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jeudi 20 juillet 2017

« Beauté du monde et souffrance des hommes » de François Varillon (1978)

Au fond, la vie de l’esprit, c’est la réflexion sur l’expérience.

… je me demande si le sublime de la vocation chrétienne n’implique pas un tragique […] Si vous supprimez le tragique, est-ce que le sublime restera sublime ? C’est bien pour cela qu’en dehors de notre vocation à partager la vie divine, l’enfer est inconcevable. 

Ni l’enfer, ni le purgatoire, ni le péché originel ne sont intelligibles en dehors de la vocation de l’homme à être divinisé. 

Le respect de Dieu pour notre liberté qui est essentielle à l’amour inclut nécessairement l’éventualité de l’enfer, mais je dis bien éventualité, une éventualité telle que la certitude du salut ne peut être qu’en forme d’espérance. 

Et d’ailleurs, dans tout amour humain, il y a un aspect d’espérance ; j’épouse une femme, sa fidélité n’est pas une certitude d’ordre mathématique, c’est une espérance. Et si j’exclus le risque d’être trompé, mon amour pour cette femme n’est plus de l’ordre de l’amour.

… la Genèse ne se présente pas comme une explication.
[…] Je ne pense pas qu’il y ait une explication au mal, le mal c’est l’injustifiable. A partir du moment où il est expliqué, il n’est déjà plus le mal, du moins en profondeur, puisque vous l’avez intégré dans un système intelligible. 
[…] « L’injustifiable, ce qu’on ne peut ni comprendre, ni aimer »…(Lavelle) 

Qu’est-ce que le corps ? La tendance générale est de le définir comme un ensemble de cellules biologiques ; mais ce corps-là va au tombeau. Faire comprendre que le corps c’est notre histoire est à mon avis extrêmement important ; notre histoire ce sont toutes nos relations, nos décisions. Comment construisons-nous notre histoire ? C’est cette histoire construite par nous qui ressuscite. 

Si l’acte de foi n’engage pas le fond de l’être, peut-on encore parler de foi ? Alors on confond foi et croyances… 

Dieu n’est pas honoré par un acte si peu que ce soit forcé.

… l’amour n’est pas un attribut de Dieu parmi les autres attributs, mais les attributs de Dieu sont les attributs de l’amour. C’est l’amour qui est tout-puissant ; si ce n’est pas l’amour qui est tout-puissant, la toute-puissance de Dieu est purement et simplement païenne.

… le fait de ne pas vouloir progresser n’est pas une cause de mort, c’est déjà la mort même. 

… la tâche de l’homme est de faire l’homme […] Un monde tout fait serait un monde de choses ; un homme tout fait serait chose parmi les choses […] Dieu ne crée pas l’homme libre, Dieu fonde la possibilité pour l’homme de créer sa liberté.

… une décision morale est donc celle qui, provoquée par les faits, se propose de faire triompher les valeurs.

… l’essentiel de la foi, c’est que l’Esprit Saint par grâce a l’initiative transcendante des décisions humaines authentiquement morales, et qu’il leur donne de ce fait une dimension, transhistorique ou éternelle, proprement divine. 

…l’Evangile n’est pas tellement original au niveau d’un programme de vie morale, le Christ n’a pas apporté de véritable nouveauté dans ce domaine-là ; mais c’est une transfiguration de la conscience. 

La justice, c’est le premier temps. Elle est identiquement respect, c’est-à-dire : « vouloir que l’autre soit et soit autre ». 

L’amour est décentration de soi, afin que le centre de soi soit l’autre.

« Le Père et moi, dit Jésus, nous sommes un ».

… le monde se distingue radicalement de Dieu. Dieu dit : je veux que tu sois. […] Mais c’est en vue de s‘unir l’homme en Jésus-Christ.

Il y a les grandes décisions qui sont proprement cruciales, et même au sens étymologique du mot croix. 

« Je t’aime » signifie : je veux dépendre de toi ; il signifie aussi : tu es ma joie. Et cela veut dire pauvreté ; sans toi, je suis pauvre de joie. 

… il y a trois niveaux de groupes humains :
- la foule, où règne l’homme de la force, on joue des coudes, c’est la jungle.
- la société, qui est la foule organisée, institutionnalisée par le droit, et donc avec une autorité qui fait respecter le droit et qui est l’arbitre du droit.
- la communauté, où règne l’amour. 

Offrir : […] ne pas attendre que l’autre demande, épargner à l’autre l’humiliation d’avoir à demander […]. Il faut, en même temps, rester discret en tout, ne pas assassiner les gens avec des offres constantes.

Demander : c’est le verbe de la dépendance, de la faiblesse et du courage. Demander, c’est reconnaître que l’on manque, c’est accepter de dépendre, autrement dit : être l’obligé de quelqu’un. […]

Donner : sans esprit de retour, sans regret, même longtemps après. Il est difficile le don parfait qui n’aliène pas l’autre, qui ne fait pas de moi un donateur ; il faut donner jusqu’au moyen de se passer de moi. 

Pardonner : en tant que pardonner est la forme supérieure du don. J’insiste toujours pour qu’on écrive par-donner, avec un petit tiret, pour qu’on mette en valeur le préfixe « par » qui, dans plusieurs langues, signifie : à fond, jusqu’au bout […]. Pardonner, c’est effacer mon ressentiment, piétiner mon orgueil, faire la paix, la construire. Le pardon n’est pas un coup d’éponge, il est une re-création : pardonner c’est permettre un nouveau départ. 

L’accueil avec le symbolisme du baiser, qui est accueil autant que don – recevoir, accueillir le souffle de l’autre qui signifie l’âme de l’autre


La culture exige toujours un certain effort, mais l’homme cultivé ne donne pas le sentiment de cet effort. Il sait se réserver des heures pour ce travail.

« Gloria Dei vivens homo » (saint Irénée). La gloire de Dieu c’est la vie des hommes.

Yahveh signifie « être avec » […]

[…] j’ai en moi-même la racine de ce qui peut aboutir à Hitler ou à Staline.

[…] l’avoir, le jouir et le pouvoir sont les pulsions qui fondent la société. En soi, ils ne sont pas mauvais, mais quand ils sont exagérés ou déviés, ils engendrent toutes les catastrophes.

« L’amour de l’humanité en dehors de l’amour de Dieu ne peut être qu’une extension de l’amour de soi. » (Fénelon)

Pourquoi le sacrement du mariage ? Pour que les époux aient en eux comme un dynamisme, le dynamisme de leur amour mutuel que nous appelons la force du Saint Esprit.

C’est tous les jours que j’entends des hommes et des femmes me disant : je suis tiède, je fais ce que je peux dans la vie professionnelle, dans ma famille, mais je n’aime pas Dieu. Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi non plus je n’aime pas Dieu. Mais je lui donne du temps. Le temps c’est la trame même de notre existence sur laquelle nous brodons notre activité. Alors j’interromps cette activité, j’éteins la lumière, j’allume un cierge qu’il se consomme pour Toi seul. C’est tout ce que je peux faire.

Mais comment être orgueilleux dès qu’on est lucide, quand on a touché du doigt ce qu’on vaut et que la réputation que l’on peut avoir tomberait d’un seul coup si les gens pouvaient voir tout ce qui se trafique à l’intérieur ?

Renan dit : la vérité est peut-être triste. Claudel revient souvent sur ce mot ; pour lui, comme pour moi, c’est le plus abominable blasphème qui soit sorti d’une bouche humaine. Si la vérité est triste, il n’y a plus qu’à plier bagage. L’homme a vocation à la joie.

Toute l’œuvre de Wagner, ce sont les murmures du monde.

L’homme est essentiellement question. C’est de là qu’il faudrait partir et montrer que l’expérience est l’expérience d’un questionnement. […] Le vécu […] n’est humain que s’il implique un questionnement. La philosophie commence quant on prend en compte ce questionnement.
L’essentiel c’est de réfléchir à partir de l’expérience, d’une expérience vraiment humaine. La réflexion pourra devenir extrêmement technique, une sorte d’épure logique, mais qui nous ramènera à l’expérience autrement comprise […] Il ne faut pas s’évader, ni rompre les liens avec l’expérience, mais la logique est forcément une épure – la philosophie est une épure…

… c’est pour le philosophe qu’il est le plus difficile d’être chrétien. Mais je ne serais pas un chrétien authentique, au niveau de l’esprit, si je ne faisais pas droit aux exigences des philosophes.

Notre liberté est nécessairement conditionnée sans quoi elle serait la liberté même de Dieu. Elle n’est pas du tout fait, elle n’est pas un cadeau, elle est en devenir, elle est à faire. Mais est-ce qu’il n’est pas de l’essence de la liberté d’être créé par celui qui la possède ? Ce que nous appelons la contingence, c’est le fait que l’homme est en devenir de sens. Le monde en tant que monde, en tant qu’univers, cosmos, n’a pas de sens. Comment voulez-vous que je cherche ailleurs un sens que dans ma liberté en devenir qui est mon expérience même ?

…on nous le dit souvent : au fond, vous travaillez pour la récompense, ou alors vous vivez dans l’illusion. Pour moi, la véritable question est de savoir quelle est notre espérance. S’ils peuvent nous accuser d’un retour sur soi immoral dans l’espérance, ils ont raison. Mais si, à partir de la manière trop humaine dont j’aime ici-bas, mon espérance est d’aimer comme Dieu aime, si c’est l’espérance d’une gratuité totale, alors je ne les comprends plus.

La foi est une victoire de tous les instants sur un doute qui renaît sans cesse par-dessous. Elle est une certitude, oui, mais une certitude qui n’est jamais une évidence.

J’insiste beaucoup sur la phrase de Jésus dans l’Evangile de saint Jean : « Qui me voit, voit le Père ».

Dieu est peut-être bien mystère pour lui-même…

L’amour ne peut qu’avoir le désir de plus d’amour…

Dieu, finalement, c’est l’anti-Narcisse. Si l’éternité n’est pas figée, il faut bien admettre qu’il y a en Dieu du perpétuellement nouveau.

On n’est jamais sûr dans l’amour. Est-ce que l’amour serait encore amour s’il n’y avait pas d’incertitude ? On serait dans un monde de logique. 

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