Nombre total de pages vues

dimanche 10 août 2025

« Mahmoud ou la montée des eaux » d’Antoine Wauters (2021)

Les grandes idées de Hafez.

Il voulait changer le cours du fleuve, voilà. Il voulait faire quelque chose pour nous, pour nos cultures et notre économie (…)
C'était ça, sa grande œuvre, la colonne vertébrale et le pilier de la transformation socialiste : construire un barrage immense, le plus grand qu'ait connu le Levant.
Bref.
Du jour au lendemain, ce barrage fut de tous les discours et le lac artificiel, lui, vint à porter son nom. Mon lac, disait-il, le lac el-Assad (…)
Le fleuve allait quitter son lit pour apprendre « à lire, à écrire, ainsi qu'à faire l'amour autrement, avec les arbres et les champs».
C'était ses mots (…)
Ce projet de l'Euphrate allait tout résoudre.
Force, travail, prospérité.
Comme il en était fier, de se rendre maître et possesseur des eaux !

« Le monstre », « Le lion » : le père d'Hafez el-Assad, opposant au mandat français sur la Syrie, s'appelait en réalité Ali Sulayman el-Wahch. En raison de son combat contre la présence française, il fut rebaptisé Ali el-Assad. En arabe, Asad signifie « lion ». Wahch, lui, signifie « monstre ».

dimanche 3 août 2025

« Sergio Leone - Quelque chose à voir avec la mort » de Christopher Frayling (2000)

(…) Vittorio Mussolini (éditeur du magazine Cinema, et occasionnellement producteur et scénariste) et Benito, son père, qui préférait les comédies légères et les comédies musicales. Benito Mussolini aimait particulièrement "Laurel et Hardy'".

Comme son père avant lui (et, incidemment, comme Mussolini jusqu'à ce qu'il soit renvoyé), Leone fit sa scolarité dans une école des Pères Salésiens…


Son assistant ponctuel Tonino Valerii se souvient : "Sergio avait un anglais très limité sur le tournage (…) Il avait appris la phrase : « Watch me!» (…) Et il mimait les actions que les comédiens devaient faire - « You go from this to this » (« Vous allez d'ici à là») - Et il leur montrait comment ils devaient bouger, et ce qu'ils devaient faire. Il disait : « Clint ! Regardez-moi ! vous allez ici, vous allez là, et immédiatement - BANG BANG ! » « C'est un type petit et lourd, observe Eastwood, mais quand il joue ses rôles, vous comprenez ce qu'il veut. Et vous savez qu'il se sent grand et mince, un vrai « gunfighter » »


Lors de la première projection du Bon, la Brute et le Truand, Sergio Leone donna littéralement l'impression de vouloir livrer des clés, en exposant ce qui l'attirait dans un genre qu'il allait profondément transformer : "Mon attrait pour le western se résume tout simplement à cela. C'est le plaisir de rendre la justice, moi-même entièrement, sans avoir à demander la permission à qui que ce soit. BANG BANG ! »


À la fin de sa vie, lorsque Leone discutait de ses films, il évoquait presque systématiquement Charlie Chaplin dont il aimait à rappeler combien ce grand cinéaste l'avait influencé, et insistait sur leur perception identique d'une "Amérique qui était un monde d'enfants".


Les flash-backs de Leone existent, non pas par le goût d’une délicieuse petite pâtisserie (comme dans Proust), ni pour les exigences d'une enquête policière (comme dans les films noirs d'Hollywood), mais par un son : l'alarme d'un réveil, la plainte d'un harmonica ou la sonnerie incessante d'un téléphone.


Naples était encore - bien que déjà un peu sur le déclin - la ville raffinée qu'elle avait été avant que l'unification de l'Italie n'ait commencé à déplacer ce "raffinement" plus au nord.


(Il était fréquent à l'époque de voir deux réalisateurs sur chaque projet - un "artistique" et l'autre « technique".)


En 1915, il n'y avait pas moins de cinq cents cinémas à travers le pays, et quatre-vingts compagnies de production dans les quatre capitales du cinéma : Turin, Milan, Rome et Naples.


La vampira indiana (1913) de Roberti (…) "C'était le premier western italien sur pellicule, et il a été réalisé par mon père, avec ma mère jouant la Peau-Rouge." Il a été distribué la veille de Noël 1913.

(Le mot "péplum" est une version latinisée du grec "peplos", signifiant une tunique courte ou une robe portée dans l’Antiquité…)


(…) en 1924-1925, Quo Vadis? (Gabriele D'Annunzio, Georg Jacoby), une coproduction germano-italienne avec Emil Jannings qui jouait Néron (et pendant le tournage duquel un lion a réellement dévoré un figurant), scella la fermeture des studios UCI…


Roberto Roberti (…) En automne 1922, on lui proposa un travail à Berlin, pour remplacer Ernst Lubitsch (qui avait émigré à Hollywood) sur une série de films avec Pola Negri. Il avait acquis une réputation de "réalisateur de femme" (comme celle de George Cukor dans les années 1940 et 1950) (…). Mais, selon Sergio Leone, "ma mère dit qu'elle n'avait aucun désir de quitter l'Italie. Mon père n'a donc pas signé de contrat avec Pola Negri et je suis né à Rome’ » (…)

Il était devenu président de l'association italienne des réalisateurs de cinéma, une position clé dans l’industrie (…) "Un autre incident devait avoir un retentissement important sur sa carrière. L'Unione Cinematografica Italiana lui proposa d'adapter à l'écran le livre L'Amante del cardinale. Claudia Particella, un court roman écrit par le jeune Benito Mussolini. Ce dernier lui avait d'ailleurs personnellement soumis son livre pour qu'il en fasse une version cinématographique. Mais quand mon père l'a lu, il a dit haut et fort que l'ouvrage était très mauvais et qu'il ne souhaitait pas l'adapter. Bottai, qui était l'un des partisans les plus fidèles et loyaux de Mussolini, ne cessait de persécuter mon père et l'empêchait ainsi de trouver du travail." Le livre en question avait été écrit en 1910 alors que Mussolini était encore un journaliste précaire et le rédacteur d'un bulletin hebdomadaire appelé La Lotta di Class (La lutte des classes). Il date de la période où il était un jeune socialiste en colère, dont les attaques contre la toute-puissante Église étaient très virulentes. Dans son bulletin, Mussolini avait écrit que les prêtres étaient des "noirs microbes" à la solde du système capitaliste et supposé une relation amoureuse entre Jésus-Christ et Marie-Madeleine.

(…) depuis le milieu des années 1920, Roberto Roberti gravitait dans les milieux de gauche (…) À la fin des années 1930, Roberti (…) commençait à se tourner vers le communisme auquel, plus tard, il apporta son soutien total. Et nous savons qu'il fut dans l'impossibilité de trouver du travail - malgré son poste administratif supérieur à la tête de l'association des directeurs italiens - de l'hiver 1929 jusqu'à l'été 1939, les dix premières années de la vie de son fils (…)

Je savais qu'il avait déjà réalisé des films, mais c'était une idée abstraite pour moi.


Ce fut la première rencontre le Sergio avec le monde artificiel d'un plateau de tournage : J'avais environ douze ou treize ans quand je suis entré à Cinecittà. Mon père m'a emmené là-bas, pour le regarder travailler. Malgré la « purification » du fascisme, il avait réussi - d'une manière très étrange - à trouver un producteur pour La bocca sulla strada.


Le tournage du dernier film de Roberti (…) s’est déroulé pendant les derniers mois de la guerre, peu avant que Rossellini commence Roma citta aperta (Rome, ville ouverte) (…)

Sergio Leone, âgé de seize ans, fut engagé comme assistant non rémunéré (…)  En 1951, époque à laquelle les films aux gros plans brumeux rappelant l'ère du muet étaient résolument démodés tant aux yeux des critiques qu'à ceux du public, Il folle di Marechiaro sortit à la sauvette. Il resta deux jours au cinéma Galleria Umberto, une salle minable de Naples, puis disparut complètement.

À l'âge de soixante-dix ans, Vincenzo Leone avait fait son dernier film. Après cette triste fin d'une longue et brillante carrière, il quitta Rome et s'établit dans sa ville natale de Torella dei Lombardi en 1949, où il mourut dix ans plus tard (…) Sergio, lui, était resté à Rome.


Quand Sergio eut l'âge de faire ses premiers choix de carrière, Roberto Roberti, comme son père avant lui, en était arrivé à la conclusion que le cinéma n'était pas un métier digne d'intérêt. Il a donc encouragé son fils à étudier le droit au lycée, en tant que formation professionnelle. Sergio le fit consciencieusement jusqu'à l'âge de vingt ans. Comme il le rappelait, son père "avait peur du monde du cinéma qui était devenu trop différent de celui qu'il avait connu dans les années 1920. Une tout autre ambiance (…) C’était un homme du début du siècle. Il avait pris l'habitude de traiter les contrats sur parole. De son temps, la loyauté régnait. Une poignée de main valait toutes les signatures."


(…) la Commissione per l'epurazione delle categorie registi (…) comprenait parmi ses membres Mario Camerini, Luchino Visconti et Mario Soldati (…) Mario Camerini était son parrain. Mario Bonnard, réalisateur prolifique de films historiques et de comédies romantiques, était l'ami le plus proche de son père. Carmine Gallone (qui avait fait Scipion l'Africain [Scipione l'Africano, 1937) était aussi un intime de la famille (…) Ce fut Gallone, pour son retour au cinéma, qui donna à Sergio sa première chance d'être un assistant payé, et Bonnard, celle de diriger (…) Et puis, Sergio était le fils d'un réalisateur qui avait contribué à créer la première star du cinéma, et qui avait travaillé pendant quarante ans dans la plupart des genres populaires qui restaient l'épine dorsale du cinéma italien.


Leone a également hérité de son père un amour des objets antiques, et une fascination presque obsessionnelle de l'aspect et la texture des choses, qu'il a intégrés dans ses films.


ovationné à une époque où son père ne pouva partager ce succès. Il était mort trop tôt'".

"Mon père est mort comme un homme brisé


(…) un de ses premiers projets en tant qu'assistant rémunéré lui fut proposé par son vieux parrain Mario Camerini, cinquante-cinq ans, qui réalisait Il brigante Musolino (Mara, fille sauvage, 1950). Les acteurs princiipaux étaient Amedeo Nazzari et Silvana Mangano (…)

Camerini a ensuite présenté Leone à Luigi Comencini qui engagea le jeune homme sur La tratta delle bianche (La Traite des Blanches, 1952) (…) Grâce à ce film et avec l'aide de Comencini, Leone entrait dans les productions de Dino De Laurentiis…


Le réalisateur vétéran Mario Bonnard (né en 1889) était un ami proche de Roberto Roberti (…) Bonnard avait été un acteur idolâtré dans les années 1910 ; un réalisateur spécialisé dans les adaptations littéraires (Le Rouge et le Noir de Stendhal, I promessi sposi de Manzoni) dans les années 1920 (…)

Leone a passé beaucoup de temps avec Mario Bonnard tout au long des années 1950 (…) il vivait dans un appartement indépendant dans la maison de Bonnard (…) Au début des années 1950, selon Leone, Bonnard était le réalisateur de péplums le plus compétent et le plus expérimenté. Les metteurs en scène Riccardo Freda et Vittorio Cottafavi en produisaient aussi en série, mais ils n'avaient pas encore trouvé leur propre chemin.


Luciano Vincenzoni, un collaborateur clé de la plupart des plus beaux westerns de Leone, a également rencontré le jeune assistant à cette époque (…) « il était silencieux, très effacé et écoutait attentivement tout ce qui se disait. Ils lui demandaient toute une série de tâches subalternes, et il les faisait. Peut-être s'ennuyait-il un peu en compagnie de ces hommes beaucoup plus âgés. Il aurait sans doute préféré être avec des gens de son âge - peut-être avec une fille - ; mais il était là, parce que c'était son travail, pour gagner sa vie. À cause de son jeune âge, il a dû supporter beaucoup de tracas et d'humiliation de la part des anciens, mais tout cela l'a aidé à construire son personnage et à lui donner de la confiance - avec le temps - pour s'imposer aux autres... Cette période de sa vie - quand il a supporté tant de choses - l'a transformé en professionnel chevronné, compétent et formé comme peu d'autres réalisateurs. » (…)

Lorsque j'ai parlé à Sergio Donati en 1998 (…) « Il avait une sorte d'amertume et de frustration, parce que Bonnard et Fabrizi - ces vieillards cyniques - l'envoyaient acheter des cigarettes et trouver des filles aussi. Il savait où se procurer les deux (…) Il était déjà très sûr de lui et se comportait comme s'il était un des frères Lumière - c'était déjà pareil quand il n'était personne.


La première expérience de Leone en tant qu'assistant sur une production hollywoodienne expatriée eut lieu en 1950. II s'agissait du Quo Vadis ? de Mervyn LeRoy (…) Leone se souvenait du fonctionnement des Américains : "Quand il arrivaient, c'était comme une armée en mouvement. Le commandant en chef était le producteur... Tout était systématiquement cloisonné. Jusqu'à l'extrême... Si je demandais une épée à l'accessoiriste chargé des armes, il ne pouvait pas me la donner sans l'autorisation du chef-accessoiriste. Donc, il fallait chercher ce dernier. Quand on l'avait trouvé, celui-ci venait me voir. Je redemandais l'épée. Il la confiait au préposé afin qu'il puisse me la confier. Ce processus avait pris plus d'une heure ! "  (…) Quo Vadis ? était le plus grand film en Technicolor jamais produit en Italie, et l'alimentation électrique de Cinecittà était trop faible our faire fonctionner les centaines de lampes à arc indispensables à l'éclairage des images sur des pellicules très peu sensibles. Il fallut emprunter cinq énormes générateurs à la MGM en Angleterre, et en récupérer un du cuirassé italien Vittorio Veneto, récemment désarmé.


Mais il est certainement vrai qu'à la fin des années 1950, la réputation de Leone, un assistant qui économise l'argent en trouvant des solutions (en fait, qui était extrêmement attentif a dépenser le moins possible), était bien connue des agents de liaison qui représentaient les studios hollywoodiens dans des bureaux à Rome. Il pouvait travailler avec des équipes et des acteurs italiens ou américains (avec un interprète) indifféremment ; et, comme il l'a dit, "quand Wise et Walsh ont dit qu'ils étaient contents de mon travail, mon nom a commencé à circuler dans la communauté américaine ».


Sergio travaillait également avec Alexandre Trauner, l'un des plus grands décorateurs du cinéma, d'origine hongroise, surtout connu pour ses collaborations avec Marcel Carné, Billy Wilder et Orson Welles (pour qui il avait fabriqué des armures à partir de boîtes de conserve, parce que le budget d'Othello ne permettait pas d'en avoir de vraies). "Il était beaucoup, beaucoup plus qu'un décorateur. C'était un documentariste. Il avait analysé en détail à peu près toutes les églises de Belgique, pour en reconstruire une en studio... Trauner était un génie ! »


Dans son autobiographie, Charlton Heston refuse de prendre au sérieux les westerns de Leone, arguant que "les Américains sont les seuls à pouvoir les fabriquer". Il poursuit en disant : "Non, Sergio Leone n'est pas l’exception ; ce sont Clint Eastwood et Henry Fonda qui apportaient leur légitimité à ses westerns spaghettis." 


Ben-Hur marque la fin de l'apprentissage de Sergio Leone en tant qu'assistant réalisateur (…) Après avoir travaillé "sur une cinquantaine de films italiens et américains", Leone résumait les leçons qu'il avait apprises (…) : "Si vous êtes un assistant avec des idées qui vous sont propres (…) Je pense que pour devenir un bon réalisateur, il vaut mieux travailler avec les « talents médiocres» qu'avec les « génies du cinéma ». Avec ces derniers, vous avez toutes les facilités que vous pourriez demander, car leur but est la perfection, avec les premiers, vous devez utiliser votre cerveau, apprendre de toutes les imperfections, comme un moyen de façonner votre propre expérience et trouver votre propre voix. Nécessité est mère de l’invention."


Les réalisateurs les plus célèbres que nous associons à l'Italie dans les années 1960 provenaient tous de la même région du Nord : Antonioni (Ferare), Bertolucci (Parme), Fellini (côte de la Romagne) et Pasolini (Émilie-Romagne). 


Ces arènes circulaires dans lesquelles se déroule le dernier "règlement de comptes" dans tous les westerns de Leone, à partir de Et pour quelques dollars de plus, présentent une forte ressemblance avec le cirque d'Antioche de Ben-Hur.

L'apprentissage de Leone lui a fourni certainement un arsenal de ressources visuelles, ainsi qu'un certain cynisme vis-à-vis des techniques de prédilection d'Hollywood pour raconter une grande histoire.


Alors que l'usine de cinéma italienne était éreintée sur le circuit des festivals, elle était aussi considérée avec condescendance à Los Angeles comme un cimetière d'éléphants pour les talents expatriés.

Cependant, ce fut le succès des Derniers Jours de Pompéi qui donna a Leone l'opportunité de diriger un premier film en son nom, Il colosso di Rodi (Le Colosse de Rhodes), et de rompre avec la corvée de remplacer des réalisateurs chevronnés qui connaissaient son père (…)

Malheureusement, comme cela s'était produit si souvent dans le passé, travailler avec l'un de ses grands héros cinématographiques [Robert Aldrich] s’est révélé très décevant pour Leone (…) Le chef de la production italienne s'appelait Borgogni. (…) Après avoir lu le scénario définitif, il tombe sur Aldrich, qui lui demande son avis. Borgogni lui répondit: « Je pense qu'il y a une petite erreur dans la conception du film. Signor Aldrich, Sodome et Gomorrhe étaient en fait deux villes distinctes. Pas une ville avec un nom double. Mais dans votre découpage, Sodome et Gomorrhe sont devenues une seule et même ville ». Fou de rage, Aldrich l’a viré (…)

Alessandro Continenza rappelle que « ce grand cinéaste américain avait un avion privé pour visiter le Maroc, et tous les deux ou trois jours il venait voir les rushes qui avaient été tournés - ce va-et-vient entre Rome et le Maroc donnait l'impression qu'il venait s'occuper de son potager privé » (…)

Pour la séquence de la charge de cavalerie, le réalisateur a apparemment demandé un millier de cavaliers marocains et les a tous emmenés dans le désert ; et bientôt, les sabots des chevaux, remuant le sable, créèrent une énorme quantité de poussière qui masquait tout. Aldrich arrêta donc de filmer et ordonna de "mouiller le sable afin d'empêcher la poussière de s'élever ! Tonneau après tonneau l'eau a été déversée dans le désert. Naturellement, cette eau, après une demi-heure sous un soleil brûlant à 50 °C, s'est rapidement asséchée. Nous avons donc dû faire appel à des techniciens spéciaux, qui ont résolu le problème avec un mélange d'essence et d'eau - qui, heureusement, a tenu pendant quatre ou cinq heures. Ce simple épisode a coûté au film 500 millions de lires de plus. Et ce fut loin d'être le seul » (Goffredo Lombardo) (…)

Comme Lombardo l'a dit à l'époque: "Ils nous ont traités avec un certain dédain, comme si nous étions des perdants, d'une caste inférieure. Quand la culture cinématographique italienne a commencé à exister, ils ont tout fait pour la tuer, et je dois dire qu'ils ont réussi. »


Tous les éléments pour la réussite de sa carrière dans le cinéma italien traditionnel semblaient réunis. Et précisément à ce moment-là, l'économie du cinéma s'est effondrée (…)

L’industrie cinématographique italienne avait connu des années difficiles auparavant, mais, rétrospectivement, aucune ne semblait aussi mauvaise que 1963 (…) Après les fiascos de Sodome et Gomorrhe et Cléopâtre, les Américains avaient abandonné les studios italiens.


Hollywood, quant à lui, produisait de moins en moins de westerns. En pourcentage de toutes les sorties nord-américaines de films, les westerns avaient diminué, passant de 34% en 1950 pour ne plus représenter que 9% du total en 1963 ; d'environ 150 films à une quinzaine. Et, comme le soulignait la critique new-yorkaise Pauline Kael, ces westerns misaient moins sur la vitalité des histoires que sur la présence de quelques acteurs vétérans pour les incarner.


Si Leone était prêt à travailler avec un budget minuscule (…) et à garantir six semaines de tournage, Papi et Colombo produiraient aussi Il Magnifico Straniero (…) Il y aurait cependant grande différence, Rod Cameron, la vedette canadienne de Pistole non discutono, serait plus payé que tout le casting de Il Magnifico Straniero réuni. Leone, qui deux ans auparavant travaillait sur des superproductions, faisait un retour en force dans la pauvreté. Même ainsi, il y avait un problème, comme le rappelle Tonino Valerii : "Les producteurs ne voulaient pas que Leone réalise le film, parce qu'ils n'avaient pas vraiment confiance en ses capacités ou ne le tenaient pas en très haute estime. Il avait la réputation d'être maniaque sur le plateau, pas sûr de lui et plein d'idées coûteuses. » (…)

Mais depuis que des séquences du Lawrence of Arabia (Lawrence d'Arabie) de David Lean y avaient été tournées au printemps 1962, le désert d'Almería était un lieu de plus en plus attrayant pour les cinéastes du monde entier (…)

Ainsi, le script en anglais a été envoyé à Hollywood ; mais l'agent de Fonda n'a même pas pris la peine de le lui montrer, répondant par retour que son client "ne pourrait pas le faire".

Sergio (…) a dit : « Cet homme, avec le regard absent, dans un film lamentable sur des vaches ? » (…) À l'époque, Eastwood valait 15 000 $. Et c'est ce qui a convaincu les producteurs que c'était la bonne personne. Coburn voulait beaucoup plus (…)

« C'était cette nonchalance qu'on remarquait le plus. Quand nous travaillions ensemble, il était comme un serpent, faisant toujours une sieste à cent cinquante mètres de distance, lové sur lui-même, endormi à l'arrière de la voiture. Et puis il se déroulait, se dépliait et finalement s'étirait... Quand vous mélangez cette attitude avec l'explosion et la vitesse des coups de feu, vous avez le contraste fondamental qu'il nous offrait. » (…)

Selon Eastwood, certaines de ces innovations ont surgi, car Leone ne connaissait pas les règles cinématographiques admises a Hollywood. Par exemple, le code Hays avait longtemps notifié qu'un personnage touché par une balle ne pouvait pas être dans le même plan que le tireur et son arme : l'effet était trop violent (…)

Avec un budget restreint, les choses étaient plutôt simples : "Nous devions tous « faire » derrière les arbres, vous savez, se souvient Eastwood. Il n'y avait même pas de sanitaires." (…)

En tant que responsable de la postproduction chez Jolly, Tonino Valerii a été le premier à voir tous les rushes (…) « Personne ne semblait avoir foi dans la production, ni aucune certitude que Leone savait ce qu'il faisait. » (…)

Cette instabilité imprégnait l'ensemble du tournage (…) Elle ébranlait la confiance en soi de Leone (…)

Et les procès commencèrent avec Kurosawa, qui était dans son droit (…) « Pour une poignée de dollars est le seul de mes westerns qui ne m'a rien rapporté. Pire encore, il m'a coûté beaucoup d'argent. Après cette expérience, j'ai décidé de produire moi-même mes films." (…)

Sergio Leone accordait beaucoup d'importance au son, environ 40 % du film.. Sergio Donati : « (…) le son caractéristique des coups de feu (…) Il a envoyé l'ingénieur du son dans une vallée près de Rome, où il n'y ni routes, ni bruits gênants (…) Tout a été enregistré dans un cadre naturel, car il voulait l'air et l’atmosphère."

Ennio Morricone :  « Je venais à peine d'entrer chez Ennio quand il m'annonce que nous étions à l’école ensemble. Je pensais qu'il bluffait, que c'était une sorte blague. Pas du tout. Il m'a montré une photographie de la classe de 5e élémentaire (dernière année avant le secondaire)… » (…)

Morricone et Leone espéraient réaliser beaucoup plus d'interactions entre musique, sons et images visuelles que dans la norme hollywoodienne, car ils pensaient que chaque scène, chaque silence et chaque son quels qu'ils soient devaient avoir une « raison d'être ».

Morricone : « Rien à voir avec l'histoire américaine, vraiment, et pour souligner l'ironie et la folie de ces personnages italiens, j'ai créé un son "italien". En partie grâce à l’utilisation d'instruments de musique originaux qui étaient inhabituels dans un contexte westernien : je voulais mettre au point une musique plus insistante, plus troublée, plus directe. J'ai donc utilisé la guimbarde sicilienne et le maranzano, un instrument méditerranéen qui est également utilisé en Afrique du Nord et en Asie (…) Je voulais mettre tout cela en musique : des lieux isolés, loin du bruit et de l'agitation des villes (…) C’est pourquoi le sifflement - en tant qu'expression de la solitude - semblait si approprié."


« Le charme de l'enfant repose en bonne partie sur son narcissisme, sa suffisance à soi-même et son inaccessibilité, idem pour l'attrait de certains animaux qui semblent ne pas soucier de nous comme les chats et les grands prédateurs, et même le grand criminel et l'humoriste qui forcent notre intérêt, lorsqu'ils sont présentés de façon poétique, par la logique narcissique avec laquelle ils s'entendent à tenir loin de leur moi tout ce qui le diminuerait. C'est comme si nous les enviions d'avoir maintenu un état psychique de félicité, une position libidinale inattaquable que nous avons nous-mêmes abandonnée depuis longtemps. »

(Sigmund Freud, Pour introduire le narcissisme, 1914)


Vincenzoni continue : "Sergio a grandi à Trastevere, et il a joué avec ces brutes machos, ces enfants arrogants et violents, qui vous marchent sur les pieds pour vous provoquer. Et il avait transporté ces souvenirs d’enfance dans l'Ouest!" 


Fulvio Morsella se souvient (…) « Quand il avait des idées de scènes, il appelait un scénariste et discutait avec lui de tout ce qu'il avait dans la tête. Il lui mimait les scènes. Et ils préparaient le film ensemble. Cependant, il faut noter que Sergio avait une très mauvaise grammaire - il écrivait très mal - et qu'il devait donc compter entièrement sur les scénaristes pour mettre les choses sur le papier. »


Alors, imprimez la légende. John Ford, dans un entretien avec Peter Bogdanovich, a expliqué ce qu'il voulait dire par cette « chute » dans L'Homme qui tua Liberty Valance : "Beaucoup de gens étaient censés être de grands héros, et vous savez foutrement bien qu'ils ne l'étaient pas. Mais c'est bon pour le pays d'avoir des héros à admirer." Cependant, l'embellissement des faits par Sergio Leone n'avait pour but que de confirmer cette affirmation "vous savez foutrement bien qu'ils n'étaient pas des héros" et d'impressionner son auditoire. 


Leone admirait beaucoup Boetticher, un goût qu'il partageait avec les critiques des Cahiers du cinéma. Il a particulièrement apprécié la combinaison du pessimisme et d'un humour franc, ainsi que le contraste entre le stoïcisme du héros impassible et les méchants colorés et bien campés.


Au sujet de Et pour quelques dollars de plus, Mann observait : "Dans ce film, l'esprit véritable de l'Ouest fait défaut. Nous racontons des histoires d'hommes simples, pas d'assassins professionnels ; des hommes simples poussés à la violence par les circonstances (…) Les personnages de Et pour quelques dollars de plus ne rencontrent le long de leur route que le « noir «  de la vie. Les mauvais. Et la laideur. » (…)

Dans cette même séquence, on voit Mortimer savourant un simple repas de soupe aux légumes et de pain blanc dans une taverne miteuse. La preuve que le plaisir de manger deviendrait désormais un élément de base de la réalisation cinématographique de Leone (…)

Luciano Vincenzoni se souvient comment Sergio Leone était "concerné par tout" sur ce film, « chaque petit détail", de la construction du décor jusqu'aux fines distinctions entre les modèles du Colt Navy : "C'est un homme qui aime les objets." Il collectionne l'argenterie romaine du XVIIIè siècle, il collectionne les meubles et les peintures, et il a eu une grande éducation visuelle. » (…) En préparant Et pour quelques dollars de plus, il feuilletait des catalogues illustrés d'armes à feu du Far West avec Carlo Simi, qui se souvient que :"Sergio savait tout à leur sujet - époque, modèle, marque ».

(…) Luis Beltran (cascadeur et directeur de casting local) était l'ami du maire (…) « Tout le monde se battait pour apparaître dans ces films. J'ai été poignardé, deux fois, dans l'estomac par des gitans, dans des désaccords pour avoir qui y serait, qui n'y serait pas. (Il montre fièrement ses cicatrices comme s'il s'agissait de blessures de guerre) (…)

Depuis Pour une poignée de dollars, Morricone était devenu un compositeur de films plus expérimenté, avec neuf nouveaux films à son actif (…)

Cela a fait de Et pour quelques dollars de plus le plus grand succès cinématographique jamais réalisé en Italie, battant La dolce vita de plus de 50%. Sur le marché intérieur, c'est le film qui fit le plus grand nombre d'entrées ; enregistrées, et il est resté dans cette position jusqu'en 1971 (avec Pour une poignée de dollars en deuxième position) (…)

1965 a été une année charnière dans la vie de Leone. Et pour quelques dollars de plus a été tourné entre la mi-avril et la fin juin, et a commencé sa carrière en fanfare à l’automne (…) Symboliquement, 1965 fut aussi l’année où Sergio se débarrassa du pseudonyme de « Bob Robertson » et réalisa fièrement un film sous son son propre nom. Enfin.


Dès lors, selon Vincenzoni, sa relation avec Leone a commencé à tourner au vinaigre. Leone croyait ardemment à la mystique du réalisateur, et il semble s'être senti diminué, son pouvoir "usurpé" par son écrivain. "Et tout ça parce que j'ai vendu le film." De plus, Vincenzoni en possédait maintenant une partie.


Le titre I due magnifici straccioni (Les Deux Magnifiques Vagabonds) a été changé juste avant le début du tournage. Vincenzoni a littéralement inventé le nouveau titre et Leone l'a adoré (…)

Le picaresque et la commedia dell'arte étaient des points de référence utiles, estimait-il, car "ils ont en commun de ne pas avoir de vrais héros, représentés par un seul personnage » (…)

« J'avais lu quelque part que 120 000 personnes sont mortes dans des camps du Sud comme Andersonville. Et je n'ignorais pas qu'il y avait aussi des camps dans le Nord. On entend toujours parler du comportement honteux des perdants, jamais des gagnants. J'ai donc décidé de montrer l'extermination dans un camp du Nord. »

(…) Lorsque Hollywood produisait des "westerns" sur l'époque de la guerre civile, les histoires avaient tendance à concerner le trafic d'armes, le marchandage de cargaison d'or ou la collecte de renseignements. En d'autres termes les problèmes d'approvisionnement plutôt que les batailles... et certainement pas les camps de concentration (…)

En ces termes, Le Bon, la Brute et le Truand était particulièrement hérétique (…) La guerre civile est quelque chose de très sale qui se passe à l'arrière-plan, devant laquelle les aventures surréalistes des personnages centraux peuvent se dérouler et, dans une certaine mesure, être jugées. C'est la guerre de quelqu'un d’autre ; comme la Seconde Guerre mondiale pour l'adolescent Leone, qui a grandi à Rome (…)

Quand la séquence grandiose, dans laquelle un pont en bois de cent quatre-vingts mètres de long devait être dynamité, fut sur le point d'être tournée, l'équipe des effets spéciaux l'a accidentellement détruit avant que les caméras ne soient prêtes…


Sergio Donati (…) : "Pour un homme qui n'avait lu que très peu de livres, Sergio était très intelligent... Voyage au bout de la nuit était la lecture de chevet de Luciano Vincenzoni. Il le connaissait par cœur et il avait l'habitude de lire des extraits de ce livre à Sergio - qui n'en avait jamais lu un mot. Absolument. Vincenzoni n'arrêtait pas de s’y référer et de le lui citer encore et encore. À partir de 1968, Sergio a été traité par les cinéastes en France comme s’il avait un doctorat honorifique en lettres, et quand on lui demandait : « Qu'est-ce que vous lisez le soir avant de dormir ? », il répondait toujours : « Céline, Voyage au bout de la nuit. - Oh, s'exclamaient les intervieweurs !» Vincenzoni est d'accord avec ça : il se souvient d'avoir vu Leone tenant un exemplaire du livre dans une émission de télévision française en 1968, et d'en être resté bouche bée, incrédule.


En développant l'idée originale de Vincenzoni en scénario, Leone s'est également tourné vers le duo de scénaristes de comédie Agenore Incrocci et Furto Scarpelli, qui s'était fait un nom collectif (Age et Scarpelli) avec une série de films autour du célèbre acteur comique Toto au début des années 1950. Il avait depuis attiré l'attention internationale avec deux films pour le réalisateur Mario Monicelli : I soliti ignoti (Le Pigeon, 1958) et La Grande Guerre, coécrit avec Vincenzoni (…) Comme Leone l'a rappelé, la contribution de ces écrivains a été "un désastre. Il n'y avait que des blagues et rien d’autre. Je ne pouvais rien utiliser de ce qu'ils avaient écrit. Ce fut la plus grande imposture de ma vie. J'ai dû reprendre le scénario avec des écrivains qui ne seraient pas crédités". Sergio Donati devait devenir le principal écrivain fantôme, et son souvenir de la "collaboration" avec Age et Scarpelli correspond, pour une fois, à celui de Leone…

II [Eastwood] lui a fallu environ cinq secondes, en voyant la prestation d'Eli Wallach, pour se rendre compte que celui-ci ne serait pas son "porteur d'eau". Et qu'au contraire, il serait le faire-valoir de Wallach (…) En d'autres termes, à mesure que les paysages des films de Leone s'étendaient, Clint pouvait y voir sa place se rétrécir (…)

Il est clair qu'une grande partie de jalousie professionnelle s'est glissée dans la relation Leone-Eastwood. Tonino Valerii, l'un des assistants de Leone, devait se rappeler que "Sergio n'était pas très enclin à reconnaître les contributions des autres". Peut-être Leone s'est-il rendu compte que Clint Eastwood avait l'ambition de devenir réalisateur lui-même (…)

Wallach avait récemment écrit un article intitulé "In All Directions", sur les difficultés rencontrées par un diplômé de l'Actors' Studio sur des plateaux de tournage où la préparation et les répétitions sont subordonnées à la logistique technique (…) « Mes racines sont essentiellement sur la scène", il a donc eu la chance que ses premières expériences dans l'industrie cinématographique aient été avec Elia Kazan (Baby Doll, 1956) et John Huston (Les Désaxés), des metteurs en scène qui ont compris comment construire une prestation par la discussion et une grande attention aux acteurs (…) « Puis, après Les Sept Mercenaires (1960), où j'étais un chef de bande aux dents en or et barbu, on m'a offert encore plus de rôles de bandits, tous les types de bandits. » (…)

Wallach s'aperçut d'un autre danger dans ce genre de rôle : la surenchère de la violence. "Après The Lineup (La Ronde du crime, 1958) réalisé par Don Siegel où je tue cinq personnes, je me suis dit « Oh, mon Dieu » ; il me semble que les films mettent beaucoup trop l'accent sur les balles, les armes, les revolvers, la violence, la violence et encore la violence. Après ce film, j'ai senti que je devais m'éloigner du cinéma (…) J'étais prêt à retourner au cinéma, Et quand j'en aurai assez de la bassesse dans les films, je reviendrai jouer le gentil, le chevalier rayonnant, sur la scène (…) En Italie, le seul homme qui a la main sur la barre dans les films, c'est le réalisateur... Et Leone est un « homme-film ». Il dort film, il mange film. C'est un homme nerveux. Ses mains s'ouvrent et se ferment en permanence pendant qu'il filme. Il est tendu, mais il a une sorte de touche magique (…)

J'étais très reconnaissant envers Clint (…) Il ne parlait pas beaucoup sur le plateau, mais il est très intelligent et observateur. » (…)

Tonino Delli Colli (…) directeur de la photographie, poste qu'il devait conserver pour le reste de la carrière du réalisateur : "Nous avions un point de départ unique, et c'était un principe esthétique : dans un western, on ne peut pas mettre trop de couleurs. Nous avons opté pour des nuances subtiles - noir, marron, blanc cassé - parce que les bâtiments étaient tous en bois et les couleurs de la campagne étaient toutes assez vives. Nous aimons tous les deux les nuances sable" (…) Ils ont eu des conversations animées sur les très gros plans complexes filmés à la fin de la journée de travail, après que les scènes principales et les plans généraux ont été mis en boîte (…)

Le rythme du film lui semblait plus lent par rapport aux deux premiers Dollars suivant une allure presque hallucinatoire : dilatation ou étirement du temps, ponctuée d'interruptions soudaines. Avec la musique de Morricone, l'expérience ressemblait à une longue soirée à l'opéra, ou peut-être aux conséquences d'une prise de drogues hallucinogènes. Leone en consommait-il ? C'est le premier de ses films à être "amputé", non pas pour une quelconque pruderie, mais à cause du rythme. Il a été réduit de 182 minutes à 148 ("pour augmenter les ventes de pop-corn", disait Leone avec une certaine amertume) (…)

Sergio Donati (…) : « Et il possédait aussi de belles choses - argenterie et meubles - et tous les après-midi, quand nous travaillions ensemble à Rome, nous allions au Monte di Pietà, le préteur sur gages de l'État, parce qu'il achetait des bijoux à la vente aux enchères. Et je lui ai dit une fois : « Mais ces bijoux sont pleins de sang et de larmes. - Je m'en fous », a-t-il répondu. » (…)

Le "son" AEAEAEA a été mixé avec des sons "naturels" simulés dans un montage sonore inhabituellement complexe (…)

Donati (…) "J'ai appris beaucoup à cette époque... mais Sergio pouvait être un sale fils de pute. Insensible. J'ai donné six mois de ma vie au montage, au doublage et à tout le reste. J'avais presque divorcé à cause de ce film. Je m'attendais à ce que Sergio me dise au moins : « Sergio, j'ai mis ton nom sur le générique de fin.» Rien. Je n'ai pas demandé. Pour lui, j'avais été payé. Et aussi, je le sais, parce que je le connaissais très bien, il était un peu irrité par le fait que j'ai écrit entre-temps pour quelqu'un d’autre"


Le tournage et le montage du Bon, la Brute et le Truand avaient été suivis par Giuseppe Colizzi, un écrivain et journaliste de quarante ans (…) Terence Hill et Bud Spencer, que Colizzi a été le premier à réunir dans le duo de comédie "du cerveau et du muscle" (…) Au cours de la planification de ses westerns, Colizzi avait découvert un livre de série noire (ou plutôt un "giallo", puisqu'en Italie ils avaient des couvertures jaunes au lieu des noires françaises). The Hoods avait été écrit par Harry Grey, un journaliste spécialisé dans le crime, d’après son passé d’ex-gangster (…)

Harry Grey, dont le vrai nom était Herschel Goldberg, avait initialement publié en 1952 l'histoire d'un gang de petits voyous du Lower East Side de New York à l'époque de la prohibition (…) Le livre prenait fin avec l'abrogation de la prohibition en décembre 1933, et la fuite du personnage central (surnommé "Noodles"') échappant à la police et abandonnant le gang, après avoir trahi ses trois amis d’enfance (…)

Et sur cette histoire se superposerait le rêve de gloire et de richesse de voyous sortis du caniveau, mythifié par des films tels que Little Caesar (Le Petit César, M. LeRoy), The Public Enemy (L'Ennemi public, W. Wellman) et Scarface (H. Hawks), tous les trois de 1931, après le départ de ces gangsters de la première génération.

La grande différence serait qu'au lieu de gangsters irlandais (Cagney) ou italiens (Robinson, Muni), son histoire se concentrerait sur les gangsters juifs qui sont arrivés d'Europe de l'Est et ont grandi dans des immeubles autour de Delancey Street (…)

Donati (…) : « C’était une histoire tellement américaine, tellement « East Side American », que j'ai dit à Sergio : « C'est très difficile pour un Italien » - et Sergio n'était pas très cultivé. Il avait juste une culture cinématographique exceptionnelle : il savait tout sur le cinéma. »


Après s'être adonné à la poésie pendant un temps, puis avoir été assistant de l'ami de son père, Pasolini, Bertolucci fut inspiré par la Nouvelle Vague (Godard en particulier) qui l'amena à explorer dans ses propres films les relations entre le politique et l'individu, entre Marx et Freud. Sergio Leone venait aussi d'un milieu de gauche mais il avait depuis longtemps choisi d'exprimer ses désillusions au travers du cinéma populaire. Contre toute attente, ces deux hommes découvrirent qu'ils avaient beaucoup en commun (…)  « Je m'entendais très bien avec Sergio parce que notre rapport aux « modèles » cinématographiques était le même. Chez moi, ça venait de mes lectures de Bazin et des théoriciens français du cinéma : chez lui, c'était plus direct - mais à la base, la manière dont je regardais les westerns américains quand je me rendais à Parme à bicyclette ne devait pas être très différente de la manière dont Leone les voyait dans un cinéma du Trastevere. La fièvre qui embrasait nos regards devait être à la même température."

Leone engagea Bertolucci et Argento pour écrire le script de son nouveau film Il était une fois dans l’Ouest (…) Sergio Leone : « (…) Très vite Dario Argento s'est senti dépassé. Avec Bernardo, nous ne cessions plus de nous référer au cinéma américain que nous adorions. Et c'est devenu comme un match de tennis entre lui et moi (…) Il faut préciser qu'à cette étape de la confection d'une histoire, je n'écris rien. Ce ne sont que des conversations au cours desquelles je me fais toujours l'avocat du diable. Je ne veux rien rédiger. Je craindrais d'être satisfait trop facilement en me relisant. Je préfère avoir la liberté de tout remettre en question avant la touche finale"

D'après Leone, ce processus dura à peu près deux mois. Bertolucci l'estime à trois ou quatre, Argento six.

(…) Johnny Guitar de Nicholas Ray (1954) (…) d’après Bertolucci a fourni le plus de références explicites à  ; The Searchers (La Prisonnière du désert, 1956) de John Ford qui inspira le "massacre familial" au ranch McBain ; tous ces film sur la construction de la voie ferrée comme Le Cheval de fer et Pacific Express ; L'Homme qui tua Liberty Valance de John Ford (1962) pour la résistance de l'homme de l'Ouest frustre face aux pressions politiques (…) Il était une fois dans l'Ouest se transformait en une anthologie de scènes éculées et de clichés visuels qui représentaient l'histoire du western américain dans sa globalité depuis l'époque du cinéma muet jusqu'aux westerns cultes, "psychologiques", "néoclassiques" des années 1950 et début des années 1960 (…) la scène où les mains du tueur se substituent délicatement à celles du barbier en train d'aiguiser son rasoir se trouve dans Murder, Inc. (Crime, societé anonyme, 1960) de Burt Balaban et Stare Rosenberg. À un certain moment, Frank s'exclame : "Je n’ai aucune confiance en quelqu'un qui porte à la fois une ceinture et des bretelles, en quelqu'un qui doute de son pantalon." La réplique est empruntée presque mot pour mot au Gouffre aux chimères (Ace in the Hole puis The Big Carnival, 1951) de Billy Wilder. Sergio Leone lui-même, comme le fait remarquer Eli Wallach, appartenait à la catégorie des hommes qui ne pouvaient pas faire confiance à leur pantalon, ce qui explique sans doute pourquoi la réplique était restée gravée dans son esprit. De Letter from an Unknown Woman (Lettre d'une inconnue, 1948) de Max Ophuls vint peut-être l'idée d'un flash-back ou souvenir qui "apparaît par fragments" et qui prend tout son sens uniquement dans la scène du duel final qui oppose les deux principaux protagonistes (…)

Il est surprenant que le nom de "Sweetwater" (La source fraîche), site du ranch McBain, ait été emprunté au film muet de Victor Sjöström The Wind (Le Vent, 1928), récit épique situé en plein désert autour d'un point d'eau du même nom (…)

Mais, avant tout, le but de l'exercice était de donner au public, dans une certaine mesure, l'impression qu'il regardait un film qu'il avait déjà vu quelque part - mais uniquement pour le surprendre quand il se rendrait compte qu'il n'avait jamais vu cette histoire-là racontée précisément ainsi. On trouvait de nouveau le mélange de reconnaissance et de surprise, de clichés visuels et de trompe-l'œil dont Leone admettait qu'il était la clé de son emprise sur le spectateur (…)

"John Ford était un cinéaste dont j'admirais énormément le travail, plus que tout autre réalisateur de westerns. Je peux presque affirmer que c'est grâce à lui que j'ai pu concevoir l'idée de faire des westerns moi-même. J'ai été très influencé par l'honnêteté de Ford et sa franchise. Parce qu'il était un immigrant irlandais débordant de gratitude envers les États-Unis. En général, ses personnages principaux regardent tous vers un avenir meilleur (…) Ford était aussi plein d'optimisme alors que moi, au contraire, je suis foncièrement pessimiste. » (…)

À propos de son Fort Apache (1948), Ford avait fait la remarque suivante : "Il est bon pour le pays d'avoir des héros que l'on puisse admirer." Mais à l'époque où il réalise L'Homme qui tua Liberty Valance en 1962, la réplique célèbre du rédacteur en chef du journal - « C'est ça, l'Ouest, monsieur. Quand la légende devient réalité, imprimez la légende » - dénote à l'évidence une approche beaucoup plus sombre (…)

Enfin, tandis que les autres déroulent leur partition en se pavanant puis tirent leur révérence, Jill McBain, elle, a enfin un rôle utile à jouer : donner à boire aux cheminots assoiffés. Alors que les mythes s'évanouissent, elle se révèle. Pour la seule et unique fois de sa carrière de réalisateur, Leone place une femme au cœur de l'action. L'univers des films Dollars et de leurs avatars était exclusivement masculin (…)

Leone avait eu l'intention de montrer Clint Eastwood dans une scène de lit en compagnie d'une femme mexicaine, dans une courte séquence du Bon, la Brute et le Truand - mais bien qu'il l'ait tournée et que des photos de plateau aient été publiées, la séquence fut coupée dans le montage final. La même chose se produisit pour une séquence de Et pour quelques dollars de plus dans laquelle Clint Eastwood se retrouve au lit avec une réceptionniste. Le héros iconique intériorisé aurait été pour ainsi dire diminué s'il avait révélé sa vulnérabilité en cette circonstance (…)

Mais il semblerait que Leone n'ait pas du tout "inventé" cet aspect-là de l'histoire. Cela revenait à Bernardo Bertolucci: « Je suis encore très fier de ma contribution à ce développement de l'histoire. J'ai convaincu Leone d'introduire un personnage féminin, pour la première fois. D'accepter ce personnage et de le prendre au sérieux. J'ai travaillé dur pour ça. » (…)

"D'un certain point de vue, c'est optimiste - car une nation nouvelle est née... La naissance a été difficile mais toute cette violence lui a donné de la grandeur. D'un autre point de vue, c'est pessimiste, sans aucun doute - parce que l'Ouest a ouvert la voie au grand matriarcat américain, à la vénération de la Mère. L'Amérique s'est trouvé un fondement et l'arrivée du chemin de fer marque le début d'un monde sans couilles. » (…)

Dario Argento (…) dès 1969, il se sentit prêt à faire ses débuts en tant que réalisateur (…) « Quand j'ai démarré mon premier film, j'ai suivi les leçons de Sergio et je me suis entouré de débutants parmi lesquels le directeur de la photo Vittorio Storaro... Cependant, pour la musique, j'ai fait appel à Ennio Morricone. C'était aussi quelque chose que j'avais appris de Sergio. » (…)

On peut voir ce film comme la vraie première œuvre postmoderniste à être créée par un cinéaste à destination des cinéastes. Ça commence par Le train sifflera trois fois et Le Cheval de fer et ça continue avec L'Homme des vallées perdues, La Vallée de la peur (Pursued, R. Walsh, 1947) et La Prisonnière du désert (…) les séquences du milieu font référence à Winchester'73 (le comptoir commercial), L'Homme des vallées perdues de nouveau (l'enterrement), Johnny Guitar (la maquette en bois du chemin de fer), et L'Homme aux colts d'or (Cheyenne en quête d'une mère) (…) Tout compte fait, il y avait à peu près trente références à d'autres westerns hollywoodiens…


D'habitude Leone n'était pas au meilleur de sa forme quand il rencontrait un acteur charismatique pour la première fois et son manque de confiance le faisait paraître cassant et manquant d'assurance. 

Léone rajoutait : (…) « Et puis Fonda n'est pas un saint. Il s’est marié cinq fois. Sa dernière épouse s'est défenestrée en essayant de le tuer. Il a enjambé son cadavre pour aller jouer au théâtre son rôle dans Mister Roberts comme si rien ne s'était passé (…) Peu importe ce que je lui faisais endosser - même les vêtements les plus éculés -, il gardait l'allure d'un prince avec sa démarche pleine de noblesse et son port altier... Sa manière de placer un pied devant l'autre produit un effet esthétique inégalé." Mickey Knox se rappelle ces séances avec amusement : "Je n'oublierai jamais Sergio et Henry essayant de trouver le bon chapeau pour Fonda. J'étais avec eux. Ils ont essayé des centaines de chapeaux pendant des heures."

(…) Mickey Knox, qui se trouvait sur le plateau en tant qu'interprète et traducteur de la version anglaise, se rappelle que "la journée moyenne de travail allait de quinze à dix-sept heures…» (…)

"Normalement, dit Leone, j'ai besoin de peu de répétitions pour une prise - quatre ou cinq - pour m'assurer que la scène sera bonne. Avec Fonda, j'aurais pu en faire moins mais je finissais toujours par une douzaine. Je ne m'en lassais jamais ; et ce n'était pas une adulation feinte. Je risquais de l'exténuer [Fonda avait soixante-trois ans à l'époque] et de me fatiguer moi-même, mais la tentation et le plaisir de travailler avec lui étaient trop grands. »

(…) Leone disait de Bronson : "Il est la Destinée... Une sorte de bloc de granit, impénétrable mais marqué par la vie." (…)

Leone précise qu'en 1967, les producteurs de la Paramount « voulaient le faire interner » pour avoir suggéré le nom de Bronson de préférence à "toutes les stars disponibles".

(…) Claudia Cardinale  : « chaque fois que j'avais une scène, il mettait ma musique, celle qui correspondait à mon personnage. Cela m'aidait énormément à me concentrer, à m'abstraire du monde réel » Cardinale avait déjà pris connaissance de la musique du film quand Leone l'avait rencontrée, magnétophone à la main, pour lui mimer le rôle qu'il lui destinait : "Pendant qu'il parlait, nous écoutions la musique du film. Et à l'audition, j'ai compris chaque instant du film, plan par plan, avant même de les voir à l’écran. » (…)

Cependant, la première scène de Cardinale (en fait, la toute première du tournage en avril 1968) l'emmena à Cinecittà. Leone s'y trouvait moins dans son élément. C'est la scène où, dans un lit suspendu, Frank est allongé au-dessus de Jill dénudée qui lutte désespérément pour sa survie. ("Toi alors, tu es une drôle de salope. Tu es le genre de fille qui ne reculerait devant rien pour sauver ta peau. - C'est exact, Frank.") Voilà une scène très inhabituelle pour débuter un long tournage (…) "M. Leone me présenta à Henry Fonda. Nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Nous nous sommes serré la main et avons échangé les formules de politesse habituelles « Comment allez-vous? » et peu de temps après, nous nous retrouvions au lit ensemble en train de faire l'amour avec passion devant une caméra. » (…)

Sur le plateau, Leone créait une atmosphère en diffusant les thèmes principaux composés par Ennio Morricone et qui, cette fois-ci, avaient tous été écrits, joués et enregistrés à l’avance. « Tout le monde jouait en musique, suivait son rythme, et souffrait en intériorisant son intensité dramatique qui met les nerfs à vif. » (…) 

Sergio Donati (…) : « Je pense que Sergio réglait la vitesse de la grue qui suit Claudia Cardinale quand elle sort de la gare, sur le temp du crescendo musical. » Le tempo de la musique était plus lent que d'habitude, plus majestueux, avec moins de variations, il était plus présent aussi. Ce coup-ci, il n'y avait pas de "boing boing" de guimbarde ni de montées en puissance des chœurs, pas de coups de fouet qui claquent, de détonations d'armes à feu, ou de cri d'oiseaux pour ponctuer les temps forts (…)

Morricone place l'origine de l'harmonica de Bronson dans la musique sérielle du début du XXe siècle : « J'utilise très souvent ce type de musique à l'écran, ou bien je l'intègre au sein même de morceaux de musique tonale (…) Pour Harmonica, j'utilisais seulement trois notes de l’instrument… »

(…) thème de Jill (…) son arrivée à Flagstone (…) C’était le plan pour lequel "Sergio avait réglé la vitesse de la grue... en harmonie avec le crescendo musical". Le travelling dure quarante secondes et le plan grue quarante-cinq secondes ; c'est le plan le plus flamboyant qui Leone ait jamais tenté. La voix d'Edda Dell'Orso monte crescendo alors que la caméra découvre la rue principale (…)

"Je voulais filmer en décor naturel mais c'était impossible. Il n'y a plus d’endroits sauvages qui ressemblaient à ceux des années 1870. Il y avait trop de lignes à haute tension qui barraient l'horizon, trop de routes et de panneaux d'affichage et beaucoup trop de fermes et de ranchs. Trop de modernité à portée de caméra."

En 1967 dans le sud de l'Espagne, (…) on construisit le ranch de deux étages en poutres de bois (…) Carlo Simi : « Il voulait que la structure de l'édifice soit très résistante, puisque c'était construit par un Irlandais têtu, habité par un grand projet. Le constructeur, un jeune Espagnol, avait récupéré un chargement de poutres de bois utilisées pour les décors du Falstaff d'Orson Welles. Un beau stock, ce qui explique que ce soit toujours debout ». Leone fit construire une voie de chemin de fer au fond d'un canyon débouchant sur le site de Sweetwater et fit apporter la locomotive et le matériel roulant par semi-remorques : ils furent ensuite placés sur les rails à l'aide d'une grue. (…) Le décor de Flagstone coûta 250 000 $, plus que le budget total de Pour une poignée de dollars - et pour ce prix, Sergio Leone put ériger la "nouvelle" ville de Flagstone, tout en bois, avec sa gare, son hôtel/saloon, sa banque d'Abilene, ses magasins, son coiffeur, ses écuries, son maréchal-ferrant, son théâtre, ses bureaux, ses maisons d'habitation et ses rues adjacentes à la rue principale ; avec les montagnes de la Sierra de Baza en arrière-plan (…)

Cette séquence de Leone est construite autour de deux moments qui pourraient avoir été inspirés par Visconti : Jill se regarde dans un miroir sali, fait la moue et écarte une mèche de cheveux de son visage ; dans la séquence du bal du Guépard, Angélica (Cardinale) fait précisément le même geste. Puis Jill s'allonge sur un lit à baldaquin et roule sur le dos alors que la caméra en plongée zénithale zoome lentement, très lentement, sur son visage au travers de la dentelle noire du ciel de lit (…) Luciano Vincenzoni : (…)  « D'autres réalisateurs sont minables, parce que c'est leur nature et qu'ils cèdent trop facilement aux exigences de la production. Si le producteur vous dit qu'il peut vous donner seulement deux jours pour une scène et que Leone sait pertinemment qu'il en a besoin de six, il va en réclamer huit ; un autre aurait accepté de tourner en un jour et demi. Leone est capable de dépasser le planning de tournage de vingt semaines - ce qui revient à 6 milliards de lires - et d'impressionner un demi-million de mètres de pellicule même si à l'écran on n'en verra que quatre mille cinq cents. »

Leone me dit avec fierté : "Quand les Américains se sont extasiés à propos des costumes d'Il était une fois dans l'Ouest, et qu'ils m'ont demandé où je les avais copies, l'ai dit: « Je n'ai rien inventé du tout - je suis revenu aux sources. » Les « cache-poussières » étaient des vêtements très pratiques, parce que c'était la seule protection qu'avait le cow-boy quand il quittait la ville pour passer plusieurs jours d'affilée dans le désert (…) Les auteurs américains sont trop dépendants d'autres scénaristes et ils ne revisitent pas suffisamment leur propre histoire. »


Pour Carla Leone, tout cela était lié à la passion qu'entretenait son mari pour "les beaux objets qu'il contemplait dans les boutiques d'antiquaires de Rome et qu'il collectionnait ; il adorait le toucher des matériaux eux-mêmes…" 


Leone : (…) " j'ai constaté que tous les réalisateurs avec qui j'ai travaillé comme assistant avaient tous l'obsession de la vitesse… Ils contraignaient les acteurs à accélérer l'échange de leur répliques au point que l'on n'entendait plus les dernières syllabes des uns et les premières des autres. Jamais le moindre intervalle pour faire sentir qu'un interlocuteur peut réfléchir avant de répondre (…) le cinéma japonais ou oriental. Il m'a influencé, vraiment marqué... Il y avait longtemps que j'avais envie de donner ce rythme à un film. Faire que les mouvements de caméra soient comme des caresses."


Mais les changements qu'il a dû opérer avec Donati sur les plateaux parce qu'il avait mal jugé de la durée totale du film furent plus graves que cela. Et ils ont laissé des traces au niveau du produit fini. D'après Tonino Valerii, les difficultés de Leone à trouver le bon rythme étaient tout le temps présentes chez lui et le poursuivraient jusqu'à la fin de sa carrière : "(…) Il n'avait rien lu - Tolstoï, Dostoïevski, Kafka - et si on ne lit pas, on ne sait pas raconter une histoire... Sergio avait une imagination visuelle puissante et il comprenait la dynamique interne du cinéma. Mais il était entré dans le métier trop jeune - avant qu'il ne se soit forgé une culture personnelle. Quand quelqu'un débute dans cette industrie, il n'a plus beaucoup de temps pour lui-même, non ? Il est très important d'acquérir cette culture avant de devenir réalisateur ; c'est une réserve dans laquelle on peut venir puiser."


Mickey Knox (…) : « L'équipe lui vouait un grand respect parce qu'ils en avaient peur. II savait ce qu'il voulait... Il avait toujours vu le film dans sa tête... Mais je peux vous dire que vous pourriez mourir de soif, allongé dans le caniveau, il vous enjamberait et s'éloignerait sans se retourner. Il montrait très peu d'intérêt aux autres. C'était un homme très dur (…) Leone était très superficiel : sa pensée n'avait aucune profondeur. Mais il était inégalable en matière de réalisation de film ». (…) Knox raconte que l'acteur qui jouait "Knuckles" (Al Mulock) s'est suicidé en se jetant par la fenêtre de sa chambre d'hôtel, vêtu de son costume de western : "En fait, j'étais avec Claudio Mancini dans une chambre d'hôtel et nous avons vu le corps passer en chute libre devant notre fenêtre. Je pense que ce gars-là devait être dérangé. Personne ne connaissait la nature de ses problèmes et pourquoi il avait fait cela (…) nous descendons et le corps gît sur le sol. Sergio Leone était là Claudio Mancini charge l'acteur dans sa voiture et l'emmène à l’hôpital. Mais avant qu'il fasse cela, Leone dit à Mancini: « Récupère le costume, nous avons besoin du costume.»" (…) Sergio Donati confirme : "Alors que nous montions Il était une fois dans l'Ouest, chaque fois que nous regardions la performance de Mulock, Leone disait : « Pourquoi n'est-il pas mort un jour plus tard ? Il me restait un gros plan à faire sur lui ! »"


Quoi qu'il en soit, la France exceptée, le film n'eut pas autant de succès que la série des Dollars (…) En Amérique, le film fut retiré du circuit et remonté après un accueil tiède lors des "premières" de New York (…) le public américain (comme de bien timides dirigeants de studio) pensa simplement qu'il était trop long et trop lent. Résultat, vingt minutes du film furent supprimées…


Fonda était profondément surpris du fait que chaque fois que le film passait à la télévision en fin de soirée, la pause publicitaire avait lieu juste au moment où il dégaine son pistolet - après le massacre des McBain. Les chaînes TV ne pouvaient tout simplement pas accepter qu'Henry Fonda tue un enfant.


John Boorman (…) : "C’est le genre de chef-d'œuvre qui ne peut advenir qu'en dehors des courants et des modes. C'est à la fois le plus grand et le dernier western !"

Stanley Kubrick admirait le film, lui aussi. À tel point que, Leone dixit, il choisit la musique de Barry Lyndon avant le tournage du film afin de tenter la même fusion entre la musique et l’image.


Les scénaristes qui travaillaient avec Leone étaient abasourdis par la tournure que prenaient les événements. "Intellectuel ? explose Luciano Vincenzoni. Pouvez-vous imaginer une seconde Sergio Leone avec une philosophie? Allons, allons ! C'était un primitif du cinéma. Un grand réalisateur en plateau, c'est tout."  (…) Sergio Donati, lui aussi sidéré que Leone puisse se projeter en intellectuel devant les cinéastes de 1968, confirme que le réalisateur commença à se conformer à l'image que lui renvoyaient les critiques…


Il était heureux de se faire photographier devant des bibliothèques chargées de livres, surtout si l'article accompagnant les photos devait paraître dans un journal français. 


Tonino Valerii : « (…) la plupart de ces films avaient été des dérivés de Pour une poignée, avec au centre de l'intrigue un mystérieux étranger, et des titres commençant par "Mon nom est...", ou "On m’appelle…" »(…) 

Un acteur italien est allé jusqu'à se faire appeler Clint Westwood et un héros de western spaghetti se nommait Sam Wallach (…)

Lo chiamavano Trinita (On l'appelle Trinita, 1970) d'Enzo Barboni était une version moderne de Laurel et Hardy au Far West, avec Terence Hill, le cerveau venu du Nord, et Bud Spencer, le muscle venu du Sud. Sur le marché intérieur, le film rapporta un demi-milliard de lires de plus qu'Il était une fois dans l'Ouest, pour un prix de revient insignifiant en comparaison.


Dans cette époque grisante, d'après Jean-Pierre Gorin, collaborateur de Jean-Luc Godard, "tout marxiste qui se respecte voulait faire un western". Peu de temps après les événements de Mai 68, le leader étudiant Daniel Cohn-Bendit se rendit à Rome... et commença la préparation d'un « western de gauche… » (…) Mais Godard remania le projet et en fit Le Vent d'Est, autant une déconstruction du western italien que du modèle américain. Une version plus fidèle à l'histoire de Cohn-Bendit fut produite trois ans plus tard : La collera del vento (Trinita voit rouge), réalisé par un metteur en scène espagnol prometteur, Mario Camus. Terence Hill joue le rôle d'un assassin engagé comme briseur de grève dans le sud de l'Espagne au tournant du siècle (…) La veine politique avait en fait démarré en 1966 avec El Chuncho, quien sabe? (El Chuncho) de Damiano Damiani (…)

Un autre vétéran de l'époque néoréaliste, Carlo Lizzani, profita de la tendance en 1967 en réalisant Requiescani (Tue et fais ta prière) (…) Pasolini, dont les pommettes saillantes font penser à celles de Jack Palance, brandit une Bible de façon convaincante tandis qu'il s'adresse à Castel : "Notre plan, c’est de conquérir notre liberté par nous-mêmes, et ce Livre nous apportera la liberté... Les idées, pas le bétail, voilà les choses plus importantes qui doivent changer." Il a aussi le mot de la fin, une autre illustration du "super-héros cynique" de Leone : « Et malheureusement nous avons besoin d'hommes comme vous, car vous êtes le tueur le plus efficace que nous connaissions." 


Leone se mit en quête d'un réalisateur et United Artists recommanda un critique de cinéma devenu réalisateur, un jeune trentenaire à l'avenir prometteur qui venait de se faire remarquer grâce au succès relatif de son film à petit budget, Targets (La Cible, 1968). Peter Bogdanovich avait travaillé au théâtre sur le Off-Broadway, avant de concevoir plusieurs rétrospectives cinématographiques (Welles, Hawks, Hitchcock) pour le Musée d'art moderne ; il avait transcrit l'interview la plus longue John Ford ait jamais accordée (1967) tout en préparant un long documentaire intitulé Directed by John Ford (…) Bogdanovich était un cinéphile boulimique : il prétendait avoir vu 5 316 films et écrit des notules sur chacun d'entre eux.

Ainsi, Bogdanovich arriva comme prévu à l'aéroport de Fiumicino en octobre 1969 (…) D’après Leone : "Avec Vincenzoni, nous lui faisions des suggestions. Invariablement, il répondait : « I don't like it... - Okay, alors, écoutons ce que vous aimeriez faire. » Il devint tout pâle et dit : «Je veux Maman » - c'était comme ça qu'il appelait sa femme, la designer Polly Platt, qui était également sa collaboratrice artistique. Il prétendait qu'il ne pouvait pas travailler sans elle… » (…)

Bogdanovich (…) : « Mais il m'accueillit à l'aéroport avec la majesté  d’un empereur romain, condescendant à accorder une largesse à un petit jeune, sans doute digne d'intérêt mais de toute façon inférieur (…) En fait, Sergio voulait me faire croire qu'il était un grand metteur en scène, alors que lui même n’y croyait pas ; c'est sans doute la raison pour laquelle il étai important que ceux qui travaillaient pour lui y croient, eux. » (…)

Il y avait un problème spécifique au niveau du style visuel de Leone qui était à l'opposé de l'approche "cinéma classique américain" de Bogdanovich, formé à l'école de Hawks et de Ford (…)

Comme Bogdanovich le rappelle : "Nous avons consacré du temps à regarder Sergio mimer son moment préféré du film, celui où le bandit mexicain fait des vents alors qu'il tient une allumette embrasée à hauteur de son postérieur. Sergio prenait un immense plaisir à imiter le son du pet suivi du bruit de la rencontre entre le gaz invisible et la flamme vive. Après un mime riche en détails splendides, Sergio s'écroulait épuisé, dans son fauteuil, secouant la tête, rempli de tristesse à l'idée que cette scène ne pourrait passer à l'écran, et en même temps menaçant de la faire quand même »(…)

Les mots GIÙ LA TESTA émergent de son visage et envahissent l'écran. Voici donc le message film : "Baisse la tête » ; ne t'implique pas. Le thème musical principal s'amplifie et le générique de fin se déroule. Le film s’ouvre sur un pauvre paysan qui se fout de tout : il se clôt sur un rebelle primitif dont l'implication dans la révolution a détruit tout ce qu'il chérissait. "L'Irlandais, explique Leone, a éveillé la science du Mexicain, ce qui fait de lui une âme perdue pour le restant de ses jours. » (…)

Selon Bogdanovich, les membres du studio avaient maintenant surnommé Leone « Benito" (…)

Mais Vincenzo maintient que Peckinpah n'avait jamais accepté au départ, étant bien trop malin pour accepter un autre réalisateur comme producteur : "Surtout si ce producteur est un homme aussi arrogant et inculte que Sergio Leone... Ils se seraient entretués." Toujours selon Vincenzoni, Leone traduisit sa profonde déception à l'égard de Peckinpah en écrivant son nom sur une pierre tombale dans Mon nom est Personne : "Avec cette scène, il voulait dire; « Leone a enterré Peckinpah parce que Leone est meilleur que Peckinpah » (…)

Leone (…) : "Après vingt-cinq prises, Steiger était trop fatigué pour recourir à ses trucs de l'Actors' Studio. À la fin, dépouillé de tous ses maniérismes, Rod est absolument magnifique dans le film! » (…)

Coburn laisse entendre que le maniérisme visuel de Leone lui posait problème : "Sergio aime parfois des petits mouvements et des réactions arbitraires. Pour ses cadrages, il a besoin de placer  à un endroit où l'on ne choisirait pas de regarder et donc, il faut trouver le moyen de lui donner ce qu'il recherche sans perdre le fil de ce que vous êtes en train de faire." 

Bertolucci qualifia Il était  une fois la révolution de "trahison de la vision régressive et enfantine [de Leone] : en essayant de se grandir, il a perdu son charme".


Mon nom est Personne (1973) était basé en partie sur son idée, et produit par lui, mais le réalisateur était son associé Tonino Valerii, qui l'avait assisté sur les Dollars. Néanmoins, Mon nom est Personne est plein de références aux films précédents de Leone (…)

Hollywood l'appelait toujours, mais ne lui proposait rien qui puisse stimuler sa créativité. L'un de ces projets était The Godfatber (Le Parrain). Fin 1968, alors que le roman de Mario Puzo était encore un manuscrit dactylographié, Charles Bluhdorn de la Paramount avait envoyé une copie à Leone. "Et puis, Le Parrain m'a semblé être une histoire chorale. Le protagoniste était la famille, le collectif mafieux, et non une personne seule ou les personnages qui en étaient les composants. Je m'intéresse beaucoup plus à l'individu isolé." Leone préférait les "voyous de la rue" plutôt que la "Murder Incorporated" : "Quand les gangsters commencent à s'asseoir derrière des bureaux, ils ne m'intéressent plus. » (…)

Mon nom est Personne, affirmait Gastaldi, "a peut-être été le premier film qui a été tourné exactement comme je l'avais écrit. Tonino Valerii avait peur d'être critiqué par Sergio, alors il a filmé mes pages - plan par plan."  (…)

Le scénario se terminerait sur l'"arrivederci" de Sergio Leone au western : une apothéose exceptionnellement bavarde. Dans sa cabine sur le bateau à vapeur Sundowner, qui l'emmène vers une retraite bien méritée en Europe, Jack Beauregard, lunettes sur le nez, écrit une lettre d'adieu à Personne (qui est enfin de venu Quelqu’un).

(…)« les cent cinquante vrai fils de pute à cheval » (…) on les appelle « la Horde sauvage » (…) on trouve des plans violents au ralenti (pour la première fois dans un western de Leone) (…) Selon Luciano Vincenzoni : (…) Leone faisait certainement référence à "la controverse [de l'époque] au sujet de qui avait influencé qui", et disait que le réalisateur américain [Samuel Peckinpah] avait été ravi de reconnaître sa dette (…)

La lettre d'adieu de Beauregard se lit comme un message du père fondateur John Ford, une réflexion sur ce que Sergio Leone avait fait à "son" genre, et sur ce qui est arrivé à l'Ouest américain depuis sa retraite. Ford, qui était en train de mourir d'un cancer, avait récemment déménagé à deux cent cinquante kilomètres de la communauté cinématographique d'Hollywood dans une maison de style ranch à Palm Desert sur Old Prospector Trail. Ses voisins étaient Howard Hawks, Henry Hathaway et Frank Capra (…) John Ford est mort, agrippé à son chapelet, juste après la fin du tournage de Mon nom est Personne (…)

Et le choix du titre de Leone a élargi le message au domaine mythologique. Leone a souvent dit dans ses interviews que "le plus grand auteur de westerns était Homère (…) Dans l'Odyssée d'Homère, Ulysse affronte, en effet, le Cyclope mangeur d'hommes, Polyphème, et lui dit : "Tu souhaites connaître le nom que je porte. Je te le dirai ; et en retour, j'aimerais avoir le cadeau que tu m'as promis. Je m'appelle Personne. » (…)

Selon Tonino Valerii, Leone était dans une concurrence effrénée avec Enzo Barboni, depuis que Lo chiamavano Trinita (On l'appelle Trinita, 1970) et Continuavano a chiamarlo Trinita (On continue à l'appeler Trinita, 1971) avaient "fait tomber Leone de son piédestal en tant que Maître du western italien. De plus, ces films étaient des parodies très ironiques vis-à-vis des clichés généralement associés à ce genre de films. Donc Leone cherchait « una vendetta artistica » ». Ainsi, choisir la star de Trinita, Terence Hill, pour interpréter Personne plaisait énormément à Leone (…) Valerii, cependant, était beaucoup plus intéressé par le personnage de Fonda et, avec le temps, il a senti que Leone a accepté l'idée que Personne soit "juste un bon garçon qui rêve de rencontrer le héros de son enfance, et quand il est face à lui, il se rend compte que celui-ci est en pleine crise existentielle. Il l'aide alors à se retirer de sa carrière d'une manière qui lui convient. Leone s'est très bien comporté face à ce changement. » (…)

Terence Hill (…)  a été « découvert », lors d’un gala de natation, par le réalisateur Dino Risi qui le fit jouer dans son premier film, Vacanze col gangster, à l'âge de douze ans. Le rôle qui lui fit prendre la décision de se lancer à plein temps dans la carrière de comédien est celui du jeune comte qui courtise la fille de Burt Lancaster dans Le Guépard de Visconti (1963) (…)

De tous les films réalisés en Italie entre 1956 et 1971, On continue à l'appeler Trinita est celui qui a généré le plus de revenus, juste devant Et pour quelques dollars de plus. Leone avait donc été "éjecté de son piédestal" par une comédie à la construction lâche, transformant de nombreuses bagarres de saloon en bouffonneries où les cascadeurs se jetaient aux quatre coins de l'écran dans le style des Looney Toons de Warner Brothers (…) Leone conseilla à Terence Hill de jouer le rôle de Personne "comme si tu rejouais Trinita, mais de façon plus sérieuse". L'adversaire de Personne, Sullivan, l'homme d'affaires manipulé par la Horde sauvage, a été joué par le comédien de théâtre français Jean Martin. Martin était un ami de Samuel Beckett, et il a été le premier à jouer les rôles de Lucky dans En attendant Godot (1953) et de Clov dans Fin de partie (1957)…

(…) pendant tout le film, on ressent une tension discordante entre le thème lyrique de la "fin de l'Ouest" et les pitreries de bande dessinée de Terence Hill, qui est autorisé à faire des tours de music-hall qui n'ont rien à faire avec l’histoire (…)

Leone a filmé pendant une quinzaine de jours à Guadix, tournant aussi la scène dans l’urinoir public, et, selon Terence Hill, "il a joué un rôle très important dans mes scènes". La scène de l'urinoir n'était pas dans le scénario, se souvient Valerii : "C'était l'une des créations spontanées Sergio Leone, et je laisse aux autres le soin de juger de sa vulgarité. » (…)

Tonino Valerii avait été averti par Claudio Mancini de Rafran que "si Leone tourne une seule image de film, tout le monde dira qu'il a fait tout le film", ce qui s'est précisément passé - notamment parce que le nom de Sergio Leone figurait souvent au générique : "Sergio Leone présente", "d'après une idée de Sergio Leone" et "produit par Sergio Leone", alors que le nom du réalisateur n'apparaissait qu'une seule fois (…)

Henry Fonda parlait du film comme d'un western qui le laissait totalement indifférent.

Leone aime avant tout les aspects conventionnels du genre pour les dépouiller de tout contenu possible. C'est un grand maniériste qui voit dans le western une série de luttes primitives. 


Parallèlement à sa carrière de producteur de films, Sergio Leone a réalisé à partir de 1974 une dizaine de spots publicitaires pour la télévision, principalement sous l'égide de la société de publicité française Télé Hachette : "Cela ne m'intéressait pas. Finalement, je suis entré dans ce milieu par l'intermédiaire de mon ami Frédéric Rossif (…) Personnellement, je ne voyais pas ce que je pouvais faire en trente ou quarante secondes. D'ordinaire, c'est à peine le temps qu'il me faut pour faire le clap. » (…)

Partout en Europe de l'Ouest, les années 1970 et 1980 ont été une période de l'histoire de la publicité où des cinéastes connus mais non crédités ont eu l'occasion et l'argent pour réaliser des publicités allusives. Ces films ont été récompensés par de nombreux prix dans l'industrie, même si les produits dont ils faisaient la promotion n'avaient pas nécessairement du succès sur le marché. Une sorte de "publicité pour le plaisir de la publicité" semblait émerger, après les offres premium et les plans produits criards de la décennie précédente (connus dans le commerce sous le nom de "ad nauseam"), et les croisements avec l'industrie cinématographique, dans les deux sens, devenaient de plus en plus courants.


The Hoods, qui se concentre sur un groupe de voyous à la petite semaine, vivant sur Delancey Street dans le Lower Manhattan, entre novembre 1912 (mois de l'élection de Woodrow Wilson à la présidence) et le début des années 1930 (quand l'abrogation du 18è amendement marquait la fin de la Prohibition) (…)

Le kilomètre carré du Lower East Side - où 344 000 personnes habitaient dans des logements surpeuplés, la plus forte concentration de population dans le monde (…)

Sergio Leone prit connaissance de The Hoods pour la première fois lorsque Fulvio Morsella lui en fit la lecture en italien (…) le livre semblait avoir été écrit par le scénariste d'un film de série B (…) "Le réalisme grotesque de ce vieux gangster qui, à la fin de sa vie, ne peut pas s'empêcher de se servir d'un répertoire de citations cinématographiques, de gestes et de mots vus et entendus des milliers de fois sur grand écran, a stimulé ma curiosité et m'a amusé. J'étais frappé par la vanité de cette entreprise et par la grandeur de son échec." Quand la fable prend le pas sur la vraie vie de l'auteur, "ça, ça pouvait être un grand sujet de film » (…)

L'étude de Rich Cohen, Tough Jews (1998) (…) D’après Cohen, le mythe de la domination italienne sur le crime organisé a été délibérément entretenu par la justice et par les parrains juifs qui étaient très heureux de rester dans l’ombre.


Les biographies des gangsters de cinéma (…) reflétaient parfois celles des nababs du cinéma de la première génération, qui investissaient leur argent dans des histoires qui les dépeignaient. Carl Laemmle, fondateur d'Universal Pictures, était originaire de Laupheim dans le Würtemberg, dans le sud-ouest de l'Allemagne, et avait émigré dans le Lower East Side où il travaillait comme garçon de courses pour un pharmacien alcoolique. Adolph Zukor, qui créa la Paramount, venait de Risce en Hongrie, et émigra dans le Lower East Side où il gagnait quelques dollars par semaine comme boxeur dans des combats de rue (il garda toute sa vie une oreille gauche en chou-fleur en souvenir de cette époque) ; William Fox, qui fonda la Fox Film Corporation, contribuait à l'économie familiale en vendant au porte-à-porte de la pâte à noircir les fourneaux dans le Lower East Side ; Louis B. Mayer, le dirigeant de la MGM, émigra au Canada avec sa famille en provenance de Dymer en Russie et déclara plus tard qu'il avait perdu tous ses papiers dans l'aventure : il choisit le 4 juillet comme date de naissance (…)

Edward G. Robinson changea son patronyme d'origine Emmanuel Goldenberg, et se fit un nom en jouant le rôle d'un Italien (…)

En 1908, il y avait cent cinémas rien que dans le quartier juif de New York (…) La maigre estime dans laquelle la classe dominante culturelle blanche anglo-protestante tenait le cinéma contribua à faire de l'industrie cinématographique le parfait chemin pour l'assimilation totale des nababs dans la communauté d'accueil. Pour des raisons évidentes, les gangsters juifs étaient bannis. Ce n'est qu'à la fin des années 1950, avec le "retour historique du film de gangsters", qu'Hollywood a commencé à prêter attention aux milieux issus d'Europe de l'Est (…) Aucun de ces films ne posait le milieu ethnique d'origine de leurs antihéros comme un enjeu : l'accent était mis sur les fusillades et sur le fait d'avoir une longueur d'avance sur la télévision. Pour ce qui est des thèmes abordés, le principal d'entre eux traitait du déclin du voyou indépendant, "le loup solitaire", menacé par la montée à l'échelle nationale du crime organisé et des syndicats du crime, présidés par des hommes en costumes trois-pièces de couleur grise (…)

Robert Warshow, dans son fameux essai publié en 1948 sur les films de gangsters, écrivait (…) : « le gangster, c'est le « non » opposé au gigantesque « oui » américain qui est inscrit sur tous les articles de notre culture officielle et qui cependant exprime si peu le sentiment réel que nous avons de notre vie.»(…)

« Grey avait quelque chose d'Edward G. Robinson, mais il faisait soixante-dix ans bien sonnés. Nous nous sommes serré la main. Il s'est assis et a commandé un whisky qu'il n'a jamais vraiment bu. Il l'a étudié, tranquillement, pendant un bon moment. Peut-être qu'il avait des problèmes de cholestérol et qu'il avait commandé la boisson pour sauver les apparences - comme c'est parfois la coutume en Amérique. Un pays, où les apparences ont tellement d'importance. C'était un homme peu loquace. Oui, non, peut-être. Il avait le vocabulaire d'un gangster sorti d'un roman de Dashiell Hammett, se limitant à l'essentiel. Et en représentation permanente devant un public invisible » (…)

Fulvio Morsella n'était pas le moins du monde certain que Grey comprenait ce qui se passait : "Grey était un vieux monsieur, très humble en apparence, et vous n'auriez pas parié un centime sur son intelligence..."

Leone (…) : « Il ne semblait pas enthousiaste, ni passionné pour quoi que ce soit. (…) Silence encore. Grey étudiait son petit verre de whisky. OK, dit-il en conclusion. Nous avons ensuite réussi à lui extirper une ou deux réponses comme si on lui arrachait des dents sans anesthésie. Oui, non, peut-être. » (…)

Cette rencontre avait renforcé l'intuition viscérale de Leone à propos de The Hoods. "Après les épisodes de l'enfance dans le livre, qu'il avait vécus personnellement de toute évidence, tout le reste était nourri de clichés. Mon intuition était confirmée. Les seuls aspects authentiques de cette histoire étaient les épisodes consacrés à l’enfance (…) Il me semblait important, à ce moment précis de ma vie, de filmer l'existence presque futile de quelqu'un qui ne laisserait aucune trace et dont la seule force était le sentiment de l'amitié... Quelque chose qui m'a toujours touché et que j'ai traité dans tous mes films, peut-être parce que j'étais fils unique."


Leone n'avait pas de script écrit. Pendant dix ans à peu près, de 1967 à 1977, d'après Sergio Donati, "il n'avait que la scène du début » (…)

Milius était dithyrambique sur ses années passées à l'école de cinéma de l'université de Souther California, où lui et ses camarades comme George Lucas "avaient analysé tous les films de Leone, plan par plan"  (…) Et enfin, ils abordèrent l'idée que John Milius pourrait réaliser Il était une fois en Amérique. Mais Milius n'était pas en mesure de s'impliquer dans le film (…)

Grimaldi était toujours convaincu que le film devait être écrit par un Américain, de préférence célèbre. Finalement, il choisit Norman Mailer (…) 

Leone se rappelait que "Mailer y est allé franco.. (…) Je suis désolé de dire que Mailer n'a engendré qu'une histoire à la Mickey Mouse. Mailer, à mes yeux, et ce sont les yeux d'un vieux fan, n'est pas un écrivain fait pour le cinéma." (…) Franco Ferrini se rappelle que "le script de Mailer avait une construction hallucinée et décousue, faite de flash-backs et de sauts continuels dans le temps qui n'avaient pas grand sens… » (…)

Ce fut la conclusion de la recherche par Leone d'un collaborateur américain et il se tourna vers deux des écrivains les plus respectés dans l'industrie cinématographique italienne : Franco Arcalli (…) et Enrico Medioli (…) l’ex-acteur Arcalli était devenu monteur et scénariste de Bertolucci pour Il conformista (Le Conformiste, 1970) et Le Dernier Tango à Paris (1972). À l'époque, il travaillait sur 1900. Sa spécificité résidait dans sa manière d'aborder les scénarios : il adoptait le langage visuel du monteur (…) Medioli, de son côté (…) dans l'ombre de Luchino Visconti. Leur collaboration commença avec Rocco et ses frères et atteint sa pleine efficacité avec Le Guépard, Les Damnés et Ludwig ou le Crépuscule dieux.


Leone (…) : "Les prostituées et les gangsters ont toujours considéré les gens de cinéma comme des confrères et des confesseurs. Je les écoutais pour m'imprégner du parfum du ghetto. Très vite, j'ai compris qu'un gangster juif, même très méchant, devient très religieux avec l’âge".

(…) l'intention était de produire "une histoire de gangster sans la gloire", une histoire au fil de laquelle le personnage principal dérive comme un somnambule (…) comme Leone s'évertuait à le dire : "Il ne s'agit pas d'un film sur les gangsters. C'est un film sur la nostalgie d'une certaine période, d'un certain type de cinéma et d'un certain genre de littérature » (…)

Dans Il était une fois en Amérique, la musique (…) aurait un caractère quasi religieux - comme si elle ramenait Noodles vers son lointain passé. Elle est jouée dans une veine mélodique traditionnelle (…) Peut-être que Leone a connu la musique de Zamfir grâce à la bande originale du film de Peter Weir, Picnic at Hanging Rock (1975), film qu'il admirait.

Leone se rappelait (…) : "Les décors ont été construits avec une attention scrupuleuse portée sur les détails et l’authenticité (…) J'ai utilisé énormément de photos de cette période. J'ai fait des recherches très poussées qui surprenaient même mes amis américains, Spielberg et Scorsese. Quand ils sont venus à Rome, ils ont été époustouflés par le nombre de photos, par cette documentation visuelle exhaustive qui partait du petit détail pour aboutir à l'image d’ensemble…"


Quand Grimaldi avait acquis les droits de The Hoods, il était sur la lancée du succès international du Dernier Tango à Paris (1972). Depuis lors, deux de ses productions multinationales - Novecento (1900) de Bertolucci (1976), film de 325 minutes, sorti en deux parties, et le Casanova de Fellini (1977), film de 150 minutes - n'avaient pas fait de recettes au box-office, et d'après Leone, "Grimaldi était pris de panique parce qu'il avait perdu le soutien des grandes compagnies de production hollywoodiennes".


De Niro (…) C’était un perfectionniste (…) "Bob vit avec son scénario : il se le répète 100 000 fois chez lui, et quand il arrive sur le plateau il donne l'impression d'une improvisation et d'une spontanéité totales" (…)

Woods se rappelait (…) : "Leone était habitué à une réalisation iconographique, opératique, à l'utilisation des acteurs comme des marionnettes - « place-toi là », « regarde au loin », « fais ci»... Nous travaillions sur des scènes et nous les jouions totalement différemment de ce qu'il avait anticipé, et donc, il essayait de suivre le mouvement plutôt que de le créer. Il disait lui-même : « Tous mes plans sont prêts a l'avance, d'habitude, et je n'avais qu'à brancher les acteurs. Maintenant, vous, les gars, vous arrivez et vous redéfinissez complètement la scène et je dois la filmer comme si j'étais un documentariste - je n'ai jamais travaillé comme ça mais c'est revigorant. » (…)

Selon l'estimation de Leone, sur l'ensemble du film, 65% de la bande-son ont été effectués en prise directe et le reste en postsynchronisation. James Woods a fini par apprécier de s'imprégner totalement de l'atmosphère d'une scène grâce musique préenregistrée (…)

Raffaella Leone (qui était assistante costumière) se rappelle que, durant la première séquence qui devait être tournée à la mi-juin 1982 (la fumerie d'opium, filmée à Rome), De Niro voulait que l'on joue des sons inhabituels sur le plateau pour l'aider à se réveiller en sursaut avec l'authenticité requise : "Nous avons essayé toutes sortes de sons, et fait de très nombreuses prises. Cela durait depuis un bon moment et on a entendu un des machinos demander : « Est-ce qu'il y a une scène dans le film où il doit pleurer ? Si oui, je veux bien être volontaire pour lui filer un coup de pied dans les couilles »." (…)

Elizabeth McGovern, toute fraîche émoulue de la Juilliard School of Dramatic Art, venait d'interpréter le rôle de la petite amie de Timothy Hutton dans Ordinary People (Des gens comme les autres, 1980) de Robert Redford (…) "Il m'a fait asseoir et je me rappelle voir le soleil littéralement traverser le ciel alors que Leone, heure après heure, me narrait son histoire." Selon elle, il était évident que ce réalisateur était un conteur-né (…) "j'ai eu beaucoup de mal avec sa direction d'acteurs hyper précise... Sergio disait « Regarde vers le haut et dirige tes joues vers le bas », des trucs comme ça."


Tout bien considéré, Leone estima qu'il valait mieux tourner Il était une fois en Amérique dans le format panoramique standard américain 1.85:1 plutôt qu'en format "Letterbox" qui était sa marque de fabrique.


Ainsi, la gare de Grand Central des années 1930, qui n'existait plus, fut filmée à la Gare du Nord à Paris (…) Son buffet, où Deborah attend son train, a été tourné à la Brasserie Julien, rue Saint-Denis.


Fred Caruso (…) producteur exécutif » (…) : "Nous avions la rue du Lower East Side à Rome, premier plateau, déclara-t-il à l'American Film en juin 1984, et nous avions une vraie rue dans Brooklyn et à Montréal aussi. Et elles devaient toutes correspondre exactement pour que nous puissions préserver la continuité et avoir des champs contrechamps. Nous sommes allés à Montréal parce que nous ne trouvions pas assez de vieux immeubles à New York, des immeubles qui ne soient pas tout abîmés par des panneaux modernes (…) Leone avait choisi la 8e South Street à Brooklyn comme décor, parmi plusieurs autres options. Il l'adorait parce qu'elle avait le pont de Williamsburg en arrière-plan (…) cinq cents acteurs devaient se costumer en Hassidim et il a fallu persuader les vrais habitants (dans leur majorité, des Portoricains) de vivre avec leurs fenêtres de devant condamnées par des planches pendant quatre bons mois (…)" 

Luca Morsella (…) : "Nous filmions à Brooklyn et travaillions avec huit cents figurants. Il y avait aussi quinze voitures et camionnettes d'époque, des animaux de toutes sortes parce que c'était une scène de marché et Sergio surveillait tout ça depuis une grue Chapman... Il nous a fallu tourner cette scène trente cinq fois, parce que soit il y avait un vide entre les figurants, soit une voiture ne démarrait pas au bon moment ou ceci ou cela () Il voyait des choses qui ne seraient même pas visibles à l’écran."

 

En février 1983, Sergio Leone disposait de dix heures de rushes exploitables (…) la longueur idéale, selon lui, aurait été comprise "entre quatre heures dix et quatre heures et vingt-cinq minutes" (…)

À trois heures et quarante-neuf minutes, Il était une fois en Amérique serait le film le plus long jamais produit par Hollywood depuis 1900 de Bertolucci, mais la Ladd Company se remettait à peine du récent désastre sur le marché intérieur de The Right Stuff (L'Étoffe des héros, 1983) de Philip Kaufman qui ne durait que trois heures quatorze (…) Léone : « La Ladd Company dépend de la Warner Brothers, et à la Warner, il n'y a pas un dirigeant, mais plusieurs, qui pensent tous la même chose et suivent les règlements à la lettre. (…) La vérité, c'est que ces messieurs ont peur pour leurs jobs qui changent tout le temps dans les major companies... C'est difficile de se battre contre un ennemi qui n'existe pas."

À Cannes, le 20 mai 1984, où Il était une fois en Amérique était projeté hors compétition dans sa version de trois heures et quarante-neuf minutes, de nombreux critiques ne reculèrent devant aucun superlatif ; de tous les films de Leone, la "version intégrale" récolta les meilleures critiques jamais publiées dans le monde entier.

(…) Il était une fois en Amérique fut remonté pour le marché nord-américain par Zach Staenberg, suivant les instructions de la Ladd Company. Il en ressortit à cent quarante-quatre minutes : c'est-à-dire avec plus de vingt minutes en moins que la durée contractuelle (…) Cette version était une tentative ratée de faire porter une kippa à Don Vito Corleone (…) Leone avait toujours été contrarié par les comparaisons avec Le Parrain, et maintenant, voilà que son film "avait été massacré par des barbares" pour ressembler à celui de Coppola (…)

James Woods fut beaucoup plus explicite : "Trois semaines avant la sortie du film en salle aux États-Unis, ils ont demandé au monteur assistant de Police Academy de le réduire en putains de rubans. Le film dans cette version a été littéralement assassiné par la critique, pas étonnant." 

Le film sortit en Europe dans une version de deux cent vingt-sept minutes, approuvée par Leone (…)


La séquence d’ouverture de Leningrad (…) La caméra traverse la steppe, observant tout, pour découvrir une légion noire de mille panzers allemands qui attendent l'ordre de tirer. Un millier. Quand le premier char tire un obus qui explose sur la fin de cette marche devenue funèbre, nous coupons ! Pour la première fois ! Puis un rideau s'ouvre sur un concert où Chostakovitch joue sa Septième Symphonie, accompagné de cent cinquante musiciens, devant un public de quatre mille cinq cents personnes (…)

Ce morceau de bravoure de Sergio Leone, qu'il a perfectionné dans les années 1980, s'enrichissait de nouveaux détails à chaque récit. C'était une description du plan-séquence le plus cher de l'histoire du cinéma.

(…) certains apparatchiks nerveux de l'ère Brejnev, après avoir écouté sa grande présentation : Vous voulez faire un film sur les neuf cents jours du siège ? Mais l'ère Khrouchtchev est révolue depuis un certain temps. Nous sommes entrés dans une grande nouvelle phase de notre société et de notre politique, et les forces qui la conduisent ne veulent pas qu'on leur rappelle les méfaits du camarade Staline, qui avait miné Leningrad et l'aurait fait sauter dès que les nazis nous auraient envahis pour protéger Moscou.

(…) Mais Leone avait l'impression que ce morceau d'histoire était obscur dans la mémoire collective : "En parlant avec divers intellectuels, italiens et français inclus, je me suis rendu compte qu'ils confondaient toujours la bataille de Leningrad avec celle de Stalingrad. Le public aussi (…) J’ai été frappé par la volonté des habitants de Leningrad de sacrifier leur vie. En trois ans, environ 40% de la population de la ville sont morts - soit un total d'un million trois cent mille personnes. Dans un film d'actualités de l'époque, vous pouvez voir les visages des travailleurs lorsque le siège a été annoncé. La caméra se déplace sur leurs visages et vous comprenez juste que les Allemands ne pourront jamais entrer dans cette ville. Hitler comptait sur une attaque aérienne réussie. Il a même fait imprimer des billets pour un concert de musique de Wagner qui devait avoir lieu à la Philharmonie de Leningrad dix jours après le début du siège. Il y a eu aussi des faits cruels, des épisodes de cannibalisme et des femmes incapables de déplacer leurs morts parce que leurs cadavres étaient gelés. » (…)

En 1980, il a refusé l'offre de diriger Reds - une autre histoire d'un journaliste américain travaillant en Russie, cette fois pendant la révolution d'Octobre. Il préférait 900 Jours à dix, Leningrad à Moscou, et une coproduction soviétique à une coproduction américaine.

(…) comme le confirme Andrea Leone : "Ce projet était assez compliqué, dans la mesure où il s'agissait d'une coproduction entre l'Italie et la Russie [un consortium RAI/Soviet). Et puis, il était difficile aussi parce qu'il n'avait écrit que trois ou quatre pages et que tout était dans sa tête... Il a passé un contrat avec un pays où il n'y avait jusqu'à présent que des infrastructures de services pour les sociétés cinématographiques étrangères, jamais de coproductions avec des films étrangers. De ce point de vue, il a signé une page importante de l'histoire du cinéma lorsqu'il s'est rendu à Moscou." Sans un titre précis, une star ou un scénario, Leone a quand même réussi à réunir plus de 15 millions de dollars d'investissements et de services en Russie grâce à ses antécédents et à sa personnalité forte et persuasive (…) Et, pour couper court à une rumeur selon laquelle Meryl Streep pourrait jouer le rôle principal en prenant l'accent russe, il avait dit : "Meryl Streep ? Jamais de la vie. Elle n'est pas le genre d'actrice qui est faite pour moi. J'ai l'intention d'auditionner beaucoup de comédiennes soviétiques. Il est même possible que j'utilise une inconnue"(…)

Sergio Donati se souvient qu'après la mort de Sergio, "quelques producteurs sont venus voir Benvenuti et De Bernardi et ont demandé : « Où est le scénario, le traitement ? » Et il n'y avait rien. Seulement là scène d'ouverture, comme elle avait été racontée par Sergio lui-même » (…)Tonino Delli Colli (qui l'aurait photographié) se souvient : "Sergio aimait raconter des « débuts ». Il brodait l'histoire autour d’eux. » (…) Sergio Donati n'est pas sûr, mais il dit qu'il est bon de se rappeler qu'avec "Il était une fois en Amérique, il n'y eut aussi, pendant dix ans, que la scène d'ouverture. On pensait qu'il ne ait jamais ce film non plus. Mais à la fin, il l'a fait'".


Dans les années 1960 et à l'apogée des studios de Cinecittà, les Italiens allaient au cinéma - par semaine, par adulte - plus que tout autre public dans le monde.


Sur la table son bureau (…) se trouvaient un photogramme de Raging Bull (signé "To Sergio from Bobby - you're the best"), et une photo du vieux John Ford vêtu de vêtements trop grands pour lui (signé "To Sergio Leoni. With Admiration"). Il y avait des petits chiens partout.


C'étaient ses contes de fées pour adultes (…) Ce qu'il voulait faire, c'était réenchanter le cinéma, tout en exprimant son propre désenchantement vis-à-vis du monde contemporain et en transmettant l'exaltation qu'il ressentait personnellement en regardant et en faisant des films. 


Depuis ses problèmes cardiaques de 1984, il avait tenté de suivre un régime (…) Dans la nuit du dimanche 30 avril 1989, Sergio et Carla Leone regardaient la télévision ensemble dans leur lit, dans leur villa sur la Via Nepal. Ils regardaient I Want to Live! (Je veux vivre !), le film déchirant de Robert Wise de 1958 (…) Soudain, Sergio pencha la tête contre l'épaule de Carla et dit : "Je suis désolé, je ne me sens pas très bien." En quelques secondes, il était parti (…) Plusieurs articles ont indiqué que Sergio avait soixante-sept ans. Il n'en avait que soixante (…) Lorsque le cercueil est arrivé, Ennio Morricone a joué une version lente du thème principal d'Il était une fois dans l'Ouest sur l’orgue…


(…) John Carpenter estimait qu'Il était une fois dans l'Ouest était "un des classiques de tous les temps, un film qui affirme la fois l'essence du western et de la mythologie, en mettant eut-être un terme au genre". Carpenter a fait jouer sa musique à son mariage.


En 1983, Tarantino obtint un travail à Video Archives sur Sepulveda Boulevard en parlant sans cesse de Sergio Leone au propriétaire.


(…) les héros des grands films d'action d'après les années 1960, d'Eastwood à Bronson, de Stallone à Schwarzenegger, de Willis à Van Damme et au-delà, qui ont remplacé l'honneur et la gloire de leurs prédécesseurs héroïques des films d'avant Pour une poignée de dollars par des répliques cultes, du spectaculaire et des caractéristiques qui font d'eux des antihéros (…)

Le philosophe français Jean Baudrillard appelait Sergio Leone "le premier réalisateur postmoderniste » - le premier à comprendre le concept du jeu des miroirs dans la "culture contemporaine des citations".