Une diversité d'acteurs associatifs et de « collectifs communautaires » appartiennent, de manière plus ou moins assumée, à la mouvance intellectuelle « frériste», à l'image du très actif Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), créé en 2000 (…) ils poursuivent une stratégie d'affirmation communautaire exploitant toutes les ressources de la démocratie (procédures judiciaires, développement d'écoles privées hors contrat, du commerce halal, dénonciation des mariages mixtes au nom de la préservation de l'« identité musulmane »). La mise en relief du délit d'« islamophobie» s'avère importante dans cette démarche, car elle permet de faire progresser un agenda islamiste au moyen d'un argumentaire libéral, habilement retourné contre lui-même.
Enclaves et phalanstères ont en effet constitué les vecteurs de la propagation de cette doctrine au sein de pays et de cultures très divers depuis la fin du XXe siècle. C'est à travers l'élaboration de petits « écosystèmes» de ce type que cette idéologie s'est diffusée territorialement, depuis les confins himalayens de l'Afghanistan dans les années 1980, jusqu'aux périphéries des grandes métropoles arabes et européennes des années 2000.
Selon cette croyance, l'Apocalypse aura lieu au Châm - terme arabe consacré dans les prophéties islamiques pour le Levant, et que les adeptes contemporains identifient à la Syrie moderne et à sa capitale. Elle sera annoncée par la survenue sur terre du dajjal (le «charlatan » ou antéchrist) que le Messie affrontera à Damas, au pied du minaret blanc de la grande mosquée des Omeyyades (…)
L'idéologie est ainsi éminemment politique: elle invoque le passé idéalisé pour détruire le présent, en vue d'un autre avenir. La dimension millénariste de cette pensée est centrale (…)
Les mouvements millénaristes se construisent soit sous forme d'enclaves en milieu urbain, soit par des congrégations fermées dans des zones rurales ou inaccessibles que nous appellerons phalanstères dans les pages qui suivent.
Le modèle de l'enclave (…) La ville de Peshawar au Pakistan (…) Il en va de même du camp de réfugiés palestinien d'Aïn al-Heloueh au Liban durant les années 1990 (…) Simultanément, l'apparition du « Londonistan» dans la capitale britannique (…) Par la suite, la municipalité bruxelloise de Molenbeek (…) Kattankudy au Sri-Lanka…
Surtout, la Haute-Garonne et l'arrière-pays ariégeois représentent le seul territoire en Europe qui accueille à la fois, à Artigat, le phalanstère le plus emblématique et fonctionnel, et, dans le quartier populaire toulousain du Mirail, l'enclave communautaire la plus structurée (…)
Olivier Corel, I'« émir blanc » (…) se rend sur place à l'été 1992. Il y aurait rencontré des éléments proches du Groupement islamique armé (GIA). Menée par des Algériens passés par l'Afghanistan, cette organisation sera à l'origine des pires exactions durant cette « décennie noire » au cours de laquelle disparaissent, selon les estimations, entre cent mille et cent cinquante mille vies. Le GIA incarne la branche la plus violente du jihadisme. Il se fait connaître en France à travers le détournement spectaculaire du vol Alger-Paris sur le tarmac de l'aéroport Marignane le jour de Noël 1994, puis de huit attentats qui causèrent dix morts et cent soixante-quinze blessés entre juillet et octobre 1995 (…)
Lors du dépôt du projet d'habitation du Mirail en 1962, l'architecte d'origine grecque Georges Candilis, élève de Le Corbusier, rêvait de fonder une ville annexe — le terme de « ville nouvelle » n'était pas encore usité. Elle devait constituer un modèle de diversité, d'innovations urbaines pensées pour que « les habitants dialoguent ». Cette « utopie » légua son nom au quartier. Le Mirail signifie « miroir» en occitan et devait incarner la cité moderne (…)
La fratrie des Clain - deux frères et deux sœurs - est originaire de Toulouse, mais ses membres ont passé leur adolescence dans l'île de La Réunion (…) Catholiques pratiquants, ils embrassent l'islam en 1999 après la visite d'une tante éloignée accompagnée de son mari musulman (…)
En quinze jours, tous deviennent musulmans, y compris la mère, ancienne professeure de catéchisme.
Seul membre de la famille incarcéré en France, Marie (…) : « On était des fumeurs de shit nous, on fumait en bas des immeubles [à Alençon] et mes frères c'étaient des chanteurs de rap. » (…)
Sous la férule de Chadli, les rejetons du GIA à Toulouse ont enclenché la première offensive de prédication salafiste vers les quartiers populaires (…)
Les Algériens remarquent la présence des Clair et de leurs proches qui affichent leur orientation intégriste (…) À l'échelle du Grand-Mirail, on ne compte alors pas plus de quatre-vingts salafistes, un nombre qui apparaît négligeable au regard des quarante mille résidents de ces quartiers (…)
Peu avant le 11 Septembre, la mosquée du foyer Sonacotra, sise place des Papyrus, est le théâtre de la première démonstration de force. Menée par Essid, une quinzaine d'individus accapare la salle de prière, fréquentée depuis toujours par les vieux chibanis du quartier et les travailleurs pauvres. Le groupe s'y rassemble en soirée, des sermons enflammés sont prononcés, contre lesquels les retraités médusés ne peuvent rien (…)
Ainsi, aux Izards, le milieu de la prédication salafiste s'entremêle avec les réseaux du deal (…) Ils ne s'insurgent nullement contre la drogue : la vente de stupéfiants aux mécréants (kouffar) est licite religieusement (halal) tant qu'elle affaiblit I'« ennemi » et, de plus, finance éventuellement la cause.
En France, l'occurrence des attentats contre les Tours jumelles et le Pentagone représente un moment charnière à partir duquel les discours des prédicateurs vont trouver un écho beaucoup plus fort auprès d'une partie de la jeunesse musulmane (…) On retrouve des phénomènes comparables dans plusieurs autres villes françaises durant ces années. Trappes (…) Strasbourg (…) En Belgique, la commune de Molenbeeek (…)
Outre la collecte d'un pécule, leur omniprésence sur les marchés permet de développer un nouveau type de relation avec la population locale. Ils donnent aux habitants qui les voient ainsi vivre parmi eux une image positive de leur engagement religieux (…) Ils redoublent de politesse avec les mères de famille, les « daronnes » à qui ils rendront peut-être visite le lendemain pendant la tournée des HLM (…) Le sport est un moyen aisé pour entrer en contact avec des mineurs (…)
Au même moment, le Tabligh procède à l’identique à Trappes, attendant les adolescents assoiffés après les parties de football avec des boissons sucrées et des goûters. Au Mirail, Alou, responsable local de ce mouvement, est lui-même un entraîneur de boxe réputé.
Edwyn, jihadiste de vingt-cinq ans, originaire de la banlieue parisienne et rabatteur pour les groupes combattants en Syrie en 2013-2014, lors d'un échange en 2016 à la prison de Fresnes, présente ainsi sa mission : (…) « Tu vois un éducateur dans les quartiers ? Ben, je fais la même chose, mais pour l'objectif inverse [rire]. Je vais voir les jeunes, [...] je suis sympa avec eux et je gagne leur confiance. »
La clé de voûte dans la construction de l'enclave est la normalisation du prosélytisme dans un cadre « culturel ». Les associations régies par la loi 1901 sont difficiles à surveiller pour les services de l'État qui ne disposent d'aucun instrument effectif pour contrôler leurs activités et leur comptabilité.
(…) l’université islamique de Médine (…) « En Arabie saoudite, la plupart de mes professeurs étaient des anciens combattants de l'Afghanistan [comprendre : des jihadistes] au moment de l'occupation de ce pays par les Russes. » (…)
Tous apprécient la vie à al-Rihab, une banlieue salafiste du quartier de Medinet Nasr, au nouveau Caire, où des investisseurs conservateurs du Golfe ont développé l'immobilier islamique à bas prix. Toute la
Les deux assassins du commandant Massoud en Afghanistan, le 9 septembre 2001, originaires de Tunisie, étaient eux aussi résidents molenbeekois (…)
La volonté de se différencier de l'Hexagone voisin et de ne pas être otage des logiques postcoloniales franco-marocaines a paradoxalement amené les autorités à faire de la Belgique le premier port d'attache du salafisme en Europe. En effet, en 1969, les pouvoirs publics souhaitaient en affermer la gestion en la confiant à une puissance « neutre », ce qu'ils pensèrent réaliser en signant un accord entre monarchies avec l'Arabie saoudite. Le Centre islamique et culturel de Belgique (CICB), créé la même année au sein de la grande mosquée de Bruxelles, diffusera ainsi « par le haut » une ligne wahhabite ultra-conservatrice (…) pendant la décennie 1980 (…) l'émergence des Frères musulmans (…) parvenus à s'instituer en nouveaux interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics. (…) La liberté sans frein des Frères musulmans dans la capitale de l'Europe a favorisé la rencontre féconde avec les mouvements salafistes bien plus précocement qu'ailleurs, transformant progressivement Molenbeek en contre-société microcosmique que des activistes comme les Clain vont chercher à reproduire (…) Il en sortira dix ans plus tard bon nombre de cadres franco-belges sur le front de Daech et la moitié du commando à l'origine des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 22 mars 2016 à Bruxelles.
Aux législatives de juin 2012, pour la première fois sous la Ve République, près de cinq cents Français d'ascendance maghrébine et africaine sont présents parmi les candidats. En juin 2017, tandis qu'Emmanuel Macron s'installe à l'Élysée, trente-cinq d'entre eux feront leurs premiers pas lans l’hémicycle.
« Quand on me demandait mon avis sur le jihad, je disais que tous les savants [comprendre : les oulémas salafistes qu'il prend en référence] considèrent qu'il est légitime. » Cette technique de banalisation qui vise à se défausser sur les « savants » prisés par la mouvance sera communément utilisée par les partisans de Daech. À partir du moment où la guerre sainte est posée comme fondement de la croyance, prendre part au combat émane d'un commandement divin et non de la responsabilité individuelle d'adeptes s'en réclamant. Mettre en examen les activistes reviendrait donc à incriminer l'islam tout entier. La justice française en les poursuivant fournirait la preuve de son « islamophobie».
L'essor de l'école privée Alif au tournant des années 2010 (…) Alif propose une formation promettant «d'éduquer les jeunes des cités pour les sortir des difficultés » (…) le premier collège musulman hors contrat de la région Midi-Pyrénées - le septième à ouvrir ses portes en France (…)
En 2009, l'école tire profit du rejet par les milieux salafistes de la loi contre le port du voile intégral dans l'espace public votée cette même année.
Fabien Clain remarque que la prison amalgame des jihadistes de tous les horizons géographiques qui ne se seraient probablement pas croisés à l’extérieur.
(…) une association nommée « Fraternité musulmane Sanabil » (« épis de blé »). La police néerlandaise note que loin de son but officiel d'« aide aux détenus musulmans et à leur famille », la liste des bénéficiaires de cette association contient la quasi-totalité des « terroristes » liés à al-Qaida incarcérés aux Pays-Bas (…) l’objet social de Sanabil (…) a servi de paravent pour tisser une toile entre les sympathisants dans tous les établissements français (…)
Clain a perçu la prison comme un territoire à part entière du jihad. Au lieu de chercher à libérer les « frères emprisonnés » (…) il était bien plus efficient de les fédérer depuis l’extérieur (…)
Il aspire à la construction de microcosmes « califaux» sur le sol national, où dominerait l'acceptation de l'islam dans sa pleine dimension « civilisationnelle », vue au prisme salafiste. Ait-Yahya insiste sur la nécessité de lutter « idéologiquement » et de se prémunir de toute forme de contamination par la France « impie », dépeinte comme « corrosive ». Son collègue al-Kaabi souligne quant à lui l'importance du territoire, comme élément premier de l'émergence d'une « identité islamique » dont les valeurs seraient l'antithèse du vivre-ensemble républicain (…) Ait-Yahya publie son premier pamphlet (…) : De l'idéologie islamique française paraît en 2011 et rencontre un grand succès dans les milieux radicaux, tiré à plusieurs milliers d'exemplaires et réédité quelques années plus tard (…) Ouvrage de référence des librairies islamistes en France et en Belgique, l'ambivalence de son style permet de le trouver en vente jusque dans les rayons de la librairie de l'Institut du Monde arabe à Paris.
En pleine campagne pour l'élection présidentielle de 2012, la semaine meurtrière de Merah est réduite aux gestes d'un fou, d'un « tueur au scooter » dénué d'ambitions et de significations (…) « un loup solitaire » (…) Les tueries de mars 2012, loin d'être l'initiative d'un déséquilibré isolé ou le fruit de la démence d'un homme, manifestaient un symptôme profond : l'affirmation du jihadisme depuis une quinzaine d'années en France (…)
Comme à l'issue du 11 septembre 2001, les activistes se divisent face au palier que Merah vient de franchir. Ses meurtres ont ouvert une brèche. Les zélotes se félicitent des attaques en France, qu'ils justifient religieusement (…)
« Il y a beaucoup de personnes qui se rassemblent autour de la figure de Merah, même ceux qui sont pas croyants ! Même eux, ils disent : « Merah, c'est un symbole, parce qu'il a tué des juifs. » Ça déborde largement son cas à lui. »
(…) Djibril poursuit :
« C'est ça, l'islam! C'est ça que les gens comprennent pas. Le Prophète a tué des gens de son propre peuple ! De son propre peuple ! (…) le fait qu'il soit militaire annule le fait qu'il soit musulman ! Le juif, c'est le top du top [sic]. Parce que ça rassemble plein de gens... Quand des juifs sont tués, y a plein de gens qui sont contents [sic]. On en parle plus [comprendre : davantage] dans les médias. » (…)
En interprétant les meurtres de Merah comme la réaffirmation du dogme « fondamental », les jihadistes zélotes font de celui-ci un rôle-modèle (…) Apothéose d'un engagement parachevé en prison puis en Afghanistan, la séquence meurtrière se produit au moment où les premiers départs pour le jihad syrien s'organisent dans les mêmes milieux (…)
Entièrement décontextualisée, l'analyse des événements n'a pas dépassé celle d'un vulgaire fait divers. Rarement le débat public n'a paru autant coupé de la réalité.
L'ASL (…) subit la montée en puissance des brigades islamistes qui jouissent du généreux soutien de donateurs privés du Golfe, notamment du Qatar, du Koweit et d'Arabie saoudite. Ceux-ci voient dans la déstabilisation de Bachar al-Assad un moyen de contrecarrer l'influence régionale de l’Iran (…) Certaines factions de l'ASL désargentées passent sous leur commandement (…)
La prison de Saydnaya, dans les environs de la capitale, connue pour agglomérer les opposants islamistes de tout poil et les y soumettre à la torture, est vidée en priorité. Plusieurs centaines de jihadistes sont ainsi remis en liberté et rejoignent derechef les gangs de la rébellion (…)
Héritage de décennies d'instrumentalisation des réseaux islamistes par les services de renseignement syriens (moukhabarat), cette pratique cynique visait à accroître le poids des extrémistes au sein de l'opposition. De la sorte, le régime pourrait la diaboliser et in fine rendre acceptable son maintien au pouvoir, le moindre mal pour les Occidentaux frappés sur leur territoire par le terrorisme.
Dans l'esprit de proches, Jean-Michel Clain ne porte pas tant secours à la rébellion syrienne qu'il s'élance vers terre « bénie» (…) : « Fabien s'est senti, il me l'a dit, « un sous-homme ». [...] Parce que eux, ils sont en France, en terre de mécréance, alors que Jean-Michel, il est en Syrie et il accomplit son islam (…) Le hadith qui en parle, Châm ard mubaraka [« le Châm est une terre bénie », elle prononce ces mots arabes avec l'accent toulousain], il concrétisait pour nous l'envie de vouloir partir. » (…)
Contrairement à cette thèse alors dominante, cet exode ne s'apparentait pas à un accès de fièvre. Les Européens poursuivaient au Levant la même œuvre utopique qu'en France dont les premiers jalons avaient été la redéfinition religieuse d'un territoire, sa sanctuarisation et son investissement par des militants.
Après deux ans d'affrontements et de désertions, le commandement de l'armée syrienne se résout à se replier sur ce qu'il désigne comme la Syrie utile (Souriya al-moufida). Elle est composée de la capitale et de la région côtière où se concentrent 70 % de la population et l'essentiel des productions agricoles. Le reste, notamment les steppes désertiques de l'Est qui abritent les ressources pétrolifères et certains des plus beaux joyaux du patrimoine culturel syrien et mondial (Palmyre, Doura Europos, etc.), mais aussi la moitié de la métropole économique, Alep, est progressivement abandonné à la prédation jihadiste.
Cet été-là, le Front al-Nosra s'est imposé comme principal groupe rebelle au détriment de ce qui était appelé I'«opposition». Les estimations évoquent désormais six mille combattants internationaux sur place, ce qui distingue le Levant en qualité de première terre d'accueil de jihadistes - devant l'Afghanistan.
(…) l’« État islamique » (dawla islamiyya en arabe) a vocation à soumettre l'ensemble de la planète, conformément à la Prophétie coranique. Réduire le jihad à une primauté « syrienne» ou « irakienne » représenterait une hérésie, puisque cela invaliderait l'ontologie universaliste de cette religion (…) Dès lors, la prétention « syrienne » d'al-Nosra reposerait sur une conception « nationaliste » et donc « impie» du monde.
« Quand on est arrivés dans la campagne d’Alep (…) Ils nous regardaient de travers parce qu'ils avaient jamais vu ça, deux Noirs (…) les Syriens nous ont mal reçus (…) Les Syriens étaient fermés ou froids envers nous. Ils nous suspectaient de travailler avec les services secrets et d'être là pour les espionner. » (…)
Même lorsqu'ils sont d'ascendance arabe, les Français, pour la plupart issus de familles maghrébines, découvrent le gouffre mental qui les sépare des Levantins (…) « - Tu comprenais le dialecte syrien ? - Non, je ne comprenais pas quand ils parlaient, on se parlait avec la langue des signes. » (…)
La première chose, on est des hommes, on veut se marier quand on arrive. Et nous les Français, quand on demandait ça, on n'était pas crédibles (…) Les Syriens ne voulaient pas qu'on épouse les Syriennes. » (…)
La frustration que ressent ce Français qui refuse d'être « soumis » témoigne du statut de « dominant » qu'il pensait acquérir comme « immigrant » en Syrie, et dont la possession de femmes devait être un attribut. À partir de l'été 2014, la réduction en esclavage sexuel des femmes yézidies servira de palliatif partiel à ce problème.
Le 23 mai, Ayman al-Zawahiri, émir d'al-Qaida, rend son arbitrage religieux (fatwa) en défaveur de Daech (…) À l'issue de l'arbitrage de Zawahiri, les dirigeants du Front al-Nosra décident de conserver leurs armes et de transférer la plupart des combattants étrangers vers Daech (…)
En Syrie, Alex passe en effet de Charybde en Scylla. L'image fantasmée construite depuis la banlieue parisienne se transforme en une dystopie : « Je fais une semaine à Atma [bourg du nord de la Syrie]. J'ai pas d'électricité... c'est la galère. [...] C'était juste du grand n'importe quoi. Ils (Daech) voulaient établir une structure, mais y avait même pas l'indispensable ! Y avait pas d'armes à cause de la scission, y avait des vieux, des bébés, des Albanais [sic] et pas d'approvisionnement. Mon contact sur place ne savait même pas où j'étais ! (…)
Il (…) se voit incité à faire acte d'allégeance (bay'a), serment auquel il se plie sans en saisir l'enjeu : « On m'a amené vers un mec [sic, un émir de Daech]. Il était dans une voiture. Il me parle en arabe, on me traduit, je fais l'allégeance, et je lui serre la main, et voilà.. » (…)
Il déclare s’être rendu en Syrie pour prendre « sa part du jihad » durant quelques semaines, à la manière de certains Turcs limitrophes qui gagnaient les fronts syriens le week-end avant de retrouver leur activité professionnelle (…) : « On était d'accord avec mes frères en Syrie [ses amis d'enfance], je venais pour aider [combattre] et pour repartir. Mais quand je suis arrivé à Alep, ils ont voulu me forcer à faire allégeance (…) : « Faut que tu prêtes allégeance, ils vont te prendre pour un espion ! » Et moi, j'étais là : « Mais comment ça ? C'est vous qui m'avez fait venir ! On est du même quartier ! »
En s'instituant comme un « califat » vers lequel obligation est faite d'émigrer, Daech prend de facto le contrepied du système des recommandations et change de paradigme. L'organisation fait le pari des grands nombres et ouvre les portes à un public que le recrutement sélectif d'al-Qaida avait pour objectif de laisser de côté : les femmes, les enfants et les personnes âgées, mais aussi les convertis récents, les opportunistes et les instables.
(…) « Y a pas de secret, hein... C'est juste une question d'effectifs sur le Net. Les argumentaires d'al-Qaida sont trop longs et trop complexes pour les réseaux sociaux. Ils sont là, à faire de longs posts que personne ne lisait. En face, le mec arrive avec deux phrases pro-Daech et c'est réglé. » (…)
Via Internet, les « conseillers de la hijra» entrent directement en contact avec les sympathisants identifiés en amont de leur départ. Ces canaux permettent également aux jihadistes en Syrie de « fixer » certains volontaires sur le territoire européen et de les charger de coordonner des actions terroristes sur place (…)
Ce schéma permet d'expliquer la corrélation entre le nombre de ressortissants engagés en Syrie et celui des tentatives d'attentats contre les pays d’origine.
(…) à la fin juin 2014. Il décrit le traitement des « immigrants» par les agents de lEl qui n'a plus rien à voir avec I'« anarchie » de 2013 (…)
Le document ci-dessous, édité par la Direction générale des frontières de l'État islamique intitulé « Déclaration des jihadistes », appartient au registre confidentiel que les agents de sécurité de Daech remplissaient pour chaque nouvel entrant (…) La mention « groupe sanguin », dès la quatrième ligne (avant même la nationalité), laisse entrevoir le destin qui attend le volontaire, confirmé par la dernière case : « date de mort et lieu ». A l'image du traçage des animaux à l'abattoir, la mort au front constitue l'horizon administratif de tout nouvel émigré au sein de l'État islamique (…)
Après que l'étranger est entré sur le territoire de l'EI, tout est fait pour qu'il ne puisse faire demi-tour (…)
La doctrine salafiste, socle juridique du « califat » de Daech, offre une deuxième série d'arguments pour enfermer les femmes : elles n'ont pas d'existence légale propre et doivent disposer d'un tuteur (mahram - le mari, frère ou père) responsable de chaque aspect de leur vie et de la « pureté » de leur comportement. Concrètement, dès leur arrivée, elles sont convoyées vers des centres de regroupement (maagar) (…) Les célibataires sont placées sous la surveillance d'une gouvernante (amira) et y restent confinées jusqu'au mariage (…) « Je vais pas te mentir, celles qui partent en Syrie, c'est pas les plus jolies… » (…)
En sus des vexations, les « émigrés » jouissent de nombreux avantages sur les civils avec lesquels ils ne se mêlent guère et qui évitent leur contact. Ils sont mieux payés, prioritairement approvisionnés en biens de consommation et privilégiés pour l'obtention des logements saisis (…) S’ils refusent de se plier « au jeu» ou si leurs écarts menacent la discipline d'airain qu'imposent les émirs, ils subissent à leur tour la violence implacable qui s'abat ordinairement sur les civils (« madaniyyin ») (…)
Comme sur Internet, l'enfermement cognitif et idéologique altère leur perception de l'univers.
À l'été 2015, Daech a atteint son apothéose. Entre quinze mille et vingt-cinq mille volontaires ont rejoint son territoire. Toutefois, la défaite de Kobané face aux forces kurdes soutenues par l’aviation occidentale en janvier a donné un coup d'arrêt au mythe de la victoire perpétuelle et prive le groupe d'un point de passage majeur le long de la frontière turque (…) Le « califat » a atteint son expansion maximale, avec une superficie égale à celle de la Grande-Bretagne…
(…) la mort sature l'horizon des Français du « califat », au point de dévaloriser le martyre aux yeux de certains (…) son omniprésence dissout le fantasme exaltant dans la trivialité. Confrontés à des sacrifices permanents autant qu'inutiles, des volontaires zélés en viennent à le démystifier (…)
« C'est très compliqué de fuir. La plupart le font par ruse. Ceux qui disent qu'ils veulent partir sont assassinés de façon camouflée [par les services de Daech].[...] Ils disent que tu es mort en chahid [martyr] dans un attentat à Homs, alors que tu es mort dans une prison de Deir ez-Zor [entre leurs mains] (…) Si tu fuis et que tu es récupéré par Dawla, généralement, ils te mettent en première ligne comme ça tu peux plus fuir. »
Dans un inversement sadien de l'ordre moral où le prisonnier s'érige en gardien de la foi, la cruauté devient le zèle de la rédemption. Exercée au nom du jihad, elle rachète tous les péchés d'antan et une vie entière passée dans l’impiété (…) Les fronts sont ainsi autant de centres de formation accélérée de Daech. L'organisation peut y précipiter en masse les novices et identifier ceux qui s'y distinguent. La capacité à tuer devient l'un des principaux moyens d'affirmation et d’adhésion.
(…) (le Bataclan, les quartiers jeunes et ethniquement mêlés des Xe et XIè arrondissements, le Stade de France) (…) produisent un séisme sur la scène internationale : les positions russe, américaine et française qui divergeaient depuis plus de quatre ans autour du dossier syrien s'alignent en moins de vingt-quatre heures. L'ensemble des acteurs s'accorde pour coordonner leurs stratégies contre Daech en Syrie (…)
Après ces attaques, l'EI ne dispose plus de l'infrastructure logistique nécessaire pour renouveler des opérations de pareille ampleur. Les routes de la hijra sont coupées par l'intervention turque «Bouclier de l'Euphrate »…
Le recours à cette nouvelle main-d'œuvre pointe les difficultés que rencontre l'EI pour recruter des volontaires prêts à passer à l'acte au moment où l'organisation entend faire « basculer » l'Hexagone dans la guerre civile.
Les deux « ratés» du 4 septembre 2016 clôturent une période charnière où a été portée au paroxysme la capacité opérationnelle de Daech tant en prison que sur le territoire national.
À Fleury-Mérogis dans l'Essonne (91), il n'est pas rare de compter en coursive un surveillant pour cent soixante détenus - le rapport est de un à quatre-vingts dans les autres établissements de région parisienne (…) La profession affiche le taux de suicide et d'alcoolisme le plus élevé de la fonction publique. La stabilité des équipes est également affaiblie par les nombreuses démissions (turn-over). Le sous-effectif trahit aussi la difficulté à recruter.
Les individus qui suivent des régimes alimentaires prohibés en islam seraient désormais moins d'une centaine par prison en Île-de-France : « La majorité silencieuse a la trouille et suit le mode le vie « musulman », qui homogénéise les comportements de la détention générale ».
Pourtant, lorsque Foucault publie Surveiller et punir, (…) sa démonstration établit une rupture inaugurale entre l'« extérieur » et l'« intérieur » de la prison. Selon l'auteur, cette dernière forme un quasi-huis clos (…) Michel Foucault l'a élaborée sans s'être jamais rendu en détention. Plusieurs chercheurs ont également fait remarquer que les règlements intérieurs dont le philosophe donnait lecture étaient tombés en désuétude depuis plusieurs décennies au moment où il y avait recours pour fonder son argumentation (…) Pareille « division binaire », déjà discutable lors de la parution de Surveiller et punir, ne fait plus guère sens à l'époque de la téléphonie mobile, d’Internet et des réseaux sociaux à portée de « smart phone » pour la plupart des détenus, selon nos observations.
(…) si la mise à l'écart des revenants est au cœur du projet, aucune mesure n'est envisagée pour prévenir la formation de noyaux d'activistes, de penseurs et de dirigeants qui pourrait résulter de ces regroupements de radicalisés. Et pour cause, ces derniers ne sont pas considérés comme un collectif militant, mais comme une somme de cas individuels à évaluer (…) Bien souvent, les revenants sont pris en charge par les professionnels comme s'ils étaient victimes d'un « embrigadement radical» (…) La directrice de l'administration pénitentiaire de 2012 à 2016 indiquait avoir pris conscience « des problèmes de radicalisation » au printemps 2014, après une conversation avec Dounia Bouzar (…) Les ateliers dits d'« intermédiation animale» mis en œuvre pour les jihadistes en fournissent une illustration. Dans le cadre de certains modules, ces derniers, dont certains étaient soupçonnés des pires exactions, voyaient confier, le temps d'une séance avec un psychologue, un furet apprivoisé à caresser en vue de renouer « physiquement » avec l’altérité (…)
Quelques mois après son lancement, le dispositif est en passe d'être transformé par les jihadistes en un phalanstère d'un nouveau genre. L'un d'entre eux, amusé, nous fait remarquer : « Vous savez, nous, dès qu'on est plus de trois, on nomme un émir. » (…) Les conditions d'incarcération spécifiques (encellulement individuel, etc.) qui ont pour justification d'instituer les bases d'un rapport positif entre l'encadrement et les prisonniers et favoriser la déradicalisation causent du ressentiment ailleurs dans l’établissement (…) Le Premier Surveillant de cette unité fait part d'observations convergentes qui vont à rebours de la prise en charge « individuelle » : « Je le vois, dès qu'il y en a un qui a un doute, il a désormais de part et d'autre de sa cellule deux mecs qui le remontent comme un coucou, qui le regonflent à bloc. Je les entends discuter toute la nuit. C'est un gros effet pervers du regroupement. Ça les endurcit. » (…)
En 2015, avec deux ans de retard sur la Syrie, les partisans du « califat» rejouent la fitna (discorde) de l'été 2013 contre les sympathisants d'al-Nosra incarcérés à leur côté (…) « Les mecs de l'El en détention ont fait une liste des gens infréquentables qui étaient « sortis de l'islam» au sein même de l'unité dédiée ! (…) Dans la cour de promenade, il y a eu des bagarres entre les gars d'al-Nosra et ceux de Dawla [Daech] ! (…) Les anciens d'al-Nosra ont eu peur et sont devenus pro-Dawla, les irréductibles se taisent ou sont pestiférés. »
Comme le résume Abdel, le geek, l'incarcération par définition temporaire constitue une étape de la formation du « soi » jihadiste (…)
Dans les évaluations dont ils font l'objet, la reprise d'un cursus universitaire est presque systématiquement interprétée comme un premier pas vers la renonciation à l'« idéologie violente ». Pourtant, les intéressés ne voient aucune incompatibilité idéologique avec le jihadisme dans la politique d'accès à l'éducation favorisée par la pénitentiaire. Ils plébiscitent au contraire ces mesures qui renforcent leur capacité à défendre leur vision du monde (…)
Par le biais des « évaluations individuelles », les profils les plus intelligents et simulateurs sont moins bien « détectés » et donc fréquemment replacés parmi les détenus ordinaires.
Un deuxième facteur relatif à la diffusion des thèses jihadistes au sein de la détention ordinaire tient à l'architecture des établissements concernés (…) les mécanismes de va-et-vient du « yo-yo » entre les fenêtres (…) Les UPRA ont été calibrées pour accueillir quatre-vingts personnes, alors que près de mille cinq cents Français étaient identifiés au même moment sur le territoire du « califat » de Daech. Elles ont été congestionnées avant leur ouverture « officielle » en 2016, et les dizaines d'individus en surplus qui y auraient leur place ont été maintenus en détention ordinaire.
(…) les detenus jihadistes sont valorisés parce qu'ils incarnent les victimes par excellence de l'injustice qui cible les « meilleurs musulmans » selon une lecture salafiste (…) Au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, l'éloignement a poussé les proches à s'organiser pour les visites. (…) De la sorte, la connivence doctrinale entre les reclus du centre pénitentiaire le plus sécurisé de France est renforcée par la puissance des liens affectifs qui s’enchevêtrent et se nouent dans leurs familles à cette occasion (…)
La plupart des revenants écroués présentent tous les signes d'une « suradaptation » aux mesures de prise en charge. Ainsi, Rédoine la « star », qui refusait de « se désavouer intellectuellement de l'EI», se disait simultanément prêt à jouer le « repenti chez [Laurent] Ruquier ». À la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, les détenues jihadistes (…) usent de stratégies de dissimulation à cet effet (taqiyya). Elles ont intériorisé les grilles d'analyse utilisées par les « référents radicalisation» pour brouiller les pistes d’évaluation.
Depuis le printemps 2016, le nombre de fumeurs dans la cour de promenade s'est réduit comme peau de chagrin. Les prisonniers corses multiplient les demandes de mutation vers des établissements de province et se plaignent avec insistance de l'ordre religieux que font régner les islamistes (…) Le fait qu'ils cherchent tous à quitter Fleury-Mérogis signale qu'ils ont perdu le contrôle. L'une des « digues» intérieures à la détention capable de compenser l'influence des jihadistes, pourtant arrivés quelques mois auparavant seulement, a cédé.
Le lendemain, la scène se répète, cent soixante prisonniers du même bâtiment tentent un nouveau bras de fer à l'issue de la récréation matinale. Une centaine d'entre eux arbore la tunique sombre des soldats de l'EI. L'encadrement précise que 60% des détenus des étages concernés sont descendus en promenade entièrement vêtus de noir (…) Habillés en noir conformément aux codes vestimentaires des jihadistes au Levant, ils organisent des exercices physiques que la direction qualifie d'entraînements militaires. Une poignée de revenants imposent des cadences soutenues à des disciples motivés et ordonnés en rang d’oignons.
L'étude du profil de Karim, l'un des leaders présumés de la katiba de Fleury-Mérogis, permet d'éclairer cet épisode. Comme nombre de jihadistes français, il s'est formé pendant plusieurs mois au sein des instituts salafistes du Caire avant de partir au Levant (…) Et en effet, devant la cour, il présenta un tout autre visage. Il plaida le repenti face aux juges et défendit avec candeur un projet de réintégration dans la société française (…) Son propos illustre l'intériorisation par certains jihadistes forcenés des postures à adopter pour manipuler leur auditoire et susciter la clémence des magistrats.
Le conseiller d'insertion et de probation (CPIP) référent, interviewé dans le cadre de ces recherches, estimait que le prévenu était l'un des éléments potentiellement « réintégrables » en détention ordinaire, hors unité dédiée, et donc dans la société française. Extraverti et prompt à donner la réplique, Bilal T. cochait toutes les cases de l'« ouverture cognitive », témoignant, sur la base des critères établis, d'un faible niveau de radicalité et de la possibilité d'envisager un travail en vue d'une déradicalisation.
Entre deux échanges, il préméditait en réalité son passage à l'acte. « Avec beaucoup de cynisme, il a rappelé qu'il était l'un des détenus les mieux perçus de l'unité dédiée par les divers intervenants, psychologues, conseillers d'insertion, et qu'il était parvenu à berner son monde sans difficulté, attestant selon lui de « l'inutilité des unités dédiées (…) Il a notamment évoqué ses conditions de détention, qualifiées selon propres termes de « très confortables »…
Ces nouveaux « doctrinaires» se font les théoriciens de l'ère post-Daech, et édictent derrière les barreaux la doctrine du jihad français de demain (…) « Faut savoir qu'ici [en prison], il y en a qui bossent ! (…) Mais la démocratie en tant que cadre juridique, je ne suis pas contre [il sourit] ! »
Certains doctrinaires reconnaissent avec un malin plaisir bénéficier d'un avocat payé par l'État pour s'occuper de leur défense. Il s'agit des meilleurs orateurs du Barreau de Paris, issus de la prestigieuse conférence du Stage. Pourtant ces hommes de loi échappent rarement aux railleries de leurs clients dans les cours de promenade ou dans les conversations téléphoniques entre proches.
Les idéologues du jihad de demain perçoivent la dissimulation de leur activisme comme une nécessité dans la guerre idéologique qu'ils mènent contre les fondations de la société française. Ainsi leur revient-il de s'immiscer au cœur des administrations clés de l'action de l'État de façon à subvertir le système « impie » de l'intérieur. Youssef indique la stratégie d'entrisme à long terme de certains sympathisants au sein des institutions républicaines en vue de servir au mieux la cause (…)
L'enjeu prioritaire se situe pour eux dans la bonne évaluation du rapport de force avec les institutions et la société et l'affaiblissement de capacité d'action de l'État français (…)
Ces idéologues conçoivent l’extension des cercles sympathisants au sein de la société française comme un préalable indispensable à tout passage à l’acte dans l’avenir (…)
Dans une approche qui serait presque une manipulation du panoptikon foucaldien à l'envers, les doctrinaires comme Youssef expérimentent leur produit à destination des « quartiers » sur les incarcérés à leur main, qui en sont les cobayes, en vue d'une « exportation» au-delà des barreaux (…)
« On est la génération « sacrifiée », mais celle de nos enfants, on est en train de l'éduquer pour que quand ils auront nos âges, le rapport de force face à l'État leur soit favorable, qu'ils soient tellement nombreux que l'État ne puisse même plus les mettre en prison…"
Dans le cadre d'un entretien tenu le 10 mai 2017, un conseiller de la rectrice de la deuxième plus grande académie de France, située en région parisienne, notait l'essor des écoles privées hors contrat musulmanes et de l'enseignement par correspondance à domicile. Entre 2015 et 2017, le nombre d'élèves concernés aurait doublé, passant de trois mille à six mille enfants, la dynamique étant particulièrement saillante selon ce haut responsable en Seine-Saint-Denis où l'offre religieuse est la plus importante.
« Dans les quartiers, maintenant tu as la mère en boubou et la fille en nigab [voile intégral]. Quand tu vois ça, tu te dis qu'il se passe un truc de ouf [fou] ! »
Tous font référence à la prédication des Frères pour justifier leurs orientations idéologiques actuelles (…)
« Le projet dans la bataille idéologique, c'est de réislamiser la société francophone, mais pas de façon cachée comme les ikhwans [les Frères musulmans], de le faire en prônant un retour à la salafiyya [salafisme], bref, à l'islam. Quand je dis réislamiser, je parle pas d'un retour à la salat [prière], je dis réislamiser idéologiquement (…) À moyen terme, elle va changer les comportements [des musulmans]. Ça, c'est déjà le cas aujourd'hui, ça se traduit par l'habillement, par la nourriture, par l'éducation des jeunes... C'est déjà pas mal avancé. À long terme, ça va changer la société, ça, c'est pas encore fait. (…)
Alors pourquoi la France? Parce que la France, c'est une idée. Tout le monde va devoir se positionner si la France est attaquée. » (…) Ces accusations renouvellent des attaques formulées depuis la décennie 1970 par la volumineuse littérature islamiste à l'encontre de la France, identifiée comme l'ennemi symbolique par excellence. Elle serait la pire créature de l'Occident haï.
(…) Parallèlement, ils ont intellectualisé le projet de s'immiscer à l'intérieur des services de l'État en vue de parasiter son action, renforcer le sentiment de sidération (…)
Pour Aït-Yahya et les incarcérés qui se placent dans son sillage, I'« islam » évoluerait sous emprise « occidentale ». La France contemporaine infligerait une « colonisation idéologique » aux musulmans, réitération de la situation de l'Algérie coloniale (…)
Dans sa perception obsidionale de la menace que ferait peser la France sur l'existence de l'« islam », le combat idéologique contre l'Occident d'Aït-Yahya rencontre la pensée « décoloniale » des « Indigènes de la République» et consorts (…) Les doctrinaires méprisent les mouvements décoloniaux qui n'auraient pas saisi que l'objet de leur lutte devait être le soutien à la cause jihadiste, mais ils reprennent leurs paradigmes qui leur permet d'ancrer leur projet dans une rhétorique mobilisatrice plus large et éminemment politique (…)
Les « Français», figures contemporaines des « colons blancs», sont rejoints par des auxiliaires « collabos » ou « collabeurs ». Ils désignent tous les musulmans insensibles aux thèses sécessionnistes, coupables de vivre leur foi de façon apaisée ou de l'avoir accommodée à la modernité (…)
La guerre d'indépendance algérienne, recodée en un jihad libérateur, devient une partie du modèle pour préparer la sécession interne en France.
(…) les activistes interrogés dans ce travail auront, pour la plupart, recouvré la liberté en 2022 (…) Cela instaure la problématique du jihadisme au cœur de la Cité, posant un défi intellectuel et sociétal avant d'être sécuritaire. Il ne peut être ignoré ni caricaturé (…) cette entreprise est le fruit de cinq années de recherche à travers l'Europe, le Moyen-Orient et les prisons (…) Or le phénomène que nous avons observé (…) prend la forme d'une contestation religieuse de l'ordre politique.
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