de l'ivresse dionysiaque du jeune Nietzsche. La vie est en soi "le phénomène artistique fondamental". Dans l'ivresse dionysiaque, l"homme n'est plus artiste, il est devenu œuvre d'art" (…) Manifestement inspirée de Platon, c'est la bonne nouvelle de l'avènement grâce à l'eugénisme d'une race de maîtres - les futurs "maîtres de la terre" seront des "artistes philosophes" ou "artistes-tyrans". Ils établiront une domination politique millénaire, qui leur permettra de régénérer l'espèce humaine.


Protestation contre ce que Schiller a appelé le désenchantement du monde - Entzauberung der Welt - provoqué par la pensée des Lumières, et tout particulièrement par le criticisme de Kant, la philosophie allemande du XIXè siècle est un grand rêve régressif. Nostalgique d'une unité perdue - union fusionnelle entre l'homme et la nature, chaude solidarité de sociétés organiques et communautaires -, le romantisme allemand idéalise le passé pour mieux rejeter la sécularisation du monde et de la pensée. Il érige l'art en religion de substitution afin de resacraliser le monde (…)  La sacralisation de l'artiste s'accompagne pour lui de la mission de réenchanter le monde, de lui rendre une dimension magique. Objectif dans lequel la philosophie allemande rejoignait l'occultisme, avec lequel elle avait d'ailleurs bien des accointances (…) C'est en définitive dans la littérature ésotérique que bien des peintres d'avant-garde de la fin du XIXè et du début du XXè ont le plus largement puisé les arguments par lesquels ils essayaient de légitimer leurs pratiques picturales régressives (…) Rudolf Steiner, éditeur des œuvres scientifiques de Goethe et qui fondera en 1913 son propre mouvement, l'anthroposophie (…) Le gnosticisme de Steiner se distingue de celui de Blavatski par son caractère christique.


On mesure à la lumière du jour le caractère délirant de la philosophie allemande quand elle investit l'artiste de la mission et du pouvoir de changer le monde et d'établir le paradis sur la terre en façonnant l'homme nouveau, soit par une esthétisation de la vie, soit par la transformation de la politique en une activité artistique.


Si on admet, avec le néoplatonisme, la philosophie allemande et l'occultisme, l'affirmation qu'il y a derrière le monde matériel une réalité spirituelle profonde et cachée, à laquelle n'ont accès que les initiés, il devient légitime pour un peintre de décider que sa mission est d'atteindre par la pensée ce réel invisible. Et si on admet que l'artiste de génie est bien, comme l'affirme l'a philosophie allemande, en communication directe avec le divin ou avec l'âme du monde, nul n'est en droit de juger  de son art.


La philosophie allemande a dévalué le travail artistique authentique -qui consiste dans la réalisation de l'œuvre d'art- au bénéfice de la contemplation extatique et de la pensée.


Pour Plotin, la vision intérieure de l'artiste vaut bien plus que l'œuvre réalisée. Et Schopenhauer le suit, qui dévalorise le savoir-faire de l'artiste, "la partie acquise et technique de l'art", exaltant en contrepartie l'aptitude à "dégager l'essence des choses", qui est "le don inné propre au génie" (…) Quel que soit le sujet d'une œuvre d'art, son unique intérêt réside dans "l'incomparable profondeur de réflexion de l'artiste". D'où la remarque d'Alain Besançon : "l'unique sujet, c'est l'artiste".


Les peintres ayant rejeté les règles de la peinture trouvaient une légitimation et d'immenses satisfactions de narcissisme dans la religion séculière de l'art créé par la philosophie allemande.


Mort en 1892 à 27 ans, Albert Aurier fut en 1889 l'un des fondateurs du Mercure de France dont il devint le critique d'art (…) Dans sa perspective spiritualiste, Aurier condamne l'impressionnisme, qui, tout spiritualisé qu'il soit, reste malgré tout du "réalisme", recherchant encore "l'imitation de la matière". En conséquence, il loue Gauguin d'avoir rompu avec les impressionnistes (…) L'art de Gauguin  est pour lui "du Platon plastiquement interprété par un sauvage de génie." Selon Aurier, la peinture a pour mission d'exprimer les idées, lesquelles constituent la véritable réalité, cachée derrière les apparences du monde sensible.


Animé d'une grande ambition spirituelle liée à son vif intérêt pour l'ésotérisme, Gauguin est un lecteur attentif des Grands initiés de Schuré et des livres de Sar Péladan. Il se plaît à citer Swedenborg, pour qui l'art doit remplir un rôle mystique : celui d'exprimer par sa symbolique les vérités spirituelles de la théosophie (…) Gauguin est obsédé par la quête de ce qu'il pense être la véritable réalité, laquelle ne coïncide pas selon lui avec le réel visible. Cette vérité profonde, il la recherche en lui-même, "au centre mystérieux de la pensée", en un rêve de "sauvage" qu'il approfondit au contact de mondes encore archaïques -Bretagne rurale, Océanie- restés selon lui plus proches des forces mystérieuses de l'univers. Là, il peut ressourcer son "âme primitive", en savourant sa "barbarie", dans laquelle il trouve "un rajeunissement". Vomissant l'art européen qui "procède de la sensualité et sert la nature", Gauguin exalte "l'art primitif" car il "procède de l'esprit et emploie la nature".


Picasso (…) a indiqué que son utilisation de formes empruntées aux masques africains ne résultait pas d'une dilection esthétique mais d'une démarche magique. Picasso a raconté à Malraux que, seul au milieu du musée d'ethnographie du Trocadéro - (…) il a brusquement pris conscience que les masques africains étaient "des choses magiques"


Kandinsky, Mondrian et Malevitch étaient tous trois habités d'une religiosité fumeuse à caractère ésotérique, orientée vers le messianisme et le millénarisme, lointain écho, via l'illuminisme allemand et la théosophie, de l'annonce par Joachim de Flore d'un troisième et dernier âge…


De même, Mondrian proclame que la peinture abstraite, qu’il théorise sous le nom de néoplasticisme, va faire avancer l'humanité vers son stade supérieur et ultime…

Le suprématisme (…) Malevitch "entendait sauver le monde", aussi bien par sa peinture que par ses écrits. S'inscrivant dans un "millénarisme cosmique", la révolution picturale de l'art "sans objet" suprématiste devait se prolonger "en révolution économique et sociale".

Manifestement, Kandinsky considère que c'est lui-même qui se trouve présentement au sommet du "Triangle spirituel", hissant l'humanité vers le haut au moyen de sa pensée et de sa peinture (…) Selon lui, "tous les moyens sont sacrés s'ils sont intérieurement nécessaires". Kandinsky proclame "la liberté totalement illimitée de l'artiste dans le choix de ses moyens". Cette déclaration de la souveraineté absolue de l'artiste est rendu possible par sa sacralisation démente et la dénaturation profonde de sa mission, opérées par la philosophie allemande aidée de sa comparse, la littérature théosophique (…) Kandinsky, croit à la transmigration des âmes et au karma. S'imaginant être la réincarnation d'un sage chinois, il pratique la méditation en suivant les instructions fournies par Rudolph Steiner "dans ses articles sur les sentiers de la connaissance" parus dans Lucifer-Gnosis.

En particulier la théorie de la quatrième dimension est immanquablement invoquée pour légitimer le refus d'une représentation reconnaissable du visible.

Picasso déclare qu'il ne faut pas peindre les choses tel qu'on les voit, mais telles qu'on les pense (…) Ayant fréquenté Picasso dans ls années 1908-1914, Jules Romains a laissé de lui, sous le nom d'Ortegal, un portrait psychologique d'une grande perspicacité. Encensé par "les littérateurs et les critiques de l'espèce noble (Apollinaire etc…) qui se mêlent d'expliquer ses mystères", Picasso/Ortegal sait d'instinct qu'il ne faut "jamais rigoler quand il est question de quatrième dimension et d'espace absolu (…) Ces messieurs ne quittaient pas la zone de la sublimité générale. Espace, dimensions de l'espace, quatrième dimension, forme pure, forme absolue, objectivité, création, analyse, synthèse, perspective totale, plans absolus (l'absolu se porte beaucoup dans ce milieu), interférences, incurvations, déformations, compénétration, intégration et sphéricité." Cela donnait le sentiment d'avoir "affaire à de pauvres diables, dotés d'une instruction de base légèrement inférieure à celle du certificat d'études primaires, et qui se grisaient de mots auxquels ils n'entendaient exactement rien".

Avec les ready-made, l'"acte" du choix de l'objet "remplace l'œuvre". La main de l'artiste ne lui est plus d'aucune utilité pour l'art. Celui-ci est censé se placer au seul niveau mental.

Et quelqu'un comme François Pinault est impregné de ces poncifs, considérant les artistes d'avant-garde comme des êtres supérieurs ayant "une perception bien à eux de la marche du monde".

Toute une phraséologie aussi prétentieuse qu'obscure, émanant d'eux-mêmes ou de ceux qui les encensent, est destinée à asseoir l'idée que ces prétendus artistes sont d'immenses esprits aptes à nous révéler des vérités transcendantes cachées au commun des mortels.


Balayant ces billevesée, Nietzsche rappelé que, comme les autres activités humaines, l’art nécessite un long et solide apprentissage, beaucoup de travail et un « sérieux d’artisan ». Toutefois, ajoute Nietzsche, l’artiste étant un être psychiquement puéril –« resté enfant ou adolescent toute sa vie »-, il n’a que trop tendance à se prendre pour un être supérieur apte à révéler des vérités mystérieuses  et décisives.

… dès lors que ce n’est plus l’œuvre qui décide, mais seulement la présomption irréfragable de génie dont bénéficie l’artiste d’avant-garde, le principe de réalité s’efface et laisse la place au seul principe de plaisir. Tout se passe maintenant entre l’artiste et lui-même. L’art c’est l’artiste. L’univers narcissique de l’irréalité est un univers magique, où il suffit  de dire ou de se dire qu’on est prodigieux pour éprouver effectivement l’impression d’être prodigieux.

L’art laisse la place à l’enflure du petit moi du soi-disant artiste, tout empli de la croyance en son prétendu génie. Tout ce qui vient de lui sera réputé précieux, même le verre d’urine de Ben Vauthier exposé à une biennale de Paris ou les déjections de Manzoni (…) En 1961, avec ses boîtes de conserve scatologiques, Manzoni exprime la vérité ultime de la modernité artistique, que Jules romains avait analysée depuis longtemps en observant Picasso.(…) Dans l’univers magique et régressif du narcissisme, il n’est pas nécessaire de réaliser des œuvres d’art pour avoir la qualité d’artiste. Manzoni l’a dit très clairement : « Il n’y a qu’à être, il n’y a qu’à vivre. »

Le remplacement de l’œuvre d’art par n’importe quoi fut la grande affaire des dadaïstes…

Les soi-disant artistes ne sont plus au service de l’art comme l’étaient les vrais artistes, mais prétendent être eux-mêmes l’art.

Grand joueur d’échec, Duchamp est un cérébral. Ne se plaisant vraiment qu’à faire jouer sa matière grise, il a trouvé son n’importe quoi à l’extérieur de toute pratique artistique, en inventant le dogme de l’artiste-dieu qui décide de qui est art par un oukase arbitraire et sans appel.
A l’inverse, Picasso a un vrai tempérament d’artiste (…) C’est pour dépasser tous les autres peintres que Picasso a, plus complètement qu’eux « rompu avec l’art de peindre ». Il est allé si loin qu’il a été près de tuer la peinture, mais il s’en est bien gardé car elle était son seul savoir-faire et donc sa seule ressource. Ce n’était que par elle qu’il pouvait devenir riche et célèbre. Il a donc continué à faire des tableaux, mais en s’abstenant bien, dans l’immense majorité des cas, de réaliser des œuvres d’art.

Dans l’idéologie du prétendu art contemporain, l’art c’est par définition ce que fait l’artiste, sur quelque mode que ce soit : action ou abstention.

Car tout ce que l’artiste d’avant-garde est tenu de faire, c’est de se distinguer des autres (…) par quelque chose, un thème, un signe, un truc, une couleur, qui soit son emblème immédiatement identifiable dans le champ du n’importe quoi. Il est condamné à trouver quelque chose qui le différencie des autres, si peu que ce soit. Chacun a sa petite trouvaille, qui enchante le narcissisme de son petit moi. Klein a les monochromes et la couleur bleue. Buren a ses bandes verticales. César a ses compressions et ses expansions. Arman a ses accumulation et ses dislocations d’objets. Christo a ses empaquetages de choses, de monuments, de sites. Tinguely a ses machines absurdes.


Pour pouvoir être reconnu artiste d'avant-garde, il faut être un mégalomane charismatique, un illuminé socialement efficace (…) Il faut un aplomb insubmersible. Il faut une absence totale de regard critique sur soi. (…) un talent auto publicitaire exceptionnel. Il faut être inlassablement le représentant de commerce de soi-même (…) Les soi-disant plasticiens ou artistes sont en pratique sélectionnés sur leur capacité à s'imposer et à se vendre (…) Ils sont indubitablement des escrocs puisqu'ils se procurent l'argent des autres au moyen d'une imposture caractérisée. Mais ce sont des escrocs heureux, car ils pratiquent la seule forme d'escroquerie qui ne pas réprimée pénalement.


La modernité a prononcé l'échec de l'entreprise de réenchantement du monde lancée par les romantiques. Car c'était bien dans l'espoir de réenchanter le monde qu'ils avaient inventé la religion de l'art et la sacralisation de l'artiste (…) Bien loin de réenchanter le monde, le petit moi boursouflé, complaisant pour lui-même, souvent malsain et dans tous les cas artistiquement nul des soi-disant artistes contemporains, nous enferme dans la plus dérisoire banalité. Il renforce cruellement le désenchantement du monde.


En 1952, une cinquantaine d'artistes figuratifs, au nombre desquels Edward Hopper, qui fut certainement le plus grand peintre américain du XXè siècle, signèrent un texte de protestation -le manifeste du réalisme- accusant le musée d'art moderne de New York (MoMA) d'avoir pris le parti des peintres abstraits et des avoir imposés partout grâce à son influence incontestée.


C'est son rejet par l'Allemagne hitlérienne et surtout par la Russie soviétique qui fut la chance historique de la modernité. Car les USA utilisèrent contre l'URSS l'abstraction comme arme de la guerre froide. De ce moment, le n'importe quoi à prétention artistique s'est identifié à la fois aux Etats-Unis et aux très grandes fortunes. Ne requérant aucun savoir ni aucun effort de compréhension, cet ersatz d'art qu'est "l'art contemporain" se trouve parfaitement adapté à l'actuelle inculture de la plupart des puissants de l'argent et du pouvoir.


La France des années 1920-1930 n'aimait pas Picasso. Et celle du début des années 1950 pas davantage : "Peindre comme Picasso" était alors un sarcasme.


Pendant la seconde guerre mondiale, les avant-gardistes européens réfugiés aux Etats-unis furent effarés du rejet du progressisme artistique qui y régnait.


Mussolini déclare en 1914 sa sympathie "pour les novateurs et les démolisseurs : pour les futuristes."(…) Dans les années 1920, le futurisme est l'art officiel du fascisme.


En Russie, dès le commencement des années 1920, "les propositions de l'avant-garde artistique firent l'objet de révision et bientôt d'une opposition de plus en plus forte." Cela ne correspondait pas chez les bolcheviques à des motivations esthétiques, mais à leur volonté de disposer d'un art donnant une image parfaitement reconnaissable des êtres et des choses pour en faire un instrument efficace de la propagande soviétique (…) L'objectif était que "la pensée de chacun de chacun se plie aux exigences supérieures du parti." Pour cela, "la lisibilité devait être immédiate".


Beaucoup plus que leur caractère figuratif, ce que l'art nazi et l'art soviétique ont en commun, c'est d'être embrigadés au service exclusif de la propagande.


On a pu lire dans le New York Times du 14 juillet 1946 que, l'Amérique étant le pays le plus puissant du monde, il lui fallait créer un art fort et viril capable de détrôner Paris.


On connaît la formule de la collectionneuse et galeriste Peggy Guggenheim : "Si les nazis le rejettent, ça doit être bon." C'est an nom de cette argumentation simpliste que le milliardaire Nelson Rockefeller, président du conseil d'administration du MoMA, affirme en 1949 que l'art moderne est le symbole de la liberté et du système démocratique américain ainsi que le prouve son rejet par les nazis et les soviétiques (…) le MoMA n'était que le paravent de (…) la CIA. Le gouvernement avait secrètement confié à celle-ci la mission de promouvoir l'expressionisme abstrait (…) Le MoMA regorgeait de gens appartenant ou ayant appartenu aux services secrets américains ou étant en contact étroit avec eux (…) L'expressionisme abstrait fut une arme de la guerre froide et c'est là une des explications de son triomphe (…) Derrière le MoMA, tout le monde savait qu'il y avait les Rockefeller (…) Au point que leur fils Nelson Rockefeller, appelait le MoMA, "le musée de maman" (…) Rockefeller étant l'incarnation à la fois de l'extrême richesse et de l'establishment, son immense prestige a lancé avec une prodigieuse efficacité l'expressionnisme abstrait.


L'art contemporain favorise leurs affaires, c'est tout ce qui les intéresse (…) Ce qui est nouveau et grave, c'est que l'ensemble des classes supérieures soit en règle générale inculte, baignant dans la plus satisfaite ignorance de tout ce qui n'est pas un savoir technique permettant de gagner de l'argent (…) Avec la fin des rentes du capital, les très riches doivent travailler beaucoup pour le devenir et pour le rester (…) Toute leur énergie mentale est mangée, ce qui fait d'eux des incultes (…) Le prétendu art contemporain convient très bien à note époque d'inculture des classes supérieures (…) Pour poser à l'amateur de tubes de néon, de shampouineuses pour moquette ou de blocs de ferraille, point n'est besoin de connaissances, de travail, de lecture, d'analyse et de compréhension.


En imposant systématiquement la présence d'"œuvres" contemporaines parmi les vraies œuvres d'art, on cherche à intimider le public, à le contraindre à croire qu'il s'agit d'art. Le prétendu art contemporain, qui n'est pas de l'art, cherche à se donner une légitimité artistique en établissant une confrontation forcée avec les plus grands chefs d'œuvre de l'art.


Pour l'exposition Koon, l'affaire est d'autant plus choquante que le président de Versailles, Jean-Jacques Aillagon, était juste avant cela au service de François Pinault. Or, celui-ci, dont Koons déclare : "Il est un de mes plus grands supporters",  a prêté l'essentiel des pièces présentées, et il semble même qu'il ait eu l'idée de l'exposition. De sorte qu'elle a fait presque autant de publicité à Pinault qu'à Koons. En invitant ce dernier à Versailles, Aillagon s'est comporté comme l'homme de Pinault.

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