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lundi 4 mars 2019

"Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Marquez (1967)


Chaque fois plus étonné de la justesse de vues de José Arcadio Buendia, il finit par lui demander comment il se pouvait qu’on le gardât attaché à un arbre. 
-Hoc est simplicisimum, répondit-il : Parce que je suis fou. 

Mais, dans le fond, elle ne pouvait imaginer que le jeune garçon emmené par les gitans fût ce grand escogriffe qui s’empiffrait un demi-cochon de lait à déjeuner et dont les vents faisaient se faner les fleurs. 

Rebecca ne se domina plus. Elle recommença à manger de la terre et la chaux des murs avec la même avidité qu’autrefois et suça son pouce avec tant de frénésie qu’il se forma un durillon au bout. Elle vomit un liquide verdâtre contenant des sangsues mortes.

Peu après, tandis que le menuisier prenait ses mesures pour le cercueil, ils virent par la fenêtre tomber une petite pluie de minuscules fleurs jaunes. Elles tombèrent toute la nuit sur le village en silencieuse averse, couvrirent les toits, s’amoncelèrent au bas des portes et suffoquèrent les bêtes dormant à la belle étoile. 

Devant l’impatience des enfants, Aureliano le Second dévissa les huit boulons et, soulevant la plaque de plomb, c’est à peine s’il eut le temps de pousser un cri et d’écarter les enfants à la vue de don Fernando tout habillé de noir, un crucifix posé sur la poitrine, son épiderme crevé éructant des gaz pestilentiels, et mijotant à petit feu dans un court-bouillon écumant de perles vives. 

Ils n’eurent pas l’occasion de se voir en tête à tête, ni d’échanger autre chose qu’un bonjour ou un bonsoir, jusqu’à cette nuit où elle rêva qu’il la sauvait d’un naufrage et qu’elle n’éprouvait pour lui aucun sentiment de gratitude mais une grande fureur (…) après son rêve, au lieu de le détester, elle se sentit un irrésistible besoin de le voir. Son impatience se fit de plus en plus grande au cours de la semaine et, le samedi venu, son désir était devenu si pressant qu’elle dut fournir un immense effort pour que Mauricio Babilonia, en la saluant au cinéma, ne remarquât pas que son cœur était en train de lui sortir par la bouche. 

… l’enfant ayant profité d’un moment de distraction de Fernanda pour échapper à sa captivité et se montrer sous la véranda pendant une fraction de seconde, complètement nu, les cheveux en broussaille, arborant un sexe impressionnant semblable aux excroissances charnues d’un bec de dindon, comme s’il ne se fût pas agi d’un être humain mais de la définition encyclopédique de l’anthropophage. 

Amaranta Ursula se défendait avec une sincérité, usant de ruses de femelle experte, embelettant davantage son fuyant et flexible et parfumé corps de belette, tout en essayant de lui couper les reins avec les genoux et de lui scorpionner la figure avec les ongles, mais ni lui ni elle ne laissaient échapper un soupir qu’on ne pût confondre avec la respiration de quelqu’un qui eût contemplé le frugal crépuscule d’avril par la fenêtre ouverte (…)  Brusquement, presque en jouant, comme une espièglerie de plus, Amaranta Ursula négligea de se défendre et, lorsqu’elle voulut réagir, effrayée par ce qu’elle-même avait rendu possible, il était déjà trop tard. Un choc énorme l’immobilisa en son centre de gravité, l’ensemença sur place, et sa volonté défensive fut réduite à rien par l’irrésistible appétit de connaître quels étaient ces sifflements orangés et ces sphères invisibles qui l’attendaient de l’autre côté de la mort. A peine eut-elle le temps de tendre la main, de chercher à tâtons la serviette de toilette et de se la mettre entre les dents comme un bâillon, pour empêcher que ne sortissent les petits miaulements de chatte qui étaient déjà en train de lui déchirer les entrailles. 

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