La vertu (…) est la capacité à faire le bien en toutes circonstances et dans tous les domaines.
Depuis le Moyen Âge, sept vertus ont été codifiées par la théologie scolastique et la doctrine catholique : les quatre vertus cardinales héritées d'Aristote, à savoir la justice, la prudence, la force et la tempérance, et les trois vertus théologales, à savoir la foi, l'espérance et la charité.
Chez Aristote, la vertu est le résultat de la modération (…) Dans l'Éthique à Nicomaque, il affirme : « C'est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions modérées que nous devenons modérés. » La vertu est donc essentiellement hexis, habitude…
Chateaubriand écrira à ce sujet : « Les conventionnels se piquaient d'être les plus bénins des hommes : bons pères, bons fils, bons maris, ils menaient promener les petits enfants ; ils leurs servaient de nourrice ; ils pleuraient de tendresse à leurs simples jeux ; ils prenaient doucement dans leurs bras ces petits agneaux, afin de leur montrer le dada des charrettes qui conduisaient les victimes au supplice. Ils chantaient la nature, la paix, la pitié, le bienfaisance, la candeur, les vertus domestiques ; ces béats de philanthropie faisaient couper le cou à leurs victimes avec une extrême sensibilité, pour le plus grand bonheur de l’espèce humaine. »
Saint Thomas d'Aquin (…) reprend celui qu'il nomme « Le Philosophe », à savoir Aristote, et affirme clairement que la vertu est un habitus d’action (…)
Voilà qui guidera tous les grands esprits, les fidèles laïques comme Montaigne, et les saints évêques comme François de Sales, à l'opposé de la distorsion de la virtù par Machiavel qui en fera un exercice retors, sans lien avec la morale.
La prudence sera la vertu de discernement, la béquille de la raison pour découvrir ce qui est bien et ensuite pour l’accomplir.
(…) la foi, l'espérance, la charité (…) Cet ordre, cette classification sont ceux de la génération car, en effet, nous avons besoin de croire avant d'espérer et d'espérer avant d’aimer.
(…) l’exercice de la vertu est raisonnable. Aristote écrivait déjà que « la vertu morale consiste dans un juste milieu relatif à nous, fixé par la raison ».
Saint Thomas, dans la Question 65, art. 1, sed contra, cite les autorités: (…) « S. Grégoire dit à son tour qu’une vertu sans les autres, est tout à fait nulle ou imparfaite ».
La foi (…) est le germe d'une profonde espérance, celle de voir ce qu'on ne voit pas.
Le propre des vertus est de justifier et il est donc normal que la foi, première d'entre elles, nous procure cette justification, comme ce fut déjà le cas pour Abel le juste.
Saint Claude La Colombière, le directeur spirituel de sainte Marguerite-Marie Alacoque (…) : « Mon Dieu, je suis si persuadé que Vous veillez sur ceux qui espèrent en Vous, et qu'on ne peut manquer de rien quand on attend de Vous toutes choses, que j'ai résolu de vivre à l'avenir sans aucun souci, et de me décharger sur Vous de toutes mes inquiétudes… »
Le signe qu’elle [l’espérance] est bien présente est qu'elle procure la joie, alors que son absence provoque une tristesse indéracinable.
Dieu ne promet pas le bonheur mais la béatitude (…)
L’espérance ne réside qu'en Dieu qui est le seul à pouvoir nous amener à la béatitude promise pour l’éternité.
Il faut d'abord que notre conscience s'éveille à Dieu, parce qu'elle est « capable» de Dieu, ceci par la foi qui est notre assentiment aux vérités révélées qui ne peuvent être saisies par l'exercice de notre simple raison. Ensuite, la foi a besoin d'être tenue en haleine en quelque sorte car, sinon, notre volonté flanche et nous retombons dans l'indifférence ou l'incrédulité. D’où l'espérance qui nous laisse entrevoir la béatitude qui nous comblera vraiment.
(…) pour la pensée chrétienne, la prudence est chargée de signification intellectuelle, à la fois prudentia de Cicéron, c'est-à-dire compétence, savoir-faire, clairvoyance, prévoyance, pénétration, sagacité, bref, tout ce qui constitue la sagesse, et phronesis d'Aristote, c'est-à-dire pensée (…)
Vivre de la prudence est une garantie de vertu, ce qui n'est point le cas de l'exercice de la conscience parfois fort mal éclairée. Mieux vaut un homme prudent qu'un homme « consciencieux ». La moralité est inséparable d'une connaissance droite, et cela, la conscience ne peut pas nous l’assurer (…)
Notre Seigneur n'a pas cessé de nous donner en exemple la prudence, ceci en paraboles. Celle de l'économe infidèle en saint Luc XVI. 1-9, et celle, célèbre, des vierges folles et des vierges sages en saint Matthieu XXV.1-13. Dans cette dernière, ce qui est loué n'est pas la vigilance, puisque ces dix vierges s'endorment, mais la prévoyance, c'est-à-dire l'exercice raisonnable de la prudence. Cela est vrai aussi de l'homme qui veut bâtir une tour ou du roi qui veut partir en guerre (saint Luc XIV, 28-32), de l'homme qui construit sur le roc (saint Matthieu VII. 24-27). Le Maître nous recommande même d'être prudents comme des serpents (saint Matthieu X. 16). II attend donc de nous des qualités de l'esprit, guidées par les vertus morales.
L'humilité, enracinée dans l'enseignement évangélique, est la clef pour vivre de la tempérance. Cette dernière ne s'acquiert pas en bloc, elle progresse chaque jour si elle est ainsi éclairée par l'humilité.
En fait, la force est plus ce qui permet d'endurer que d’attaquer. Tel est l'adage de Jean de La Fontaine, morale de la fable « Le Lion et le Rat »: « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage. » (…)
Ne pas avoir peur ne signifie pas aller au-devant de risques qui auraient pu être évités avec sagesse. Il faut toujours peser les conséquences d'un acte, même si la crainte n'est pas présente. Qu'est-ce qui portera le plus de fruit ? Quelle est la voie de la sagesse? Quelles seront les suites de ma propre témérité ? (…) Constatons à quel point, dans l'exercice de toute vertu, la règle d'or doit être la sagesse, l'harmonie, la fuite de l'excès et l'amour de la modération et de l’équilibre (…) Ancré dans cette force divine, à la fois vertu et don, l'homme peut entreprendre et endurer (…)
Notre époque, plus que d'autres, ne nous arme guère à demeurer fermes dan l'adversité, car elle nous empoisonne en nous répétant san cesse que les épreuves sont néfastes et qu'il faut s'en débarrasser au plus vite : tuer la douleur, contourner les difficulté abandonner rapidement ce qui réclame un effort.
"Qu'as-tu que tu ne l'aies reçu de Dieu ? et si tu l'as reçu de lui, pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu l'avais de toi-même ?" » (les Fioretti saint François d’Assise). Mais dans la croix de la tribulation et de l'affliction, nous pouvons nous glorifier parce que cela est à nous…
Comme le dit Léon Bloy dans Dans les ténèbres : « Nous sommes des dormants pleins des images de l'Eden perdu, des mendiants aveugles au seuil d'un palais sublime dont la porte est close. »
(…) les vices opposés à la joie étaient l’acédie et la jalousie (…)
La fête perpétuelle dans notre pays comblé et ingrat s'est parée d'une tristesse invincible, celle qui pousse tant et tant, souvent les plus protégés et les mieux lotis, à grogner, à se plaindre, à militer, à exiger, à revendiquer (…) La vraie joie réside dans la simplicité, dans les petites choses reçues et partagées, dans le don, dans l'abnégation et le sacrifice au quotidien. Parmi les pauvres, ce qui est reçu, aussi modeste soit-il, est toujours aussitôt partagé. C'est cela qui crée la joie, et non point le fait de s'approprier un bien ou de consommer égoïstement un cadeau (…)
Nous nous plaignons d'être tristes mais nous haïssons la vraie joie, l'ayant remplacée par les simagrées qui proviennent du Malin et de ses légions (…) Lorsque nous refusons la joie, nous faisons l'œuvre du démon et nous suivons aveuglément l'immense troupeau bêlant, alors que chacun est toujours et sans cesse l'unique brebis perdue que le Pasteur serre contre son cœur comme son bien le plus précieux. Voilà la source inépuisable de notre Joie.
Le « spleen» n'est pas nouveau puisqu'il est un héritage romantique né du bouleversement horrible de la Révolution. Comment ne pas désespérer alors que ce qui était jusqu'alors aimé et familier est devenu haïssable et réduit à néant ? (…) Il suffit de regarder autour de soi dans les rues et les transports : une chape de plomb semble s'être abattue sur les têtes baisées sur les tablettes et les téléphones portables, obéissant à l'appel du ludique pour oublier le désespoir. Au milieu de ces ténèbres, régulièrement, l'état providence invite à des explosions bruyantes de défoulement, à s'éclater : manifestations sportives ou culinaires, nuits à thèmes, loisirs démultipliés et obligatoires... Ce sont de pauvres oripeaux pour cacher la misère qui demeure (…) Un chrétien, fils du doux royaume de France, ne se complaît pas dans le regret de ce qui a disparu. Il ne se repaît pas de cendres, pour reprendre l'expression du prophète Isaïe (XLIV. 20). Il est capable d'éprouver la joie même si tout le reste du monde se dresse contre lui ou s'écroule sous ses pieds (…) Nos découragements, nos infidélités ne peuvent pas ébranler l'édifice qui nous est confié, l’Église. Voilà une raison suffisante pour éclater de joie avec les montagnes et les forêts dont parlent les Prophètes.
Le Christ n'a jamais promis la magie du bonheur mais la rugosité de la béatitude. Il ne s'écrie pas, en parcourant les routes de Judée et de Galilée, à la rencontre de la misère humaine : « C'est magique ! » ou « Que du bonheur! » Il prêche des béatitudes qui renversent l'idée que l'homme se fait généralement de la félicité. Il guide sur un chemin qui ne traverse pas une vallée de plaisirs.
Le dimanche est le jour d'Eutrapélie. Elle ne le transforme pas en un temps où on « s'éclate», où on « se fait plaisir», où on « fait la fête », mais elle insuffle ainsi, sur tous les autres moments de la semaine une paix qui permet de reconnaître que tout vient de Dieu et retourne à Lui (…) Tout remettre sous le regard de Dieu permettrait d'éviter bien des cures psychanalytiques et bien des traitements médicaux car la juste mesure d'une vie vertueuse, dans tous les domaines, donne toujours un avant-goût de paradis.
(…) Charles Maurras, Le Chemin de Paradis, contes philosophiques. Dans l'avant-propos, nous trouvons ces lignes : « Il n'y a rien de plus facile que les révolutions ; l'histoire en est pleine, comme de bûchers et de tombes. Le beau, le difficile, c'est d'éviter la secousse, de parer à la subversion, de donner l'avantage à ces précautions que la nature même a prises pour tenir contre l'ennemi de la vie. Naviguer et conduire au port, durer et faire durer, voilà les miracles. Ceux qui déclament le contraire servent le seul intérêt des forces de mort [...] Pensée, art, civilisation, tout commence par un acte de foi à l'immuable essence des choses. » (…)
Voilà pourquoi maintenir est créer. Il est juste et bon d'être conservateur, de chérir ce que nous avons reçu et de faire fructifier à partir de ce trésor et non point contre lui ou en le dilapidant.
Les fins dernières, qui ont permis à des générations sur des siècles, à affronter la mort, à se préparer, à réfléchir sur le sens des choses et de la vie, sont désormais au placard pour la plupart. Les funérailles elles-mêmes ne sont plus que des occasions d'hommages d'où les moindres aspérités sont rabotées. Tout est dégoulinant, au nom d'un amour qui est l'antithèse de celui prêché par le Christ, de celui qui découle de son Coeur transpercé. Le règne du Sacré Cœur n'est point de guimauve, de consensus, de médiocrité, un règne qui ne produirait que des muets, immense troupeau ruminant, et quelques rebelles, vite muselés. Ce règne est celui qui permet aux esprits et aux âmes de ne point vivre dans l'angoisse permanente, dans la passivité, dans l'hédonisme mortellement ennuyeux. Nous n'avons rien appris de la décadence de l'empire romain, pourtant bien lente mais nourrie de pain et de jeux (…)
Tonitruer ne fut point le style de Notre Seigneur dans sa prédication. Notre monde hurle car il a hérité du hurlement de haine et de terreur des démons. Il hurle car il ne sait plus parler, car il ne sait plus contempler, car il ne sait plus prier.
La sagesse réside dans l'acceptation calme de ce qui est. Voilà pourquoi le saint patron de la patience est sans doute Job (…)
Tout ce qui mène à la colère et à la frustration a pour origine notre manque d'attention à cultiver la patience au jour le jour.
Saint Thomas d'Aquin, dans la Somme théologique (…) : « Aussi est-il évident que la patience, en tant qu'elle est une vertu, a pour cause la charité, selon S. Paul: "La charité est patiente" (1 Co 13, 4). Et il est évident qu'on ne peut avoir la charité que par la grâce. La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (RM, 5,5). Il est donc clair qu’on ne peut avoir la patience sans le secours de la grâce. » (…)
Acceptons la lenteur des jours, nos limites, le poids de l'adversité, la souffrance du corps et de l'esprit, la faiblesse de l'âme pour tout remettre avec confiance dans le cœur de Dieu, là où palpite la patience.
Les introspections qui se contentent de décortiquer le ressenti n'aident guère à progresser et à améliorer la situation (…)
Au contraire, être capable de mettre en lumière nos qualités et nos défauts permet d'ordonner notre vie et donc de cultiver cette paix de l'âme si précieuse pour traverser les « ravins de la mort » et les préfigurations de l'éternité que sont les routes humaines (…)
La volonté, - peut-être la partie la plus vulnérable -, est aussi la reine des facultés si elle est persévérante (…) Répéter des actes est excellent si ceux-ci sont ordonnés à Dieu et non pas à nos passions (…)
En repérant l'attrait dominant, celui qui revient le plus fréquemment, qui nous laisse dans la consolation, nous recevons le signe de ce que nous devons choisir, toujours dans le bien évidemment, et non point dans la facilité, la paresse ou carrément le mal (…)
La paix intérieure ne s'obtient donc pas en s'inscrivant à un séminaire dirigé par un gourou, ou en achetant un ouvrage rédigé en Californie. Elle est le fruit de notre vie ascétique.
Certains réveils sont douloureux, alors que courait encore l'espoir que son pays, cette terre si aimée, serait capable d'ouvrir les yeux pour déceler la tromperie, de tendre l'oreille pour entendre le sifflement du mensonge. La déception s'installe, et puis l'inquiétude pour l'avenir, pas simplement le sien mais surtout celui des générations futures, de ces enfants encore insouciants et déjà l'objet de tant de manipulations entre les mains du monstre scolaire et d'abrutissement organisé par les moyens de communication. Que faire alors, sinon se réfugier dans quelques consolations légitimes et ouvrir de nouveau des livres, où tout est annoncé et écrit depuis si longtemps ? (…)
Les groupes de pression et d'influence, les sociétés secrètes, les clubs, les lobbies, les puissances financières et mondialistes prennent toujours leur temps pour détricoter ce qu'il a fallu des siècles pour construire. Ils misent sur le temps, sur le fait que leurs manœuvres, pas à pas, passent inaperçues au départ (…)
Le sursaut est indispensable, en s'écriant que personne n'aura notre âme et que nous y laisserons peut-être notre peau mais pas notre honneur, notre goût pour la vérité et pour la beauté, notre amour de la maison paternelle (…)
Nous touchons rapidement les limites de notre liberté en ce monde. La seule liberté est de poursuivre l'effort, effort d'intelligence et d'ascèse. Nous sommes libres de refuser ce qui nous est imposé par tous ceux qui s'emploient à détruire ce qui nous est le plus cher. Nous pouvons compter sur le Roi des cieux pour nous guider pas à pas, peut-être jusqu'au sacrifice suprême, mais sans fléchir, sans faillir. Une telle certitude doit effacer toute inquiétude et coute tristesse de notre cœur. Notre seule inquiétude doit être le péché, notamment le péché de découragement.
En effet, depuis le siècle des Lumières, il [L'homme occidental] est prioritairement préoccupé par l'idée de liberté, repoussant sans cesse les limites des contraintes, et, simultanément, perturbé par le fait que, plus il avance, plus il est paralysé par son expérience de l'absence de liberté. La société française dans laquelle nous vivons est caractéristique de ce processus pervers : tout est dit possible, et tout est de plus en plus verrouillé, surveillé, unifié, raboté. Tout doit être lisse (…)
L'homme occidental attend, sur les nerfs. Il n'attend plus, dans la joie et la patience, le retour en gloire, dans la parousie, du Christ Sauveur. Il attend, tel un chien domestiqué, sa ration journalière de compensations, de privilèges, de paradis artificiels. Voilà qui ébranle considérablement sa santé physique et psychique, en plus d'avoir anesthésié son âme (…)
L’homme qui se prétend maître de lui-même se casse le nez sur la réalité qui le remet à sa place et plonge dans le désespoir de la créature qui refuse son statut et se révolte contre le Créateur (…)
François René de Chateaubriand, (…) Comme il le souligne dans René, l'humanité se perdit alors dans « cet ennui profond qui n'est qu'une forme ou un prélude du désespoir, et dont la conclusion logique est le suicide » (…) Si nous croyons que le monde ne se réduit pas à la poursuite de chimères, que l'homme est plus grand que ses désirs, que la liberté ne peut s'acquérir que par le sacrifice et le don, alors nous tournerons le dos à la mélancolie insidieuse qui n'aura aucun pouvoir sur nous.
L'homme moderne souffre d'instabilité et ce qui dure est vu comme source de souffrance, de privation (…)
La catastrophe de la planète n'est pas écologique, elle est celle de l'empoisonnement planifié des âmes. Personne n'y échappe, mais seuls résistent ceux qui font front, qui font confiance en Dieu, qui se nourrissent de prière et des sacrements, qui demeurent dans la patience et l'humilité, qui ne cessent de se purifier sous le travail de la grâce, qui ne ruminent pas le passé ou un hypothétique futur, qui acceptent ce qui est donné au jour le jour avec reconnaissance, qui sortent d'eux-mêmes et de leur mal-être en se tournant vers ceux qui souffrent (…)
Saint Bernard de Clairvaux (…) : « Vous aurez soin plutôt, si vous êtes sage, de suivre le conseil du Sage, et de ne pas oublier les biens au temps des maux, ni les maux au temps des biens (Eccl.XI, 27) » (Sermon XXI).
Le Malin est d'abord un jaloux. Il ne supporte pas de pas être ce que Dieu est (…)
La racine du mot jaloux est bien le grec zélos. À chacun de se décider pour le don envers une cause juste désintéressée ou, au contraire, la porte ouverte au vice de l'envie personnelle. La jalousie n'est vertueuse, comme le montre saint Thomas d'Aquin, que si elle s'applique aux biens spirituels (…)
Il n'existe pas d'être plus égoïste, exclusivement, que le jaloux (…)
Voilà pourquoi les pères de l'Église, dont saint Cyprien dans son De zelo et livore, l'ont vue comme une production particulièrement diabolique : « L'envie est la racine de tous les maux ; elle est une source de désastres, une pépinière de péchés, une matière à fautes. De là découle la haine, de là procède l'animosité. C'est l'envie qui enflamme la cupidité… » (…)
Or, comme Jean Baudrillard ne cessa de le montrer, la valeur d'échange domine cette fabrication. Son livre, Dans le miroir de la production, souligne le fait que « Le capitalisme a fabriqué le consommateur, notamment en s'attribuant, via les industries culturelles et le contrôle de l'information, le monopole du code », comme le commente Fabrice Flipo dans Politiques de l’envie (…)
Dans De la Démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville a bien analysé que l'envie est le poison de cet âge démocratique puisque la moindre différence est considérée comme une inégalité criante et inacceptable. Auparavant, Dieu et le Roi pouvaient être imités. Désormais ils ont été tués et les hommes s'entredéchirent pour acquérir ce que les autres ont et sont. L'envie devient le centre et le moteur de leurs relations.
Ces temps sont ceux des hystéries collectives, de l'obsession du bien alors que le mal sous toutes ses formes est encensé et encouragé (…)
Même Voltaire, pourtant passé maître dans l'art de la médisance, - ne serait-ce qu'envers ses anciens professeurs jésuites -, reconnait la nocivité d'une telle activité, écrivant dans son Épître sur la calomnie : « Rebut du sage, elle est l'esprit des sots. » (…)
Pourquoi perdre autant de temps, et son intégrité, et son honneur, à médire des autres, sous le fallacieux prétexte de dénoncer le mal, de vouloir la victoire du bien ? Joë Bousquet (…) note: « Les médisants ressemblent aux malheureux qui n'ont pas eu leur part d'événements et doivent mener aux dépens de leurs voisins une existence parasitaire. » (Le Médisant par bonté) (…) Celui qui fait ainsi marcher sa langue est un impuissant de l'existence qui a besoin de phagocyter les autres afin de se persuader qu'il est quelque chose.
(…) Bernard de Chartres : « Nous sommes des nains assis sur les épaules de géants. Si nous voyons plus clair et plus loin qu'eux, ce n'est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre taille, c'est parce que nous sommes élevés par eux. »
Ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine des questions essentielles relatives au respect de la vie humaine est particulièrement représentatif de cette manière de procéder : les politiques de notre pays interdisent toute discussion au sujet de l'avortement. L'attitude conforme est de le regarder comme la manière de faire normale et normative, comme la manière de faire habituelle au surgissement du moindre problème. Tout est verrouillé et les êtres se retrouvent prisonniers d'habitudes et d'attitudes qu'ils n'auraient pas forcément choisies sans cette police de la pensée imposée.
Nous vivons à une époque où la plupart des dites nouvelles relayées par les moyens de communication ne sont en fait que des tas d'indiscrétions dont l'origine est douteuse (…) Chacun étale en public ce qui devrait demeurer sous le boisseau (…) la sinistre curiosité de tous les êtres humains pour ce qui ne dépend pas d’eux. Les Saintes Écritures nous invitent à ne point nous lier avec un homme qui ne sait pas garder un secret (…)
Savoir se taire, savoir taire ce que l'on sait est un art de vivre trop peu cultivé aujourd'hui.
Être capable de Dieu, c'est être capable de souffrance, à l'image du Christ qui fut poussé jusqu'aux limites lors de son Agonie et de sa Passion. Il n'existe pas d'autre voie pour le chrétien. Seriner frivolement et étourdiment que Dieu est Amour (ce qu'Il est évidemment), sans prendre la mesure de ce que cela signifie est sans doute plus catastrophique que de se débattre dans les filets du doute (…) La traversée de l'existence n'a rien d'une joyeuse croisière d'agrément. Chacun le sait, car, rares, très rares, sont les vies à l'abri des coups durs, des épreuves et des échecs. Et puis, subsiste toujours cette rengaine énervante et assourdissante du péché qui va et qui vient, et qui resurgit au moment et là où on ne l'attend pas. Ah, il n'y a de quoi être fier ! (…)
L’habitude doit être prise de ne pas mollir, de ne pas s'attendrir sur soi-même (mais de garder l'attendrissement pour les autres)…
L'impudeur moderne, celle qui ne cache ni la peau ni l'âme, est une arme du démon pour pousser les hommes à se poser les uns contre les autres en abandonnant tout respect vis-à-vis du périmètre qu'est la vie de chacun. Le débraillé et le provocant de la tenue vestimentaire sont révélateurs d'un état d'esprit qui va plus loin que la nudité des corps (…) les baptisés (…) y compris parfois dans leur manière de prier publiquement. Les excès d'expression sont des agressions contre le silence divin.
Il faut être noble de cœur et d'esprit pour ne pas faire passer sa personne en premier.
Dans une de ses lettres, Georges Bernanos écrivait : « À quoi bon faire courir aux bienpensants de droite ou de gauche le risque - mortel pour leur espèce — de penser une fois par eux-mêmes ?»
Ce sont les petites choses qui produisent de grands effets. Dans notre vie intérieure, il est préférable de cueillir des mûres au bord des chemins, plutôt que de semer des nouilles dans un champ (…) La force réside dans la modestie.
Simone Weil, dans un beau texte intitulé La personne et le sacré rédigé peu de temps avant sa mort en 1943, inspirée par le dialogue platonicien du Timée, écrivait : « Seule la lumière qui tombe continuellement du ciel fournit à un arbre l'énergie qui enfouit profondément dans la terre ses puissantes racines. L'arbre est en réalité enraciné dans le ciel.» Voilà ce qu'a oublié l'homme occidental contemporain. Il croit que la nature est sa mère alors qu'elle n'est que sa sœur, créée du même limon que lui par Celui qui règne dans les cieux (…)
« L'âme a des besoins, et, quand ils ne sont pas satisfaits, elle est dans un état analogue à l'état d'un corps affamé ou mutilé. » (Simone Weil, L’Enracinement) (…)
Un peuple qui ne cherche qu'à sauver sa peau perd tôt ou tard son âme. Il ne faut pas prendre le risque de trop attendre pour se découvrir une âme, pour la soigner la chérir et la diriger vers Celui qui en est l'origine et la fin.
La prudence est d'abord une fonction positive, comme l'a bien montré saint Thomas d'Aquin, puisqu'elle permet l'habileté dans l'action et un savoir-faire qui mène à agir intelligemment et posément (…) les comptes d'apothicaire de Judas face à la Madeleine généreuse (…)
Nous n'aimons plus l’imprudence : celle des vœux du mariage, celle des vœux religieux, celle de l'abandon à la divine providence, celle de l'inspiration qui pousse à aller là où la timide intelligence refuse de se risquer, celle de dire ce qui est vrai et qui déplaît, celle de défendre ce qui est juste et qui est mis en péril, celle qui sacrifie la gloire et qui brûle elle derrière ses vaisseaux. Dans un monde terne, prudent, lisse, méprisant ce qui vient de Dieu et encensant le péché des hommes, quelles sont les voix qui déchirent aujourd'hui le silence de mort et qui font taire le vacarme des enfers ? Notre Seigneur fut imprudent. Il serait bon que ses disciples le soient avec une identique intensité et fidélité.

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